STC 4360-2018

La Cour suprême colombienne se prononce pour la protection des générations futures et de la forêt tropicale amazonienne dans une affaire relative aux changements climatiques

La Cour suprême de la Colombie s’est prononcée en faveur de 25 jeunes et enfants en Colombie qui avaient fait valoir avec succès que le gouvernement colombien n’avait pas réduit la déforestation en Amazonie malgré ses obligations nationales et internationales et les engagements qu’il a pris dans le cadre de sommets sur les changements climatiques.  La Cour suprême a conclu que les générations futures peuvent intenter une action pour protéger leur droit à un environnement sain, à la vie, à l’alimentation, à l’accès à l’eau et à la santé et que l’Amazonie colombienne est une entité sujet de droits pouvant bénéficier d’une protection juridique.

Date de la décision: 
5 avr 2018
Forum : 
Cour suprême de justice de la Colombie
Type de forum : 
Domestique
Résumé : 

Avec le soutien de Dejusticia, 25 enfants et jeunes ont intenté une action contre le président de la Colombie, le ministère de l’Environnement, le ministère de l’Agriculture et les municipalités de l’Amazonie colombienne soutenant que la déforestation dans la région amazonienne du pays et les émissions de gaz à effet de serre qui en résultent menacent leur droit à un environnement sain, à la vie, à l’alimentation et à l’accès à l’eau.  Les plaignant-e-s ont fait valoir que le gouvernement colombien est tenu par au moins trois engagements de réduire la déforestation.  1) au titre de l’Accord de Paris, le gouvernement colombien s’est engagé à réduire les émissions de gaz à effet de serre et, la déforestation étant la principale source d’émissions dans le pays, la réduire est essentiel à l’atténuation des émissions ; 2) au titre d’une Déclaration conjointe de la Colombie, l’Allemagne, la Norvège et le Royaume-Uni, le gouvernement colombien s’est engagé à parvenir à zéro déforestation nette en Amazonie en 2020 ; et 3) au titre de la loi colombienne 1753 de 2015, le gouvernement est tenu de réduire le taux annuel de déforestation dans le pays.  Les plaignant-e-s ont fait valoir que l’absence de mesures efficaces de la part de la Colombie pour atteindre l’objectif zéro déforestation nette a eu et aura une incidence sur leurs droits individuels et collectifs.

La Cour suprême a conclu que « le droit fondamental à la vie, la santé, à la satisfaction des nécessités de base, à la liberté et à la dignité humaine est étroitement lié à l’environnement et à l’écosystème et déterminé par ceux-ci ». Ainsi, il existe un lien intrinsèque entre l’environnement et les droits fondamentaux et les enfants et les générations futures peuvent avoir recours à une tutela (mécanisme juridique colombien pour la protection des droits fondamentaux) sans la permission de leurs parents ou de leurs représentants légaux pour intenter une action visant à protéger leurs droits.  Par ailleurs, la Cour a conclu que « l’État constitutionnel » vise le respect de « l’autre » comme limite des principes juridiques et, dans le cas en l'espèce, « l’autre » s’étend aux populations habitant la planète, dont les générations futures, ainsi que d’autres espèces animales et végétales.

Après avoir déterminé que l’affaire était recevable, la Cour a demandé s’il existe « une relation juridique obligatoire des droits environnementaux des générations futures…, dont l’effet se traduit par une restriction de la liberté d’action des générations présentes ». La Cour a consulté la Constitution colombienne de 1991 et conclu que ses concepts, ainsi que la jurisprudence, le droit international et les spécialistes, faisaient du droit à un environnement sain un droit fondamental.  De plus, la Cour a tenté de mettre en avant le nouveau domaine des droits bioculturels, qui considère que la nature et l’environnement sont titulaires de droits.  La Cour suprême a donc reconnu l’Amazonie colombienne comme sujet de droits.

Concernant la question de la déforestation de l’Amazonie, la Cour a déterminé que le gouvernement n’avait pas fait face efficacement à la problématique malgré ses obligations.  La Cour a donc ordonné aux autorités concernées de formuler – avec la participation des plaignant-e-s, des communautés touchées et de la population en général – une série de plans d’action, dont un pacte intergénérationnel, visant à combattre la déforestation, les émissions de gaz à effet de serre et les effets des changements climatiques en rapport avec l’Amazonie colombienne. 

Application des décisions et résultats: 

La Cour a ordonné au gouvernement d’élaborer les plans d’action susmentionnés dans un délai de quatre à cinq mois selon le plan à compter de la date de notification de la décision.

En raison des délais serrés imposés par la Cour suprême, avant juillet 2018, le ministère de l’Environnement avait tenu cinq ateliers dans cinq municipalités différentes de l’Amazonie colombienne, où il avait consulté les jeunes plaignant-e-s, les communautés, les autorités environnementales et autres acteurs clés au sujet des politiques permettant de satisfaire aux ordonnances de la Cour.  Ces ordonnances portent notamment sur l’élaboration d’un Pacte intergénérationnel pour la vie de l’Amazonie colombienne, la formulation de plans à court, moyen et long terme pour en arriver à zéro déforestation nette et l’alignement des plans d’aménagement du territoire sur les objectifs de déforestation dans un délai de quatre ou cinq mois selon le plan.  En plus des participantes et participants aux ateliers, plusieurs jeunes et plusieurs communautés se sont unis à la cause à travers les réseaux sociaux, et les plaignant-e-s étant les premiers intéressés à ce que la décision de la Cour suprême soit pleinement respectée, sont devenus porte-paroles de l’affaire et de la cause dans leurs localités respectives.  (Courriel de Gabriela Eslava, Dejusticia, 11 janvier 2019).

