KR v Miskolc County Hospital

La Hongrie protège le droit des femmes roms à l'égalité dans les établissements de santé

Une femme rom a fait l’objet de harcèlement verbal et de discrimination pour motif ethnique de la part du personnel hospitalier pendant son accouchement dans un hôpital public hongrois.  L’Autorité nationale pour l’égalité de traitement a conclu que l’hôpital avait porté atteinte à la dignité de la requérante et à son droit à l’égalité de traitement fondé sur l’origine ethnique. 

Date de la décision: 
15 déc 2016
Forum : 
Equal Treatment Authority
Type de forum : 
Domestique
Résumé : 

En février 2016, une femme rom a accouché dans un hôpital public à Miskolc, dans le Nord-Est de la Hongrie.  Pendant l’accouchement, elle a crié de douleur et la sage-femme lui a crié « si tu hurles encore une fois, je te pousse l’oreiller dans le visage. » Quand la femme s’est excusée, le médecin lui a dit : « si tu avais crié une fois de plus, j’aurais appelé le psychiatre pour qu’il emporte ton enfant et tu n’aurais pas reçu la prestation pour enfant, car de toute façon, vous les gitans, vous ne donnez naissance que pour l’argent ! »

En avril 2016, la requérante a porté plainte après de l’Autorité pour l’égalité de traitement (Autorité) (organe indépendant mis en place par le gouvernement hongrois pour recevoir et traiter les plaintes individuelles et publiques pour inégalité de traitement).  Elle a déclaré qu’elle avait été victime de harcèlement verbal pour motif ethnique lié à sa santé sexuelle et reproductive.  Sa plainte se fondait sur la Loi relative à l’égalité de traitement, qui transpose en droit national la Directive 2000/43/EC de l’Union européenne et garantit l’égalité de traitement en ce qui concerne, entre autres, les soins de santé, y compris la santé sexuelle et reproductive. En mai 2016, l’hôpital a fait savoir que son enquête interne n'avait pas confirmé l'allégation de harcèlement.  L’hôpital a de plus signalé que les seules recommandations (en rapport avec l’allégation) faites par les professionnels de la santé aux femmes qui accouchent, c'est d'utiliser des techniques de respiration spéciales et d'éviter de crier pour maximiser leur capacité de pousser.

En juin 2016, l’Autorité a tenu une audience concernant l'affaire.  À ce moment-là, le Centre européen pour les droits des Roms (CEDR) s’est joint à la procédure pour assurer la représentation légale de la requérante.  Après que l’hôpital a manifesté son intérêt pour un règlement amiable, la requérante a proposé :

1.   Que l’hôpital présente des excuses publiques et verse 500,000 HUF (environ 1,700 USD) à titre d’indemnisation pour atteinte à son droit à l’égalité de traitement.  

2.   Pour éviter que d’autres cas de harcèlement de même nature ne se produisent, l’hôpital devrait :  

  • Dans un délai de deux mois, informer le personnel hospitalier que toute forme de discrimination à l'égard des femmes roms et leurs nouveau-nés est illégale et sera sanctionnée ;
  • Dans un délai de deux mois, permettre à l’Autorité de tenir une formation à l’égalité de traitement pour le département d’obstétrique ; et
  • Accepter que, pour une période d’un an suivant le règlement, le personnel du CEDR soit autorisé à réaliser des entretiens avec les femmes roms sous les soins du département d’obstétrique au sujet de leur expérience concernant l’égalité de traitement.

L’hôpital n’ayant pas répondu à la proposition, l’Autorité a tenu une deuxième audience en octobre 2016. Encore une fois, tout en niant qu’il y ait eu violation de droits, l’hôpital a entrepris une procédure de règlement amiable à la condition que la requérante retire sa demande d’indemnisation.  La requérante a accepté cette condition pourvu que toutes ses autres propositions soient mises en œuvre telles que demandé.  

