Onyibor Anekwe et Anor c. Mrs. Maria Nweke, Cour suprême du Nigeria, SC. 129/2013

Égalité entre les sexes dans les droits de succession affirmée par la Cour suprême du Nigeria

Cette affaire remet en cause le droit coutumier de primogéniture masculine (le droit de succession correspondant au fils aîné) du peuple awka au Nigeria.La Cour suprême du Nigeria a conclu que toute coutume qui prive les femmes, en particulier les veuves, de leur héritage est incompatible avec la justice naturelle, l'équité et la bonne conscience et est condamnée par la Cour suprême.

Date de la décision: 
11 avr 2014
Forum : 
Cour suprême du Nigeria
Type de forum : 
Domestique
Résumé : 

À la suite du décès de son mari, Mme Maria Nweke a été priée de quitter son domicile par le père de son défunt mari au motif qu’elle n’avait aucun garçon.Mme Nweke a porté cette affaire en justice soutenant que, selon les coutumes du peuple awka, une femme hérite des biens de son mari, qu’elle ait ou non un garçon. Les défendeurs/appelants, qui sont le beau-père et le beau-frère de Mme Nweke, ont d’abord affirmé que la primogéniture masculine était la règle de droit coutumier du peuple awka et que, par conséquent, en l'absence d'un héritier mâle, les biens reviennent au père et au frère aîné du défunt. La société Ozo Awka a examiné le différend et déclaré que le beau-père était le propriétaire du campement, mais que, selon la coutume awka, l’épouse ne serait pas expulsée du campement du mari. Les appelants ont par la suite modifié leur argument soutenant que la propriété en question n’avait jamais été divisée par le beau-père de la requérante. Les appelants soutiennent ainsi qu’il ne s’agit pas d’une question de succession, mais bien de savoir si la requérante est locataire à volonté sans aucun droit sur la propriété.

La Haute Cour de justice de l’état d’Anambra a statué en faveur de la plaignante et déclaré qu’elle avait un droit légal sur le terrain en litige. Le juge a également accordé une injonction interdisant aux défendeurs toute autre incursion sur le terrain. Les défendeurs ont appelé de la décision devant la Cour d’appel, qui a réaffirmé la décision de la Haute Cour. L’affaire a de nouveau été portée en appel, cette fois devant la Cour suprême du Nigeria, où les appelants ont soulevé deux questions :(1) si la décision était juste concernant la question du déshéritement par rapport au fait que le terrain avait été divisé ou non ; et (2) si la Cour d’appel avait raison de maintenir la décision de la Haute Cour.

La Cour suprême a conclu que tant la question du déshéritement que celle de la division étaient en cause dans l’affaire. Cependant, la Cour a déclaré qu’une fois que la question du déshéritement avait été tranchée en faveur de la plaignante/requérante, la question de la division devenait sans importance. De plus, la Cour suprême a condamné la coutume et les pratiques du peuple awka, concluant que la coutume de déshériter une femme était incompatible avec la justice naturelle, l’équité et la bonne conscience. Le jugement soulignait qu’une « coutume de cette nature dans le contexte sociétal du 21èmesiècle ne fera qu’illustrer l'absence des réalités de la civilisation humaine. Il s’agit d’une coutume punitive, barbare et destinée uniquement à protéger la perpétration égoïste de la dominance masculine, qui vise à supprimer le droit des femmes dans la société en question. On s’attendrait à ce qu’une discrimination différentielle aussi évidente n’ait plus cours. Toute culture qui exclut une fille de la succession de son père ou une femme de la succession de son mari en raison de différences de genre établies par Dieu devrait faire l’objet de mesures punitives et décisives. …Que la veuve d’un homme soit chassée de son domicile conjugal, où elle a vécu toute sa vie avec son défunt mari et ses enfants, par les frères de son défunt mari, sous prétexte qu’elle n’a pas de garçon, est en effet très barbare… ». La Cour a maintenu la décision de juridiction inférieure et imposé aux appelants le versement d’une somme dissuasive pour empêcher que d’autres femmes ne soient déshéritées.

Application des décisions et résultats: 

La règle de primogéniture masculine du droit coutumier awka a été invalidée du fait qu’elle est incompatible avec la justice naturelle, l'équité et la bonne conscience.

Importance de la jurisprudence: 

La Cour suprême du Nigeria a appliqué dans cette affaire le critère de l’incompatibilité, selon lequel la cour ne validera ni ne fera respecter aucune règle ou pratique coutumière qui soit incompatible avec la justice naturelle, l’équité et la bonne conscience. La décision peut inciter les tribunaux à appliquer le critère d’incompatibilité pour traiter les questions liées aux lois et pratiques coutumières qui portent atteinte aux droits des femmes et à l’égalité entre les sexes.

La Cour a rendu sa décision dans l’affaire Anekwe c. Nwekele même jour que celle concernant l’affaire Ukeje c. Ukeje. Dans les deux cas, la Cour suprême a condamné le fait que le droit coutumier refuse de reconnaître aux femmes le droit d’hériter d’une propriété. Le droit coutumier au Nigeria est une importante source de droit, mais les conclusions dans ces deux affaires montrent que la validité des règles coutumières dans le système juridique dépend de la conformité de ces règles à la Constitution et de leur compatibilité avec la justice naturelle, l’équité et la bonne conscience. Dans un pays comme le Nigeria, où il existe une grande disparité entre les hommes et les femmes, qui tient en grande partie aux cultures et pratiques traditionnelles, les conclusions dans ces deux affaires constituent un pas important pour la protection des droits de propriété des femmes et l’égalité entre les sexes.

L’égalité entre les sexes dans les questions de succession est particulièrement pertinente aujourd’hui, alors que les femmes possèdent toujours moins de 20 pour cent des terres dans le mondeEn Afrique, si 31 pour cent des hommes détiennent des terres à titre individuel, ce n’est le cas que pour 12 pour cent des femmes. Diverses études révèlent que le droit des femmes à posséder des biens, dont des terres, et à en hériter, est fondamental pour rompre le cycle de la pauvreté. D’après un rapport d'ONU-Habitat, « [l]’héritage est l'un des moyens les plus courants par lesquels les femmes peuvent acquérir des terres ou y avoir accès...Cependant, la recherche de l’égalité entre les sexes sur le plan des droits de succession est ce qui a posé le plus de difficultés dans les approches fondées sur les droits, en raison de la complexité ainsi que des caractéristiques patriarcales bien enracinées des pratiques socio-économiques, culturelles et religieuses. Les mécanismes des droits humains et les organes des Nations Unies insistent toujours plus pour que soit renforcé le droit des femmes à la propriété, à la terre et à d'autres ressources en s’attaquant concrètement aux lois et aux pratiques discriminatoires. Dans le contexte de ces contestations contemporaines entourant les lois coutumières liées à l’héritage, la jurisprudence a beaucoup évolué dans divers pays, dont l’Inde, la Tanzanie et l’Afrique du Sud.

Un merci particulier au membre du Réseau DESC : Programme sur les droits humains et l’économie mondiale (PHRGE) de la Northeastern University.

Dernière mise à jour : 16 juillet 2018