Affaire DH et autres c. la République tchèque, Requête no 57325/00, (Arrêt de Grande Chambre) (13 novembre 2007)

La mise en œuvre participative de la décision relative à l’affaire D.H. favorise l’intégration des enfants roms dans les écoles tchèques

Dans cette affaire, les requérants contestaient le nombre disproportionné d’enfants roms en République tchèque considérés comme ayant besoin d’une éducation spécialisée et leur ségrégation dans des écoles destinées à des enfants présentant de « légères déficiences mentales ». La Cour européenne des droits de l’homme (Cour EDH) a décidé que les pratiques scolaires constituaient une discrimination indirecte à l’égard des requérants et portaient atteinte à leur droit à l’éducation au titre de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH). Le maintien du modèle participatif et partant de la base pour la mise en œuvre de la décision relative à cette affaire commence à donner des résultats positifs sur le plan de son application. (Résumé rédigé à partir de contributions d’Ostalinda Maya, Open Society Justice Initiative)

Date de la décision: 
13 nov 2007
Forum : 
Cour européenne des droits de l’homme
Type de forum : 
Regional
Résumé : 

Les requérants étaient des enfants tchèques d’origine rom, âgés de neuf à 15 ans, qui avaient été placés, entre 1996 et 1999, dans des « écoles spéciales » destinées aux enfants présentant des déficiences mentales. Leur situation n’avait rien d’exceptionnel. En 1999, la probabilité qu'un enfant rom soit placé dans une « école spéciale » était plus de 27 fois plus élevée que dans le cas d’un enfant non rom.

Les requérants ont fait valoir devant la Cour EDH que la ségrégation fondée sur la race ou l’origine ethnique constituait une violation du droit à l'éducation, reconnu à l'article 14 de la CEDH (interdiction de la discrimination) lu conjointement avec l’article 2 du Protocole no 1 (droit à l'éducation). Ils ont également fait valoir qu'il s'agissait d'une violation du droit à un procès équitable, reconnu à l'article 6 de la CEDH, et de l’article 3, concernant le traitement dégradant. Les plaintes au titre des articles 3 et 6 ont été déclarées inadmissibles.

En 2007, la Grande Chambre de la Cour EDH a statué qu’il y avait eu une discrimination indirecte à l'égard des requérants dans le contexte de l'enseignement, concluant à une violation de l’article 14 lu conjointement avec l’article 2 du Protocole no 1. La décision a mis l'accent sur le fait que la Convention couvrait non seulement des actes particuliers de discrimination à l'égard de personnes, mais aussi des dispositions structurelles et des pratiques institutionnalisées qui portaient atteinte aux droits fondamentaux de groupes raciaux ou ethniques.

Reconnaissant que les Roms constituent une minorité vulnérable demandant une protection spéciale, la Cour a signalé que cette affaire méritait une attention particulière. La Cour a affirmé qu’elle n’était pas « convaincue que la différence de traitement ayant existé entre les enfants roms et les enfants non roms reposât sur une justification objective et raisonnable et qu'il existât un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but à atteindre » (para. 208). En ce qui concerne la question du consentement parental, la Cour a souligné qu’il est impossible de renoncer au droit de ne pas faire l’objet d’une discrimination raciale, car cela se heurterait à un intérêt public important.

La Cour EDH a expressément appliqué le principe de la discrimination indirecte (para. 185-195), précisant qu’une telle discrimination pourrait prendre la forme d’effets préjudiciables disproportionnés d’une politique ou mesure générale qui, bien que formulée dans des termes neutres, est discriminatoire à l’égard d’un groupe. La discrimination indirecte n'implique pas nécessairement une intention de discriminer (para. 194). La Cour a signalé que, pour évaluer l'incidence de mesures ou de pratiques sur une personne ou sur un groupe, des statistiques fiables et significatives pourraient être acceptées (mais ne sont pas essentielles) pour constituer le commencement de preuve de discrimination indirecte. La Cour a affirmé que lorsqu’un commencement de preuve de discrimination est établi, il incombe à l'État défendeur de la réfuter « en démontrant que la différence en question n'est pas discriminatoire » (para. 189). La cour a également reconnu qu’il « serait en pratique extrêmement difficile pour les intéressés de prouver la discrimination indirecte sans un tel renversement de la charge de la preuve » (para. 189).

La Cour a fait amplement référence à la jurisprudence applicable en matière de droits humains, notamment aux traités internationaux relatifs aux droits humains, tels que la Convention relative aux droits de l’enfant, aux observations/recommandations générales des organes de suivi des traités des Nations Unies et à la jurisprudence comparée.

Au titre de l'article 41 (satisfaction équitable), la Cour a accordé 4,000 euros à chaque requérant pour dommage moral, et 10,000 euros à l'ensemble des requérants pour frais et dépens.

