J.M. c. Procureur général et 6 autres

La Haute Cour du Kenya conclut à des violations du droit à la santé, à la dignité et à l'intégrité personnelle dans une affaire de soins de santé maternels

La Haute Cour du Kenya a conclu que le gouvernement avait violé les droits constitutionnels les droits humains internationaux de J.M. en la maltraitant sérieusement et en ne lui fournissant pas de soins de santé maternels gratuits et de qualité obligatoires lors de l'accouchement dans un hôpital public en août 2013. La Cour a tenu le gouvernement pour responsible de ne pas avoir correctement mis en œuvre et supervisé sa politique nationale de gratuité des soins de santé maternels, notamment parce qu'il n'a pas affecté le maximum de ressources disponibles à cette fin.

Date de la décision: 
22 Mar 2018
Forum : 
Haute Cour du Kenya à Bungoma
Type de forum : 
Domestique
Résumé : 

J.M. a cherché des soins de santé maternels à l'hôpital du district de Bungoma, aujourd'hui hôpital de référence du comté de Bungoma. Cet hôpital est un établissement de santé public qui, conformément à la directive présidentielle de 2013 du président du Kenya, était censé fournir des soins de santé maternels gratuits. À l'hôpital, on a ordonné à J.M. de payer les médicaments nécessaires pour provoquer l’accouchement et, après que l’accouchement ait été provoqué, elle a reçu l'ordre de se rendre à la salle d'accouchement lorsque ses douleurs ont commencé. Elle a suivi la directive, a trouvé les lits d'accouchement occupés et avait commencé à retourner dans la salle d'accouchement lorsqu'elle s'est évanouie. Elle a accouché de son bébé alors qu'elle était inconsciente et elle s'est réveillée sur les cris des infirmières qui l'ont frappée et lui ont ordonné de regagner la salle d'accouchement pour lui remettre son placenta. À son insu, le clip a été filmé par une patiente. Il a ensuite été repris par des journalistes et diffusé aux informations. J.M. n'a pris conscience de l'étendue de ces mauvais traitements que lorsqu'elle a visionné la vidéo après l'incident.

J.M. a engagé des poursuites contre les autorités locales et nationales, dénonçant le traitement irrespectueux et abusif qu'elle avait subi et demandant au gouvernement de s'attaquer aux problèmes d'infrastructure du système de santé au Kenya. Elle a affirmé que les mauvais traitements verbaux et physiques, le non-respect de sa dignité et l'incapacité du gouvernement à garantir des soins de santé maternels adéquats constituaient une violation de ses droits constitutionnels, ainsi que de ceux énoncés dans la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples et plusieurs autres traités internationaux relatifs aux droits humains. Amici a noté que le PIDESC considère les soins de santé maternels comme un domaine que les États doivent veiller à protéger, et la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes impose aux États de prendre des mesures spéciales pour éliminer la discrimination à l'égard des femmes dans le secteur de la santé.  

Le procureur général et le secrétaire national du Cabinet chargé de la santé ont affirmé que le ministère de la santé avait rempli son mandat consistant à définir des normes et des politiques en matière de soins de santé, que le ministère avait assuré l'accès à des soins de santé maternels gratuits sans discrimination et que des procédures de réclamation adéquates étaient en place. Le gouvernement national a nié avoir violé l’un des droits de J. M. mais a reconnu que les ressources allouées à la dotation en personnel, à l’équipement et aux soins de santé maternels étaient limitées.

L’hôpital et le gouvernement du comté ont affirmé que J.M. n’avait pas suivi la procédure de réclamation correcte, que ses revendications étaient extrêmes et destinées à nuire à la réputation de l'hôpital, et que, bien que les services aient été utilisées au maximum lors de son admission, l'hôpital s'est occupé de tous les patients. L’hôpital et le gouvernement du comté ont soutenu que des enquêtes internes avaient blanchi les infirmières de mauvais traitements.

En réponse aux affirmations de J.M., la Cour conclut que le traitement réservé à son égard par l’hôpital violait plusieurs droits consacrés par la Constitution du Kenya et le droit international.