 

Bien que les délais aient expiré, le ministère de l’Environnement et le ministère de l’Agriculture demeurent responsables de veiller au plein respect des ordonnances de la Cour, en coordination avec d’autres organismes gouvernementaux.  En attendant, d’autres organismes gouvernementaux qui n’ont pas été appelés par la cour, tels que l’Institut colombien de bien-être familial, ont manifesté leur intérêt à contribuer à l’application intégrale de la décision en mettant à profit leurs propres capacités et réseaux.   Le 29 novembre 2018, le président colombien a publié une directive confiant à certains organismes gouvernementaux des tâches précises afin d’assurer l’application de la décision de la Cour suprême. Voici quelques-unes des difficultés que pose l’exécution de cette décision :  1) la définition de l’étendue et de la force contraignante du Pacte intergénérationnel pour la vie de l’Amazonie colombienne, 2) la nécessité de veiller à une plus grande participation des communautés qui habitent l’Amazonie à l’exécution des ordonnances, et 3) le renforcement institutionnel des autorités environnementales pour permettre la réalisation de l’objectif zéro déforestation. (Courriel de Gabriela Eslava, Dejusticia, 11 janvier 2019).

Groupes impliqués dans le cas: 
Importance de la jurisprudence: 

Il s’agit d’une décision historique en Amérique latine concernant les changements climatiques et les générations futures, la première en son genre rendue par une juridiction supérieure dans la région.  En plus de reconnaître les droits des générations futures à un environnement sain et de déclarer l’Amazonie colombienne entité titulaire de droits, la Cour a aussi, dans cette affaire,  interprété les engagements pris par la Colombie au titre des Accords de Paris comme applicables au niveau national.  La décision vise à réduire à zéro la déforestation nette en Amazonie et ainsi réduire les émissions de gaz à effet de serre, en réaction aux statistiques qui révèlent que la déforestation a augmenté de 44% de 2015 à 2016.

L’affaire est importante pour trois grandes raisons : 1) elle contribue au développement de la jurisprudence affirmant que les changements climatiques et leurs impacts menacent les droits humains et devraient donc être atténués pour protéger les droits humains ; 2) elle assure la reconnaissance des droits des générations futures, particulièrement leur droit de se faire entendre dans la formulation des politiques qui les concernent ou qui les concerneront plus tard ; et 3) elle fait avancer les débats sur les droits de la nature.   (Courriel de Gabriela Eslava, Dejusticia, 11 janvier 2019).

En premier lieu, l’affaire contribue à la nouvelle tendance du contentieux climatique par lequel des citoyen-ne-s tentent d’amener leurs gouvernements à répondre de l’absence ou de l’insuffisance de mesures de lutte contre les causes profondes des changements climatiques dans leurs juridictions malgré les obligations nationales et internationales et des engagements clairs pris volontairement par ces mêmes gouvernements dans le cadre de conférences des Nations Unies sur les changements climatiques. La vague croissante de procès liés au climat contribue à la formulation de normes juridiques internationales claires qui obligent les États à protéger la stabilité du système climatique.  L’affaire était fondée sur les dernières avancées de la science climatique, qui peut maintenant attribuer plus précisément certains événements extrêmes aux changements climatiques. Les plaignant-e-s ont utilisé des informations officielles produites par le défendeur lui-même, le gouvernement, pour démontrer clairement que le déforestation est la principale source d'émissions de gaz à effet de serre en Colombie. Enrayer la déforestation serait donc essentiel pour réduire les émissions et, par conséquent, les effets des changements climatiques et leurs répercussions sur le plan des droits humains.  (Courriel de Gabriela Eslava, Dejusticia, 11 janvier 2019).

En deuxième lieu, la cour a déclaré l’importance de protéger les droits des générations futures – qui subiront les pires effets de la déforestation et du réchauffement planétaire. Cette affaire a donné une voix aux enfants et aux jeunes qui sont allés devant les tribunaux pour exiger la protection de leurs droits. Dans sa décision, la Cour suprême de justice a reconnu les droits et les obligations des générations présentes et futures concernant la réduction de la déforestation et des changements climatiques.  (Courriel de Gabriela Eslava, Dejusticia, 11 janvier 2019).

En troisième lieu, la Cour suprême a reconnu l’Amazonie colombienne comme entité titulaire de droits pouvant bénéficier des mesures de protection, de conservation, d’entretien et de réhabilitation menées par l’État et les organismes territoriaux.  Cela signifie que lorsque l’intégrité de l’Amazonie est en péril, les citoyennes et citoyens peuvent aller devant les tribunaux pour exiger sa protection. Cela fait avancer le débat sur les droits de la nature et sur leur étendue, leur signification et leurs conséquences concrètes. (Courriel de Gabriela Eslava, Dejusticia, 11 janvier 2019).

Pour leurs contributions, un remerciement particulier aux membres du Réseau DESC : Le Programme sur les droits humains et l’économie mondiale (PHRGE) de la Northeastern University et Dejusticia

Dernière mise à jour : 11 janvier 2018