Application des décisions et résultats: 

Au fil des ans, des ONG nationales et internationales ont lancé diverses initiatives pour en promouvoir la mise en œuvre, notamment la communication d’informations au Comité des ministres du Conseil de l’Europe (organe chargé de superviser l’exécution par les États membres des décision de la Cour EDH), des actions de plaidoyer auprès d'organes de suivi des traités des Nations Unies, des publications et des événements d'envergure nationale. Ces efforts ont permis de maintenir cette question au premier rang des préoccupations mais se sont déroulés sans le leadership et sans grande participation des Roms, dont plusieurs n'étaient même pas au courant de la décision ni des efforts de mise en œuvre. Dans les faits, presque rien n’a changé pour les enfants roms.

En 2013, il est devenu évident que la question ne se règlerait pas si les premiers concernés – les familles roms – n’étaient pas au premier rang des efforts déployés pour faire bouger les choses. Les Open Society Foundations (OSF) ont lancé un projet dans la ville de résidence des requérants pour aider les parents roms qui souhaitent s’organiser pour combattre toutes les formes de discrimination ethnique dans l'enseignement. Des parents se sont réunis pour cibler stratégiquement la discrimination pendant le processus d'inscription et la première année du primaire, car un nombre disproportionné d'enfants roms étaient encore à ce stade placés dans des écoles pratiques ou de faible qualité, majoritairement roms. Depuis le lancement de la première campagne d’inscription en 2014, des intervenant-e-s communautaires (avec le soutien et l’encadrement du Bureau de l'initiative pour la justice et des initiatives pour les Roms des OSF) ont aidé des familles roms à inscrire près de 200 enfants dans des établissements d’enseignement régulier de bonne qualité, détournant en même temps des ressources financières qui auraient été affectées à des écoles offrant de piètres résultats scolaires. La campagne consiste en un processus d’inscription organisé, soutenu par la menace de poursuites, visant à renforcer la position des parents par rapport aux écoles et aux municipalités. Les parents se préparent à l'aide d’une formation en organisation communautaire, une formation juridique au sujet de leurs droits et de tactiques leur permettant de résister aux pressions exercées par les professeurs pour qu'ils inscrivent leurs enfants dans des écoles de niveau inférieur. Des moniteurs/trices (généralement les parents roms eux-mêmes) recueillent des données pendant le processus d’inscription afin d’étayer d’éventuelles poursuites. En septembre 2016, le programme d’éducation spéciale a été officiellement aboli. En mars 2017, une affaire de discrimination a été gagnée à la cour régionale.

Cependant, étant donné les enfants roms continuent d'être placés dans des écoles de niveau inférieur, il demeure essentiel de poursuivre les efforts de plaidoyer et d'organisation. Le groupe de parents mène un plaidoyer juridique auprès de la Commission européenne en lien avec les procédures d'infraction contre la République tchèque concernant la persistance de la discrimination dans l’enseignement. Ils sont en voie d’enregistrer Awen Amenca, qui deviendra la première association de parents roms en Europe, et prévoient étendre leurs activités en aidant des parents roms d’autres régions de la République tchèque à promouvoir l’éducation inclusive pour tous les enfants.

Groupes impliqués dans le cas: 

Centre européen pour les droits des Roms et Open Society Justice Initiative. Interventions de tiers présentées par la Step by Step Association, le Fonds d’éducation pour les Roms, l’Association européenne de recherche en éducation de la petite enfance, Minority Rights Group International, le Réseau européen contre le racisme, le Bureau d’information européen sur les Roms, INTERIGHTS, Human Rights Watch et la Fédération internationale des Ligues des droits de l'homme. D’autres ONG, telles qu’Amnesty International, ont contribué aux procédures d’infraction contre la République tchèque par des actions périodiques de recherche et de plaidoyer de suivi.

Importance de la jurisprudence: 

Cette décision historique a été la première à mettre en cause la ségrégation raciale structurelle dans l'enseignement devant la Cour EDH. La décision, démontrant une conception matérielle de l’égalité, contribue considérablement à l'abondante jurisprudence sur la discrimination dans l’enseignement. De plus, pour la première fois, la Cour a expressément appliqué le principe de la discrimination indirecte, précisant sa position concernant le recours aux statistiques et l’impact de la charge de la preuve, offrant ainsi un modèle de stratégie pouvant servir aux minorités ségréguées à combattre d'autres formes de discrimination indirecte dans d'autres contextes. Le principe a été utilisé par la Commission européenne pour faire pression sur la République tchèque et sur d’autres pays d'Europe pour qu'ils adoptent des lois déclarant illégale la discrimination indirecte.

L’approche collective plutôt qu’individuelle de l’affaire est particulièrement importante dans le contexte général de la discrimination continue à l’égard des Roms partout en Europe. Compte tenu que plusieurs Roms continuent de vivre dans des conditions d'extrême pauvreté et de se heurter à de sérieux obstacles à la jouissance de leurs droits fondamentaux, l’accès à l’éducation est primordial. Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies a décrit l'éducation comme étant « à la fois un droit fondamental en soi et une des clefs de l'exercice des autres droits inhérents à la personne humaine ».

Le maintien du modèle de mise en œuvre participative et partant de la base continue à inciter les parents et les alliés à combattre la discrimination largement répandue dans les systèmes d'éducation de la République tchèque et de plusieurs pays d'Europe.