Premièrement, la Cour a constaté que l’hôpital de Bungoma n’avait ni l’espace ni le personnel nécessaires pour s’occuper adéquatement de J.M. et des autres femmes nécessitant des soins de santé maternels. La Constitution kényane protège le droit au «niveau de santé le plus élevé possible», notamment en soins de santé maternels, et, juste avant la visite à l'hôpital de J.M., le Président Uhuru Kenyatta avait publié une directive ordonnant aux établissements de santé publics de fournir des soins de santé maternels gratuits. La Cour a en outre noté que la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (Charte de Banjul) et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) protégeaient également le droit à la santé. Compte tenu de ces normes, les insuffisances de l’hôpital, le manque d’équipements, de fournitures de base, de médicaments et la piètre qualité de ses soins ont violé le droit de J.M. à la santé.

Deuxièmement, la Cour a estimé que le gouvernement avait violé le droit constitutionnel et international de J.M. à la dignité et à l'absence de traitement cruel, inhumain et dégradant, parce qu'elle avait été contrainte d'accoucher par terre dans un espace ouvert où elle pouvait être filmée par d'autres patient(e)s et parce que les infirmières l’ont maltraitée verbalement et physiquement de façon cruelle et humiliante.

Troisièmement, la Cour a explicité le lien entre la violation du droit de J.M. à la santé et la politique nationale. Les parties ont reconnu que le gouvernement kényan peut garantir le droit à la santé en réalisant progressivement ou en renforçant progressivement la qualité et la disponibilité des services. La Cour a toutefois estimé que le gouvernement n'avait pas réussi à élaborer et à mettre en œuvre des politiques efficaces et à consacrer le maximum des ressources disponibles mandatées à la mise en place de soins de santé maternels de qualité. La Cour a notamment constaté que les autorités «n'avaient pas consacré les ressources nécessaires aux services de santé, n'avaient pas mis en place de mesures efficaces pour mettre en œuvre, surveiller et fournir des normes minimales acceptables en matière de soins de santé».

Application des décisions et résultats: 

La Cour a ordonné que les infirmières, le secrétaire à la santé du comté et l’hôpital, ainsi que l’hôpital, présentent des excuses officielles à J.M. et que celle-ci se voie accorder des dommages-intérêts.

Groupes impliqués dans le cas: 
Importance de la jurisprudence: 

Cette affaire crée un précédent selon lequel les soins de santé maternels de qualité doivent être fournis aux femmes et le fait que le gouvernement n’applique pas ses politiques peut être directement lié à une violation des droits des citoyens en matière de soins de santé et de dignité. Bien que le type de maltraitance extrême vécu par J.M. soit systémique, des cas similaires font rarement l'objet d'une large publicité. La vidéo de l’abus commis par J.M. ayant été diffusée à la télévision nationale, son cas a davantage attiré l’attention sur la crise de la négligence institutionnelle dans les soins de santé maternels au Kenya.

Les hôpitaux du Kenya connaissent une une situation de surpopulation dramatique, des conditions précaires et un manque de fournitures; ce qui augmente les taux de mortalité infantile et maternelle et met une pression considérable sur le personnel hospitalier pour qu'il fasse entrer et sortir rapidement les patient(e)s. Le personnel hospitalier reçoit souvent une formation et une supervision inadéquates, susceptibles d'influencer des pratiques contraires à l'éthique. Ce cas peut aider à résoudre ces problèmes systémiques en attirant l'attention sur les responsabilités des décideurs découlant du droit constitutionnel et international des droits humains. L’affaire s’appuie sur Millicent Awuor (Maimuna) et Margaret Anyoso Oliele V AG et d’autres, dans laquelle la Haute Cour du Kenya a conclu à une discrimination de genre et socioéconomique - ainsi qu’à un traitement cruel, inhumain et dégradant - de femmes arrêtées après l’accouchement  pour payer des frais médicaux.

Pour ses contributions, un remerciement particulier au membre du Réseau-DESC: le Program on Human Rights and the Global Economy (PHRGE) | Northeastern University