En novembre 2016, l’hôpital a informé son personnel qu’il permettrait à l’Autorité de diffuser son matériel sur l’égalité de traitement dans l'hôpital, de tenir une formation à l'égalité de traitement pour le département d'obstétrique et de réaliser des entretiens concernant l'égalité de traitement dans l'hôpital.  L’hôpital n'a pas présenté ses excuses à la requérante. Étant donné l’absence d’excuses et le refus de permettre au CEDR, plutôt que l'Autorité, de mener des entretiens dans l'hôpital, la requérante n'a pas accepté le règlement amiable et a demandé que se poursuivent les procédures judiciaires.

En conséquence, le 15 décembre 2016, l’Autorité a statué que l’hôpital avait porté atteinte à la dignité de la requérante et à son droit à l’égalité de traitement fondé sur l’origine ethnique, en raison de l’affirmation « vous les gitans, vous ne donnez naissance que pour l’argent ! ». L’Autorité a ordonné à l’hôpital de verser une amende publique de 500,000 HUF (environ 1,700 USD) et de publier la décision pendant 60 jours sur le site Web de l’hôpital.  (L'Autorité n'a pas compétence pour ordonner une indemnisation et ne peut qu’imposer une amende publique). L’Autorité a statué que l’enquête de l’hôpital n’était pas juste ni impartiale compte tenu que : le médecin qui avait harcelé la requérante avait aussi réalisé par la suite l’enquête menée par l’hôpital et, à la demande de ce médecin, les membres du personnel hospitalier concernés avaient formulé leur version des faits ensemble.  Par contre, la requérante avait présenté un témoignage cohérent et convaincant et pouvait faire la distinction entre les personnes qui avaient seulement assisté à l’incident et celles qui l’avaient discriminée.  L’Autorité a également tenu compte du fait que, pendant l’accouchement, la requérante se trouvait dans une situation particulièrement délicate qui la rendait plus vulnérable et que l'hôpital n’avait présenté aucune documentation concernant son enquête sur les allégations.   

Application des décisions et résultats: 

L’hôpital a déjà mis en œuvre la décision : il a versé l’amende et publié la décision pendant 60 jours sur son site Web. Pour ce qui est des résultats plus généraux, l’affaire a suscité un grand intérêt médiatique et a donc été connue du grand public hongrois.   Selon Judit Geller (CEDR), « la plupart des reportages présentés par les médias sur l’affaire étaient favorables et sensibles.   Cependant, l’hôpital a surtout gardé le silence et refusé de parler aux médias. » Le CEDR continue de surveiller la situation dans la région de façon à déterminer si des pratiques discriminatoires du même ordre se poursuivent ou non.

Groupes impliqués dans le cas: 

European Roma Rights Centre (ERRC)

Importance de la jurisprudence: 

C’est la première affaire en Hongrie où une instance décisionnelle a conclu à une violation du droit à l'égalité – plus précisément une discrimination sous forme de harcèlement fondé sus des stéréotypes ethniques – en lien avec des affirmations faites à une femme rom fondées sur son origine ethnique dans un établissement de santé, en rapport avec les droits en matière de santé sexuelle et reproductive.  La décision fait aussi ressortir l’attention que prête l’Autorité à la situation vulnérable des femmes qui accouchent seules dans un hôpital.  

Comme l'a souligné Judit Geller (CEDR), la décision devrait être interprété dans le contexte plus large d’une discrimination généralisée et persistante à l’égard des communautés roms dans toute l’Europe, ainsi qu’en rapport avec l’obligation qui revient aux États dans le cadre juridique international d’adopter une approche axée sur l’égalité de fait pour assurer la non discrimination et l’égalité pour toutes les personnes dans toutes les situations.  Cette approche exige la prise en compte des affirmations et des actions fondées sur des stéréotypes et l’adoption de mesures positives pour y faire face (voir, par exemple, l’article 5 de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes). Elle apporte également un exemple utile d’une situation concrète où interviennent des identités qui se recoupent, notamment l’identité ethnique et de genre, donnant lieu à des cas de discrimination intersectionnelle.