Mme Lois Chituru Ukeje et Enyinaya Lazarus Ukeje c. Mme Gladys Ada Ukeje, Cour suprême du Nigeria, SC. 224/2004

La Cour suprême du Nigeria fait valoir les droits de propriété des femmes

Dans cette affaire, la Cour suprême du Nigeria, dans une décision unanime, a confirmé que la loi de succession coutumière du peuple igbo, qui exclut les filles de la succession de leur père défunt, entrait en conflit avec les dispositions relatives à la non-discrimination de la Constitution nigériane de 1999, et était donc nulle.

Date de la décision: 
11 avr 2014
Forum : 
Cour suprême du Nigeria
Type de forum : 
Domestique
Résumé : 

En décembre 1961, Lazarus Ogbonnaga Ukeje, qui avait des biens immobiliers dans l’état de Lagos, est décédé sans testament. Les appelants sont son épouse Mme Lois Ukeje et son fils M. Enyinnaya Lazarus Ukeje, qui ont tous deux obtenu des Lettres d’administration de la succession du défunt. La plaignante/requérante est la fille du défunt et a intenté cette action pour obtenir un jugement déclarant qu’en tant que fille du défunt, elle a droit à sa part de la succession. Le juge de première instance a statué en faveur de la plaignante, déclaré que les Lettres d’administration étaient nulles et non avenues, accordé une injonction interdisant aux défendeurs d’administrer la succession et ordonné l’élaboration de nouvelles Lettres d’administration. Les défendeurs/appelants ont introduit un recours, qui a été rejeté par la Cour d’appel (Division de Lagos) faute de fondement. L’affaire a été portée devant la Cour suprême du Nigeria par les appelants qui en appelaient de la décision de la Cour d’appel. Nous examinons uniquement ici l’aspect de l'affaire concernant la loi coutumière igbo qui ne reconnaît pas aux femmes le droit d’hériter.

Toutes les parties intervenant dans cette affaire appartiennent au groupe ethnique igbo. La Cour suprême a maintenu inchangée la conclusion des juridictions inférieures voulant que la loi coutumière igbo qui retire à une femme le droit d'hériter des biens du père défunt est nulle du fait qu'elle entre en conflit avec le droit fondamental à la non-discrimination établi dans la section 42(1)(a) et (2) de la Constitution de 1999.Partant d’une interprétation textuelle de la Constitution, la Cour a de plus précisé que, quelles que soient les circonstances de la naissance d’une fille, cette fille avait le droit d'hériter des biens de son défunt père. Cela indiquerait qu'il importe peu que la fille soit née hors mariage.

Lorsque le tribunal de première instance a rendu sa décision, le juge a statué que la plaignante était en fait la fille du défunt et qu’elle avait donc droit à une part des biens immobiliers. De plus, le juge de première instance a déclaré nulles et non avenues les Lettres d’administration faites au nom des deux défendeurs, ordonné aux défendeurs de dresser un inventaire de la succession et/ou de rendre des comptes de l’ensemble des fonds, des transactions et/ou des biens qui sont entrés en leur possession depuis l’octroi desdites Lettres d’administration. Une injonction a également été ordonnée interdisant aux défendeurs d’administrer la succession du défunt. Finalement, le juge de première instance a ordonné aux défendeurs de remettre l’administration de la succession à l’administrateur général dans l’attente de nouvelles Lettres d’administration. La Cour suprême a rejeté le recours et maintenu la décision du tribunal de première instance.

Application des décisions et résultats: 

Cette décision a eu pour effet concret d’annuler la loi coutumière igbo qui excluait les filles de la succession de leur défunt père.

Cependant, comme indiqué en 2021, les femmes de certaines parties du sud-est du Nigéria continuent de faire face à une profonde discrimination en matière d'héritage malgré la décision de la Cour suprême.

Importance de la jurisprudence: 

La Cour a rendu sa décision dans l’affaire Ukeje c. Ukejele même jour que celle concernant l’affaire Anekwe c. Nweke. Dans les deux cas, la Cour suprême a condamné le fait que le droit coutumier refuse de reconnaître aux femmes le droit d’hériter d’une propriété. Bien qu’il n’en soit pas explicitement fait mention, le jugement dans la présente affaire a aussi mis en lumière des questions de discrimination multiple ou intersectionnelle, où la discrimination est vécue de façon plus profonde ou particulière en lien avec l'exclusion de la succession au motif du genre en même temps que des circonstances de la naissance (c.-à-d. naissance hors mariage).Le droit coutumier au Nigeria est une importante source de droit, mais les conclusions dans ces deux affaires montrent que la validité des règles coutumières dans le système juridique dépend de la conformité de ces règles à la Constitution et de leur compatibilité avec la justice naturelle, l’équité et la bonne conscience. Dans un pays comme le Nigeria, où il existe une grande disparité entre les hommes et les femmes, qui tient en grande partie aux cultures et pratiques traditionnelles, les conclusions dans ces deux affaires constituent un pas important pour la protection des droits de propriété des femmes et de l’égalité entre les sexes.

L’égalité entre les sexes dans les questions de succession est particulièrement pertinente aujourd’hui, alors que les femmes possèdent toujours moins de 20 pour cent des terres dans le mondeEn Afrique, si 31 pour cent des hommes détiennent des terres à titre individuel, ce n’est le cas que pour 12 pour cent des femmes. Diverses études révèlent que le droit des femmes à posséder des biens, dont des terres, et à en hériter, est fondamental pour rompre le cycle de la pauvreté. D’après un rapport d'ONU-Habitat, « [l]’héritage est l'un des moyens les plus courants par lesquels les femmes peuvent acquérir des terres ou y avoir accès...Cependant, la recherche de l’égalité entre les sexes sur le plan des droits de succession est ce qui a posé le plus de difficultés dans les approches fondées sur les droits, en raison de la complexité ainsi que des caractéristiques patriarcales bien enracinées des pratiques socio-économiques, culturelles et religieuses. Les mécanismes des droits humains et les organes des Nations Unies insistent toujours plus pour que soit renforcé le droit des femmes à la propriété, à la terre et à d'autres ressources en s’attaquant concrètement aux lois et aux pratiques discriminatoires. Dans le contexte de ces contestations contemporaines entourant les lois coutumières liées à l’héritage, la jurisprudence a beaucoup évolué dans divers pays, dont l’Inde, la Tanzanie et l’Afrique du Sud.

Un merci particulier au membre du Réseau DESC :Programme sur les droits humains et l’économie mondiale (PHRGE) de la Northeastern University.

Dernière mise à jour : 16 juillet 2018