La Cour suprême du Royaume-Uni annule les frais de procédure pour assurer l’accès des travailleurs et travailleuses à la justice

R (à la requête d’UNISON) (requérant) c. le Lord Chancelier (défendeur), [2017] UKSC 51

La Cour suprême du Royaume-Uni a invalidé un arrêté sur les frais à payer (exigeant le paiement de frais de procédure) imposé par le gouvernement dans les tribunaux du travail et le tribunal d’appel en matière d’emploi, le déclarant illégal en vertu du droit tant interne qu’européen, car il entravait l’accès à la justice. Cette affaire a des implications positives importantes pour les droits des travailleurs et travailleuses, l’égalité entre les sexes, ainsi que pour le droit fondamental à un niveau de vie suffisant, et vient renforcer l’état de droit.

Date de la décision: 
26 juil 2017
Forum : 
Cour suprême du Royaume-Uni
Type de forum : 
Domestique
Résumé : 

Avant la promulgation de l’Arrêté de 2013 concernant les frais à payer dans les tribunaux du travail et dans le tribunal d'appel en matière d'emploi (Arrêté sur les frais à payer) au Royaume-Uni, un requérant pouvait engager des procédures et des recours en appel en matière d’emploi sans payer aucun frais. Des frais ont été instaurés au titre de l’Arrêté sur les frais à payer, le montant variant en fonction de facteurs tels que la classification et la complexité de la requête. Les requêtes de type A (frais de 390 £) se réglaient généralement plus rapidement. Les requêtes de type B (1,200 £) concernaient notamment les cas de licenciement injustifié, d’égalité salariale et de discrimination. Elles demandaient généralement une gestion judiciaire plus poussée et la tenue d’audiences plus longues en raison de leur complexité juridique et factuelle. Les requêtes complexes entraînaient donc des frais plus élevés indépendamment du montant de la réparation demandée.

Le syndicat UNISON (le requérant), avec l’appui de la Commission sur l’égalité et les droits humains et du Syndicat des travailleurs et travailleuses autonomes de Grande-Bretagne en tant que parties intervenantes, a contesté la légalité de l’Arrêté sur les frais à payer devant la Cour suprême. Il a fait valoir que les frais portaient indûment atteinte au droit d’accès à la justice en vertu tant du common law que du droit européen, entravaient l’exercice de droits prescrits par la loi en matière d’emploi et étaient discriminatoires pour les femmes et autres groupes protégés.

Le gouvernement a fait valoir que les frais étaient légaux car il n’y avait aucune preuve concluante que quelqu’un avait été privé de l’accès aux tribunaux pour incapacité de paiement. Il considérait que les frais étaient abordables car les personnes démunies étaient admissibles à une annulation intégrale des frais et les autres ont les moyens de payer. Rejetant ces arguments, la Cour a confirmé qu’il ne fallait pas de « preuve concluante » pour déterminer la privation d’accès à la justice. La démonstration d’un risque réel est suffisante et la Cour a déduit de la baisse marquée et soutenue du nombre de requêtes qu’un nombre important de personnes qui auraient autrement déposé une requête considéraient les frais inabordables. L’annulation discrétionnaire des frais a été jugée insuffisante car les problèmes relevés étaient systémiques plutôt que limités à des cas exceptionnels. La Cour a de plus statué que ce ne sont pas seulement des frais inabordables qui entravent l’accès à la justice, mais aussi des circonstances où les frais rendraient futile ou irrationnel le dépôt d'une requête. Fait important, la Cour a conclu que les frais ne pouvaient pas être considérés comme abordables « [l]orsque les ménages aux revenus faibles à moyens ne peuvent assumer les frais qu’en sacrifiant des dépenses ordinaires et raisonnables nécessaires pour maintenir ce qui serait généralement considéré comme un niveau de vie acceptable. »

La Cour a déterminé que même une entrave à l’accès aux tribunaux qui ne soit pas insurmontable sera illégale à moins qu’elle ne puisse être justifiée comme étant raisonnablement nécessaire à la réalisation d’un objectif légitime. Trois arguments ont été avancés pour justifier l’imposition des frais. En premier lieu, que les frais permettraient de faire passer une partie de la charge financière des contribuables aux personnes utilisant le système. En deuxième lieu, pour décourager le dépôt de requêtes mal fondées ou malveillantes. En troisième lieu, pour encourager des règlements plus rapides. À partir des éléments dont elle disposait, la Cour a rejeté chacun des arguments.

Entre autres références légales, la Cour s’est appuyée au niveau national sur le droit constitutionnel au libre accès aux tribunaux et, au niveau régional, sur la norme de la protection judiciaire effective consacrée dans la Convention européenne des droits de l’homme et réaffirmée par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Finalement, la Cour a conclu que l’Arrêté sur les frais à payer était illégal en vertu tant du droit interne que du droit européen du fait qu’il avait l’effet d’entraver l’accès à la justice et a ordonné son annulation.

La Cour a également conclu que l’Arrêté sur les frais à payer était indirectement discriminatoire au titre de la Section 19 de la Loi sur l'égalité de 2010 car les frais plus élevés pour certaines requêtes (c.-à-d. de type B) défavorisaient particulièrement les femmes et autres personnes ayant des caractéristiques protégées, qui déposent une plus grande partie de ces requêtes.

Application des décisions et résultats: 

Le ministre de la Justice a annoncé que la perception de frais prendrait fin immédiatement et que le gouvernement entamerait un processus de remboursement de tous les frais versés depuis 2013.

Groupes impliqués dans le cas: 

Commission de l’égalité et des droits humains

Syndicat des travailleurs et travailleuse autonomes de Grande-Bretagne

Services juridiques d'UNISON

Importance de la jurisprudence: 

Cette décision capitale a été reconnue comme défendant l’accès à la justice pour les travailleurs et travailleuses. Il s’agit d’un jugement historique riche et nuancé qui aborde plusieurs questions essentielles du discours des droits humains, dont un niveau de vie décent, la protection des droits des travailleurs/euses, l’accès à des recours utiles, l’égalité entre les sexes et l’importance de protéger l’état de droit. La décision reconnaît la dynamique de pouvoir inégale entre les travailleurs/euses et leurs employeurs et, pour faire respecter fermement le libre accès aux cours et aux tribunaux, souligne que les droits, pour être effectifs, doivent être exécutoires dans la pratique.

Le droit à un niveau de vie suffisant est un droit fondamental en vertu du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Il est particulièrement important de relever que la Cour a appliqué une étude du niveau de revenu minimum pour étayer sa conclusion selon laquelle, dans certains cas, les travailleurs/euses devaient faire un choix injustifiable entre un niveau de vie décent et l’accès à la justice. Ce jugement démontre que le discours concernant les niveaux de vie décents a une incidence sur la prise de décisions judiciaires et administratives, et par extension, sur les politiques publiques au Royaume-Uni. La décision fait aussi ressortir la nécessité de sauvegarder l’accès à la justice. La disponibilité de recours judiciaires utiles est essentielle à la réalisation des droits humains. L’accès à la justice est en effet un principe fondamental du droit relatif aux droits humains. Un autre résultat important réside dans l’attention accordée à la question de la discrimination indirecte à l’égard des femmes et d’autres personnes ayant des caractéristiques protégée, et dans la ferme position sur l’égalité.