Nombuyiselo Sihlongonyane c. Mholi Joseph Sihlongonyane, (470/2013A) [2013]

Cette décision historique est particulièrement importante car elle applique les obligations constitutionnelles et internationales en matière d'égalité et de non discrimination pour restreindre le principe de la prérogative maritale issu du common law établi depuis longtemps au Swaziland et vient confirmer que les femmes mariées ont le droit d’entamer des procédures judiciaires et d’y participer sans l'assistance ou l'approbation de leur mari.

Date de la décision: 
18 juil 2013
Forum : 
Cour supérieure du Swaziland
Type de forum : 
Domestique
Résumé : 

Nombuyiselo Sihlongonyane et Mholi Joseph étaient mariés civilement et en communauté de biens. [1] En janvier 2013, au motif de l'infidélité de son mari et de sa mauvaise gestion de leurs biens, Sihlongonyane s’est adressée à la Cour supérieure du Swaziland (Cour supérieure) pour demander que soit retirée à son mari la qualité d'administrateur de leurs biens communs. Joseph a déposé une déclaration contraire niant les allégations contenues dans la plainte de Sihlongonyane et mettant en question son droit d’entamer des procédures judiciaires sans son assistance conformément au principe de la prérogative maritale applicable en common law, qui donne au mari le pouvoir exclusif d’administrer les biens communs des époux et place son épouse sous sa tutelle, la privant de l’exercice de la capacité juridique (notamment la capacité de conclure des contrats ou d'ester en justice), à quelques exceptions près.

Le juge a fait remarquer qu’il existait une possibilité de conflit entre les articles 20 et 28 de la Constitution de 2005, qui accordent les mêmes droits aux femmes aux yeux de la loi, et le principe de la prérogative maritale applicable en common law. Il a donc refusé de se prononcer sur la question constitutionnelle et a renvoyé l’affaire devant le juge en chef de la Cour supérieure, qui a convoqué l'assemblée plénière de la Cour supérieure pour trancher la question.

L’assemblée plénière de la Cour supérieure a déterminé que Sihlongonyane était en droit d’intenter une action en justice, concluant que la doctrine de la prérogative maritale applicable en common law était contraire à la Constitution. L’article 20 de la Constitution garantit que toutes les personnes : (1) sont égales devant la loi, (2) jouissent de la protection de la loi et (3) ne doivent pas faire l'objet de discrimination en raison de leur sexe. De même, l’article 28 stipule que les femmes ont droit au même traitement que les hommes. Les considérant conjointement, la Cour supérieure a statué que le principe de la prérogative maritale applicable en common law constitue une discrimination fondée sur le sexe et le genre et qu’il « subordonne illégalement et arbitrairement la femme à l’autorité de son mari et est donc injuste et n’est d’aucune utilité logique ». (para. 24, Traduction non officielle)

La Cour supérieure a également cité l'Observation générale no 28 sur l’égalité des droits entre hommes et femmes du Comité des droits de l'homme des Nations Unies, qui confirme que les États sont tenus de traiter à égalité les hommes et les femmes en ce qui concerne le mariage, conformément au Pacte international relatif aux droits civils et politiques. La Cour supérieure a statué que « la prérogative maritale de la common law, dans la mesure où elle empêche les femmes d’engager des poursuites ou d’être poursuivies sans l’assistance de leur mari, va à l'encontre de la ... Constitution », adoptée en tenant pleinement compte des obligations internationales du pays.

Finalement, la Cour supérieure a invalidé le principe de la prérogative maritale applicable en common law en ce qui concerne la capacité des femmes à engager des poursuites et être poursuivie sans l'assistance de leur mari. Elle a de plus antidaté l’ordonnance d'invalidation à la date du dépôt de la plainte de Sihlongonyane, lui donnant ainsi le droit d’intenter des poursuites contre son mari. Reconnaissant l’importance de sa décision pour toutes les femmes mariées se trouvant dans la même situation, la Cour supérieure a statué que l’ordonnance d’invalidation et la date effective doivent s'appliquer à toutes les plaignantes éventuelles.


[1] Dans ce type de mariage, tous les biens des deux conjoints sont mis en commun, qu’ils aient été acquis avant ou après le mariage et quelle que soit la contribution de chacun. Voir, par exemple, Maxine Langwenya, Open Society Initiative for Southern Africa (OSISA), Historic Step towards Equality for Swazi Women: An Analysis of Aphane v. the Registrar of Deeds, http://www.osisa.org/sites/default/files/open_debate_6_-_doo_aphane_v_registrar.pdf, p. 3).

Application des décisions et résultats: 

Une fois que la question constitutionnelle a été tranchée par une assemblée plénière de la Cour supérieure, l’affaire a été renvoyée au juge de première instance de la Cour supérieure. Dans une décision en date du 19 septembre 2013, le juge a statué que : (1) Sihlongonyane avait démontré le bien-fondé de sa plainte et (2) qu’elle n’était nullement tenue juridiquement ni en vertu d’un devoir de tutelle de s’occuper des invités de Joseph dans son foyer matrimonial (Sihlongonyane vs Sihlongonyane & Another (470/2013) [SZHC207] (19th September 2013); disponible sur : http://www.swazilii.org/sz/judgment/high-court/2013/207/

Le 10 octobre 2013, Sihlongonyane a entamé des procédures demandant l’exécution de la décision ordonnant la restitution de ses biens matrimoniaux, en particulier d’un véhicule. Joseph a fait valoir que le véhicule était un cadeau et qu’il était donc exclu des biens communs. Le 25 octobre 2013, la Cour supérieure a déclaré que, lorsque les parties sont mariées civilement et en communauté de biens, il est bien établi que les biens donnés à l’une ou l'autre des parties au mariage font partie des biens communs. Ainsi, la Cour supérieure a conclu que le véhicule faisait partie des biens communs et devait être restitué à la requérante. (Sihlongonyane v Sihlongonyane & Another (470/13) [2013] SZHC262 (25 October 2013): disponible sur : http://www.swazilii.org/sz/judgment/high-court/2013/262/

Groupes impliqués dans le cas: 

Partie intervenante : Procureur général

Importance de la jurisprudence: 

Cette décision historique est particulièrement importante car elle applique les obligations constitutionnelles et internationales en matière d'égalité et de non discrimination pour restreindre le principe de la prérogative maritale issu du common law établi depuis longtemps et discriminatoire à l’égard des femmes et vient confirmer que les femmes mariées ont le droit d’entamer des procédures judiciaires et d’y participer sans l'assistance ou l'approbation de leur mari.

Malheureusement, la Cour supérieure n'a pas aboli entièrement le principe de la prérogative maritale issu du common law et le Swaziland demeure le seul pays d’Afrique australe à ne pas avoir supprimé ce principe. Toutefois, des démarches en justice sont actuellement en cours au Swaziland pour contester le principe de la prérogative maritale issu du common law dans son intégralité. Si cette décision ne vient pas éliminer le principe de la prérogative maritale, elle le restreint, ce qui a des implications importantes pour le droit des femmes à la propriété, notamment à la terre et au logement, et permet de maintenir la dynamique de remise en cause de ces dispositions concernant les « chefs de famille » et leur influence continue sur le droit coutumier et les pratiques coutumières, et sur les stéréotypes sexistes, partout en Afrique et plus généralement. Ceci est particulièrement important à l’heure actuelle, compte tenu de l’insistance toujours plus grande des mécanismes des droits humains et des organes des Nations Unies pour que soit renforcé le droit des femmes à la propriété, à la terre et à d'autres ressources en s’attaquant concrètement aux lois et pratiques discriminatoires.

Pays :