Le procureur général c. Mary-Joyce Doo Aphane (2010) SZSC 32

Cette affaire concerne la capacité des femmes mariées sous le régime de la communauté de biens à enregistrer des biens conjointement en leur nom et en celui de leur époux. Dans sa décision sur cette affaire, la Cour suprême du Swaziland a confirmé le droit fondamental à l'égalité consacré dans la Constitution.

 

Date de la décision: 
28 mai 2010
Forum : 
Cour suprême du Swaziland
Type de forum : 
Domestique
Résumé : 

Mary-Joyce Doo Aphane, militante des droits des femmes, a entrepris des procédures judiciaires auprès de la Cour supérieure du Swaziland (Cour supérieure) contre le Bureau d’enregistrement des actes, le ministère de la Justice et des Affaires constitutionnelles et le procureur général, soutenant que l’article 16(3) de la Loi sur le registre des actes notariés de 1968 (Loi) portait atteinte à son droit constitutionnel à l'égalité du fait qu'elle interdit aux femmes mariées sous le régime de la communauté de biens[1] d’enregistrer des biens immobiliers, des obligations et autres droits réels en leur propre nom ou conjointement avec leur époux. Aphane a fait valoir que l’article 16(3) était inconstitutionnel en vertu des articles 20 et 28 de la Constitution, qui garantissent respectivement aux femmes le droit à l'égalité devant la loi et le droit au même traitement que les hommes.

Aphane et son époux, Michael Mandla Zulu, se sont mariés sous régime de la communauté de biens. Par la suite, le couple a acheté un terrain dont l’acte de vente portait le nom des deux époux. Ils ont tenté d’enregistrer ce bien sous les deux noms, mais ont été informés que, conformément à l’article 16(3) de la Loi, le bien devait être enregistré exclusivement au nom de Zulu. L’article 16(3) s’inspirait du principe de la prérogative maritale applicable en common law, qui donne au mari le pouvoir exclusif d’administrer les biens communs des époux et place son épouse sous sa tutelle, la privant de l’exercice de la capacité juridique (notamment la capacité de conclure des contrats ou d'ester en justice), à quelques exceptions près.

Toutes les parties ont admis que l'article 16(3) de la Loi était inconstitutionnel et la Cour supérieure en a convenu. Plutôt que d’annuler l’article inadmissible, la Cour supérieure a suivi une démarche de « coupure » (severing) et « d’insertion » (reading in) (ou, en d’autres mots, de reformulation du texte de la loi) de sorte que l’article 16(3) se lise comme suit :

[L]es biens immobiliers, obligations ou autres droits réels ne devront pas être transférés ou cédés à une femme mariée sous le régime de communauté de biens, ou enregistrés à son nom, sauf même si ces biens, obligations ou droits réels sont, en vertu de la loi ou d’une condition d’un legs ou d’un don, exclus de la communauté.

Le procureur général a interjeté appel auprès de la Cour suprême du Swaziland (Cour suprême), soutenant que c’était à l'assemblée législative, et non à la Cour, qu'il revenait de corriger l'inconstitutionnalité de l’article 16(3) de la Loi. Il a de plus fait valoir que la Cour supérieure devrait s’être limitée, dans sa décision, à déclarer que l’article 16(3) n’était pas conforme aux articles 20 et 28 de la Constitution.

Si la Cour suprême a accueilli l’appel et annulé la décision de la Cour supérieure (concernant la modification du texte de la loi), elle a aussi clairement affirmé la conclusion de la Cour supérieure concernant l’inconstitutionnalité et donc la nullité de l’article 16(3). La Cour suprême a suspendu la déclaration de nullité pour une période de 12 mois à partir de la date de sa décision pour permettre au Parlement de légiférer afin de mettre la Loi en conformité avec la Constitution. En attendant l'adoption d'une loi par le Parlement, la Cour suprême a autorisé le Bureau d’enregistrement des actes à enregistrer « les biens immobiliers, obligations et autres droits réels conjointement au nom des conjoints et conjointes mariés sous le régime de la communauté de biens ».


[1] Dans ce type de mariage, tous les biens des deux conjoints sont mis en commun, qu’ils aient été acquis avant ou après le mariage et quelle que soit la contribution de chacun. (Open Society Initiative for Southern Africa, 2012, p. 3

Application des décisions et résultats: 

En juillet 2011, le Parlement a adopté une version actualisée de la Loi permettant aux femmes, y compris aux femmes mariées sous un régime de communauté de biens, d’enregistrer des biens en leur propre nom, De plus, aucun des conjoints ne peut négocier des biens immobiliers ni des droits afférents à des biens immobiliers ou autres à moins que l'autre conjoint y ait consenti par écrit. En octobre 2011, Zwelethu Mnisi, ambassadeur du Swaziland auprès des Nations Unies, a réaffirmé cette idée dans sa déclaration devant la Troisième commission de la 66ème session de l’Assemblée générale des Nations Unies concernant l’avancement des femmes. Jusqu’à maintenant, le gouvernement respecte la loi.

Importance de la jurisprudence: 

Cette décision historique a été largement célébrée par les femmes au Swaziland et dans toute la région comme étant une avancée importante pour la protection des droits de propriété des femmes et la promotion de l'égalité entre les sexes, et la première fois que la Constitution du Swaziland de 2005 servait de base pour protéger les droits des femmes. La victoire d’Aphane témoigne de l'attachement de la cour aux principes d'égalité énoncés aussi bien dans la Constitution que dans les instruments internationaux relatifs aux droits humains auxquels le Swaziland est partie. Il est aussi important de signaler que les fonctionnaires et responsables du gouvernement étaient d’accord avec Aphane pour dire que l’article 16(3) allait à l'encontre des principes d'égalité énoncés dans les articles 20 et 28 de la Constitution. Cependant, la décision n’abordait pas vraiment le principe de la prérogative maritale applicable en common law, qui était à la base de l’article de la Loi en cause.

La décision est particulièrement pertinente aujourd’hui, alors que les femmes possèdent toujours moins de 20 pour cent des terres dans le monde. En Afrique, si 31 pour cent des hommes détiennent des terres à titre individuel, ce n’est le cas que pour 12 pour cent des femmes. S’appuyant sur la reconnaissance internationale de l’importance capitale des droits fonciers et des droits de propriété des femmes, un document publié en juillet 2017 (en anglais) par le Groupe de travail des Nations Unies sur la question de la discrimination à l'égard des femmes en droit et dans la pratique souligne que « [l]a sécurité des droits fonciers des femmes a des effets d’entraînement puissants et continus qui contribuent grandement à la réalisation de l’égalité entre les sexes et de divers ODD et droits humains fondamentaux.