Institute for Human Rights and Development and Others contre République démocratique du Congo, Communication 393/10

La Commission africaine fait la promotion de la responsabilité des entreprises pour les violations des droits humains

La Commission africaine des droits de l’homme et des peuples a appelé à payer une indemnité historique et des réparations communautaires de grande envergure aux victimes de la répression brutale par l’État des activités civiles ayant eu un impact sur les intérêts d’une compagnie minière. Elle a constaté que le gouvernement congolais avait violé de nombreux droits humains, et l’affaire a également fait progresser la responsabilité des entreprises, dans la mesure où la Commission a publiquement réprimandé Anvil Mining Company pour avoir soutenu l’action militaire de l’État et a recommandé la poursuite des employés impliqués.

Forum : 
Commission africaine des droits de l'homme et des peuples
Type de forum : 
Regional
Résumé : 

En 2004, un petit nombre de rebelles légèrement armés a tenté de prendre le contrôle de Kilwa, une petite ville de pêcheurs reculée de la République démocratique du Congo (Congo). À environ 50 km de Kilwa, il y a une mine de cuivre et d’argent, où Anvil Mining Company (Anvil Mining), une petite compagnie minière australo-canadienne, avait des exploitations minières. Le port de Kilwa était notamment la seule liaison de transport permettant d’exporter le minerai vers les usines de transformation des autres pays. En réponse aux troubles à Kilwa, l’armée congolaise a été brutale; les soldats ont bombardé et pillé la ville sans distinction, et ont arbitrairement détenu, torturé et sommairement exécuté des civils. Plus de 70 civils ont été tués, alors que d’autres sont morts plus lentement des suites des blessures infligées par la torture. Suite aux investigations, l’ONU a affirmé que l’armée congolaise avait perpétré des crimes de guerre. L’ONU a également constaté qu’Anvil Mining avait fourni un soutien logistique important à l’action militaire à Kilwa, comprenant la fourniture de transport, de carburant, de nourriture et peut-être même le paiement de quelques soldats.

Au lendemain des atrocités, des poursuites nationales ont été engagées contre les soldats congolais impliqués et les employés d’Anvil, mais sans succès. Le Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme a exprimé sa préoccupation concernant l’ingérence politique dans le processus judiciaire national. Des poursuites judiciaires ont également été intentées contre les employés d’Anvil au Canada et en Australie où Anvil Mining a des bureaux, mais en vain. Finalement, une plainte au nom des huit victimes a été portée auprès de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (Commission) par des groupes de protection des droits humains.

En juin 2016, suite à un long processus de sept ans, la Commission a estimé que le gouvernement congolais avait violé une série de droits humains en vertu de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples dont le droit à la vie (article 4), à un procès équitable (article 7), à la propriété (article 14) et au développement économique, social et culturel (article 22), ainsi que l’interdiction de la torture (article 5), la protection contre les arrestations arbitraires (article 6), et le devoir de garantir l’indépendance des tribunaux (article 26). Elle a ajouté que l’État violait le droit au logement.

La Commission a publiquement réprimandé Anvil Mining et a insisté sur “la nécessité et l’impératif juridique que les entités engagées dans les industries extractive entreprennent leurs activités en tenant dûment compte des droits des communautés d’accueil. hôtes......Cela compred la non participation ou le non soutien à la perpétration de violations des droits de l’homme et des peuples.” (unofficial translation from French).

La Commission a demandé au gouvernement de prendre des mesures diligentes pour poursuivre en justice et punir tant les agents de l’État que les employés d’Anvil Mining impliqués dans les violations. Elle a accordé 2,5 millions de dollars américains aux victimes mentionnées dans la plainte et a exhorté le gouvernement à identifier et indemniser les autres victimes et leurs familles qui ne sont pas parties à la plainte. La Commission a également recommandé, entre autres mesures, que l’État présente des excuses officielles au peuple de Kilwa, exhume et enterre dignement les corps jetés dans des fosses communes, construise un mémorial, reconstruise les écoles, routes et hôpitaux détruits au cours des attaques, et fournisse un suivi traumatique pour ceux qui ont été touchés.

