Activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), Indemnisation due par la République du Nicaragua à la République du Costa Rica, CJI, Rôle général no 150, 2018

La Cour internationale de justice fait avancer la jurisprudence progressiste en matière d’environnement

Cette affaire jugée par la Cour internationale de justice (CIJ) détermine le niveau de l’indemnisation due au Costa Rica par le Nicaragua pour dommages environnementaux transfrontaliers.  Elle fait suite à un jugement rendu en 2015 en faveur du Costa Rica, dans lequel la CIJ a déclaré que le Nicaragua avait violé la souveraineté territoriale du Costa Rica et qu’il avait l’obligation de payer une indemnité pour les dommages causés, notamment à l’environnement.

Date de la décision: 
2 fév 2018
Forum : 
Cour internationale de justice
Type de forum : 
International
Résumé : 

Cette affaire est précédée par la décision rendue en 2015 par la CIJ, qui a conclu que le territoire litigieux entre le Costa Rica et le Nicaragua appartenait au Costa Rica, et qu'en y creusant trois caños (canaux) et en y établissant une présence militaire, le Nicaragua avait violé la souveraineté territoriale du Costa Rica. Cette conclusion a rendu les activités du Nicaragua illicites en vertu du droit international, ce qui a donné lieu à une obligation de réparation de la part du Nicaragua. S’appuyant sur sa jurisprudence, la Cour a réaffirmé que l’indemnisation peut constituer une forme de réparation appropriée.  

La Cour a statué que le Nicaragua doit indemniser le Costa Rica pour les dommages matériels, dont les dommages environnementaux, causés par les activités illicites du Nicaragua en territoire costaricien.  L’affaire a été portée devant la CIJ après que les parties ont tenté sans succès de déterminer un niveau d’indemnisation acceptable. Le principal point en litige entre les parties dans cette affaire était de trouver la méthode appropriée pour déterminer l’indemnisation pour dommages environnementaux.   

Costa Rica a adopté la « méthode des services écosystémiques » (ou « cadre d’évaluation des services environnementaux »), selon laquelle les services issus de l’environnement qui sont susceptibles d’être commercialisés et ont une « valeur d’usage direct » et ceux qui ne sont pas commercialisés, tels que la prévention des inondations ou la régulation des gaz) ont une « valeur d’usage indirect ». Selon cette approche, l’évaluation des dommages environnementaux doit tenir compte à la fois de la valeur directe et de la valeur indirecte des biens et services environnementaux pour donner une idée exacte de la valeur de l’environnement.  Costa Rica a affirmé que ce cadre est largement reconnu sur le plan international et qu’il est approprié aux termes de la Convention de Ramsar relative aux zones humides d’importance internationale.

En revanche, le Nicaragua a fait valoir que le Costa Rica avait droit aux « coûts de remplacement », c’est-à-dire que le Costa Rica « a droit à une indemnisation pour le coût du remplacement des services environnementaux qui soit ont été perdus soit risquent de l’être tant que la zone touchée n’est pas reconstituée ». La méthode de calcul se réfère au prix qui devrait être payé pour financer la conservation d’une zone équivalente jusqu’à ce que la zone touchée soit rétablie. À l’appui de sa méthode, le Nicaragua a affirmé que la Commission d’indemnisation des Nations Unies utilisait cette approche plutôt que celle proposée par le Costa Rica.   

Le Costa Rica a affirmé qu’en utilisant « l’approche écosystémique », il faudrait environ 50 ans pour que la zone touchée se reconstitue et que, par conséquent, le Nicaragua lui devait 6.711 millions USD en dommages-intérêts, et environ 500,000 USD en intérêts compensatoires.  Par contre, selon le Nicaragua, en utilisant la théorie des « coûts de remplacement », la période de rétablissement serait de 20 à 30 ans et les dommages-intérêts dus au Costa Rica ne sauraient excéder 188,504 USD.

Pour déterminer l’indemnisation appropriée, la CIJ a décidé de n’adopter aucune des deux approches, mais bien d’emprunter à chacune les éléments qui offriraient une base raisonnable d’évaluation.  La Cour a déclaré que dans les cas de dommages environnementaux, « la question de leur existence et du lien de causalité peut soulever des difficultés particulières ». À cet égard, la Cour a déterminé que, pour recevoir une indemnisation, il doit exister un « lien de causalité suffisant entre le fait illicite et le préjudice subi ». Pour ce qui est de l’indemnisation des dommages environnementaux, la Cour a précisé que celle-ci comprend une indemnité pour la dégradation ou la perte de biens et services environnementaux subie pendant la période précédant la reconstitution, et une indemnité pour la restauration de l’environnement endommagé. En ce qui concerne l’approche méthodologique, la Cour a signalé qu’il convient, « pour estimer les dommages environnementaux, d’appréhender l’écosystème dans son ensemble en procédant à une évaluation globale de la dégradation ou perte de biens et services environnementaux avant reconstitution ».

En appliquant cette approche, la Cour a tenu compte des arbres abattus pour le creusement des caños, des dommages causés à la zone humide du Nord-Est des Caraïbes, qui est protégée par la Convention de Ramsar, et finalement, de la capacité de régénération naturelle de la zone touchée. Tenant compte de ces facteurs, la Cour a examiné toutes les plaintes portées par le Costa Rica et déterminé s’il existait « un lien de causalité suffisamment direct et certain » entre les dommages dont le Costa Rica fait état et les activités du Nicaragua. Finalement, la Cour a accordé au Costa Rica la somme de 378,890.59 USD en dommages-intérêts et en intérêts compensatoires, devant être versée au plus tard le 2 avril 2018.

Application des décisions et résultats: 

En ce qui concerne l’exécution, par lettre en date du 22 mars 2018, le Nicaragua a informé la Cour que, le 8 mars 2018, il avait versé au Costa Rica le montant total de l’indemnité de 378,890.59 USD.

Importance de la jurisprudence: 

Dans cette affaire historique, la Cour internationale de justice a déterminé, pour la première fois, le niveau de l’indemnisation de dommages environnementaux transfrontaliers.  Ce faisant, la Cour a également mis au point sa méthodologie pour arriver à un niveau d'indemnisation approprié. 

L’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) a signalé que cette affaire… « vient confirmer que les dommages environnementaux touchent aussi les services écosystémiques. La Cour a reconnu la valeur importante de la diversité biologique et de ses services.  Malheureusement, bien que la Cour ait rejeté la méthode d’évaluation plus étroite et plus traditionnelle proposée par le Nicaragua, on ne sait pas très bien comment elle a finalement déterminé le montant de l’indemnité… Il s’agit néanmoins d’un important précédent pour la reconnaissance des intérêts de la conservation et des services écosystémiques. »

Bien que cette affaire ne fasse pas référence aux droits humains, c’est une avancée jurisprudentielle importante en matière de garanties juridiques contre les dommages causés à l’environnement, qui offre aux défenseur-e-s des droits humains des outils permettant de faire avancer la conduite des litiges et le plaidoyer pour la protection de l’environnement.  D’autres affaires récentes, dont une de la Cour interaméricaine des droits de l’homme et une autre jugée par la Cour suprême de la Colombie viennent encore renforcer la jurisprudence progressiste en matière de droits environnementaux.

Pour ses contributions, un remerciement particulier au membre du Réseau DESC : le Programme sur les droits humains et l’économie mondiale (PHRGE) de la Northeastern University.

Dernière mise à jour : 8 janvier 2019