ND vs. Ministre de la Justice de la République de Botswana et autres

La Haute Cour du Botswana protège le droit d’un homme transgenre à avoir un document d’identité qui reflète son identité de genre

Dans ce cas, un homme transgenre (ND) a tenté de changer son identité de genre sur son Omang (document d'identité national) et a été refusé par le registraire du Bureau d'enregistrement national au Botswana. On lui a attribué le genre féminin à la naissance et son document d'identité indiquait son genre comme féminin. La Haute Cour a estimé que la faute du marqueur de genre à ne pas correspondre avec l’identité de genre de ND, y comprise son apparence physique, a soumis ND à une grave insécurité, à un préjudice et à la discrimination. En outre, la Cour a estimé que le refus du registraire avait violé les droits de ND à la vie privée, à protection égale face à la loi, au droit de ne pas être soumis à un traitement inhumain ou dégradant, à la liberté d’expression et à la protection contre la discrimination. Constatant l’absence de justification gouvernementale légitime pour toute atteinte aux droits constitutionnels de ND, la Haute Cour a ordonné au registraire de délivrer un nouveau document d’identité reflétant son identité de genre masculine.

Date de la décision: 
29 sep 2017
Forum : 
La Haute Cour du Botswana
Type de forum : 
Domestique
Résumé : 

ND est un homme transgenre et son sexe attribué à la naissance était féminin. Etant donné que le  marqueur de genre figurant sur sa carte d’identité nationale ne correspondait pas au genre qu’il avait déclaré ni  à son identité de genre, le refus du gouvernement à changer son marqueur de genre lui a exposé à un stress émotionnel et à un inconfort extrêmes.

En vertu des régulations du Bureau d’enregistrement national, le propos du document d'identité est de fournir une documentation de l'apparence physique d'une personne et de refléter ses caractéristiques particulières. Le Bureau d'enregistrement a le pouvoir discrétionnaire de changer les marques d'identification lorsqu'un changement de ces caractéristiques a un effet essentiel sur l'identification d'une personne.

 Par exemple, les détenteurs d'une carte d'identité peuvent remplacer leur photo, s'ils estiment que celle-ci ne reflète plus leur identité. Le registraire a le pouvoir discrétionnaire de déterminer si un changement est nécessaire; mais la loi du Botswana oblige les fonctionnaires à être raisonnables et à faire respecter les droits fondamentaux lorsqu'ils exercent ce pouvoir discrétionnaire. Bien que le registraire et  le procureur général  ont  argumenté  que le changement du marqueur de genre ne pouvait pas être autorisé en l'absence d'une loi établissant un seuil médical et juridique clair, la Cour a conclu que le critère discrétionnaire  n'exige aucun seuil médical ou juridique. Dans ce cas, la Cour a conclu que l'exercice du pouvoir discrétionnaire du registraire n'était pas raisonnable.

Cependant, la Cour a concentré son raisonnement sur les violations des droits constitutionnels. Elle a observé que la Constitution du Botswana devait être interprétée comme un document vivant, éclairé par les "normes et circonstances contemporaines", y comprises les  références aux décisions internationales pertinentes. Les droits constitutionnels au Botswana s'appliquent à toutes les personnes et sont fondés sur la dignité humaine.

La Cour a estimé que, dans la mesure où ND avait été privé de la reconnaissance de son identité de genre par le biais d'une identification appropriée, et étant donné que la reconnaissance est une partie essentielle de la dignité, le registraire avait échoué à protéger sa dignité humaine. Le refus du registraire a également violé la liberté d'expression de ND, son droit à une protection égale (parce que la non-reconnaissance de son identité le rendait particulièrement vulnérable au harcèlement, à la violence et aux agressions sexuelles); et son droit à être libre de traitements inhumains et dégradants et de discrimination. Bien que l'identité de genre n’est pas incluse dans les formes de discrimination interdites énumérées dans la Constitution, la liste n'est pas exhaustive.

La Cour a également conclu que le droit au respect de la vie privée de ND n’avait pas été respectée; et,  en fait elle a reconnu, avec inquiétude, la détresse et le malaise persistants que ND vit lorsqu'il est  tenu d'expliquer des détails intimes de sa vie à des étrangers chaque fois qu'il cherche à accéder à des services de routine, simplement parce que sa pièce d'identité ne correspond pas à son genre déclaré ou à son identité de genre. La Haute Cour a observé que l’État pouvait éviter ou atténuer les «ingérences ou les embarras arbitraires» et la violation de ses droits à la vie privée en modifiant le marqueur de genre sur sa pièce d’identité.

La Cour a rappelé que c’est l'État qui doit  prouver qu'une ingérence dans les droits constitutionnels d'une personne est légitime et justifiable. Le gouvernement doit identifier le mal social auquel il s'attaque,  montrer comment ceci justifie l'ingérence et montrer que cette ingérence est proportionnelle à leur objectif. Considérant que l’identité de genre «constitue le noyau du sense d’être de la personne et fait partie intégrante de leur identité », la Cour a estimé que le gouvernement n’avait aucune justification légitime pour traiter de manière discriminatoire les personnes transgenres. En effet, l'argument du gouvernement selon lequel le fait de changer le  marqueur de genre aller affecter d'une manière ou d'une autre la sécurité nationale n'a pas été soutenu  par aucune preuve;  et, d’ailleurs, en réalité le  décalage entre le marqueur de genre et l'identité de genre rend moins efficace l'application de la loi.

La Cour a également répondu à l'argument du gouvernement selon lequel le sexe et le genre sont distincts et que l'identification nationale faisait référence au sexe déterminé à la naissance. A travers une enquête menée dans d'autres juridictions, la Cour a expliqué en détail comment le sexe était considéré par de nombreux tribunaux comme une combinaison de facteurs, notamment de caractéristiques biologiques, sociales et psychologiques, ainsi que par le sentiment inné d'une personne quant à la signification des différents sexes. La Cour a donc conclu que l’interprétation du sexe faite par le gouvernement était restrictive sans fondement.

Application des décisions et résultats: 

La Haute Cour a ordonné au registraire de délivrer un nouveau document d’identité reflétant fidèlement l’identité de genre de ND, en changeant le  marqueur de genre de femme à homme. En janvier 2018, ND a reçu sa pièce d’identité reflétant correctement son identité de genre.

Importance de la jurisprudence: 

Cette décision fait partie d'une série de quatre décisions majeures rendues par des tribunaux du Botswana qui renforcent considérablement la protection des droits de la communauté LGBTQ +. En mars 2016, un tribunal a ordonné au gouvernement d'enregistrer légalement l'organisation non gouvernementale (ONG) Lesbians, Gays & Bisexuals of Botswana (LEGABIBO), la première entité enregistrée pour la protection des droits de la communauté LGBT dans le pays. En décembre 2017, un tribunal du Botswana a ordonné au gouvernement de reconnaître l'identité de genre d'une femme transgenre. Plus récemment, dans une décision de 2019, la Haute Cour a déclaré que la criminalisation, établie dans l'époque coloniale, des relations sexuelles consensuelles entre personnes du même sexe était inconstitutionnelle. Ce sont des victoires importantes. C’est ainsi comme les défenseurs de ces droits notent que ces cas ont rendu visibles et ont affirmé les droits de la communauté LGBT dans le discours public, dans l’espoir qu’ils serviront de précédents pour faire progresser la protection des droits des LGBT au Botswana, dans les régions et au-delà.

Pour ses contributions, un remerciement particulier au membre du Réseau DESC : le Programme sur les droits humains et l’économie mondiale (PHRGE) de la Northeastern University.