La Commission a ordonné à l’État de s’assurer que la mise en oeuvre de la décision soit supervisée par un comité de suivi composé de représentants des victimes, et un membre de la Commission responsable du pays. Elle a également demandé au gouvernement de faire un rapport sous 180 jours des mesures prises pour mettre en oeuvre la décision.

Application des décisions et résultats: 

Le gouvernement congolais n’a jusqu’à présent pas participé à l’application de cette décision. Il n’y a pas de trace de communication du gouvernement dans le délai de 180 jours pour informer la Commission sur les actions menées en vue de la mise en oeuvre de cette décision. De plus, le comité de suivi susmentionné n’a pas encore été créé. Les ONG continuent d’exhorter le gouvernement à agir. [Entretien par courrier électronique avec Anneke Van Woudenberg, Directrice exécutive, Rights and Accountability in Development (RAID), 26 Mars 2018] Bien que les recommandations de la Commission ne sont pas officiellement contraignantes, les États parties sont censés respecter les décisions et sont soumis à une pression politique. Lors de développements importants, en décembre 2017, le président du groupe de travail de la Commission sur les industries extractives, l’environnement et les droits humains, a envoyé une lettre à Anvil Mining, encourageant la compagnie à reconnaître dans une déclaration publique sa responsabilité dans le manquement à son obligation de protection et à contribuer aux dédommagements que la Commission a accordé aux victimes de Kilwa.

Groupes impliqués dans le cas: 

Trois membres du Réseau-DESC ont activement participé à la présentation de l’affaire devant la Commission: Rights and Accountability in Development (RAID); Action Contre l’Impunité pour les Droits Humains (ACIDH) et the Institute for Human Rights & Development in Africa (IHRDA).

Importance de la jurisprudence: 

Partout dans le monde, les communautés continuent d’être confrontées à des violations généralisées des droits humains, avec des compagnies qui échappent souvent à la responsabilisation. La pratique consistant à avoir recours ou à soutenir les services de sécurité publics pour agir en faveur des intérêts des compagnies et au détriment des communautés locales, ainsi que l’ingérence judiciaire, sont deux des caractéristiques reconnues du phénomène plus large d'emprise des entreprises – moyens par lesquels les grandes entreprises et autres parties prenantes économiquement puissantes sapent la mise en oeuvre des droits humains et du bien-être environnemental en exerçant une influence excessive sur les États. Cette affaire représente une étape fondamentale vers la promotion de la responsabilité des entreprises pour de tels abus, dans la mesure où il a été explicitement demandé à l’État de prendre des mesures contre les responsables d’Anvil Mining. De plus, les recours recommandés ont compris la plus haute compensation jamais accordée par la Commission, ainsi que des mesures collectives globales, innovantes, structurelles et réparatrices dirigées à la fois aux victimes et à la communauté en général. La Commission internationale de juristes a commenté que cette décision constitue “…un vrai pas vers la reconnaissance de la responsabilité de l’État de la RDC et de la compagnie Anvil Mining…les victimes et leurs familles auront maintenant la possibilité de chercher des recours et réparations, ce qui comprend la poursuite des autorités étatiques responsables et de la compagnie Anvil Mining, ou au moins tout personnel responsable et/ou cadres supérieurs.”

Les attaques violentes et la bataille juridique de 13 ans qui s’est ensuivie témoignent d’un besoin continu de mettre en place un cadre juridique international relatif à la responsabilité des entreprises, afin de clarifier les obligations des États (y compris extraterritoriales) dans la réglementation des activités des entreprises et d’éliminer les obstacles à la justice. À cette fin, les membres et alliés du Réseau-DESC travaillent collectivement pour promouvoir un traité des Nations Unies solide pour prévenir et remédier aux violations des droits humains par ou associées aux actions des sociétés transnationales et autres compagnies. De plus, les pratiques d’emprise des entreprises sont analysées et traitées par le biais du Projet de l’emprise des entreprises du Réseau-DESC.

Dernière mise à jour le 26 mars 2018