Décision T-406/92. Bref pour la protection des droits constitutionnels déposé par José Manuel Rodríguez Rangel contre Enrique Chartuny González, directeur des travaux publics de Carthagène

Cette affaire concerne une action de tutela intentée pour protéger le droit à la santé publique. Un système d'égout inachevé débordait et posait un risque important pour la santé publique des habitants de deux quartiers. La Cour constitutionnelle a utilisé cette affaire pour définir leur rôle dans la définition et l'application des droits fondamentaux. La Cour a également défini les critères permettant d'interpréter si un droit est fondamental et a déclaré fondamental le droit à la santé publique

Date de la décision: 
5 juin 1992
Forum : 
Cour constitutionnelle de Colombie
Type de forum : 
Domestique
Résumé : 

Le demandeur a intenté une action de tutela contre les Travaux publics de Carthagène, alléguant qu'ils avaient mis en service un système d'égouts inachevé, produisant des eaux noires débordantes et des conditions insalubres dans deux quartiers. La plainte alléguait une violation de l'article 88 de la constitution colombienne protégeant le droit à la santé publique et demandait une injonction pour éviter un préjudice irréparable, conformément à l'article 5 du décret 2591. Bien que le tribunal administratif de Bolivar ait confirmé les conditions insalubres alléguées, il a jugé que l’action de tutela ne pouvait être utilisée que pour faire respecter les droits fondamentaux énumérés à l'article 1 de la Constitution, qui n'incluait pas le droit à la santé publique.

La Cour constitutionnelle a estimé que, dans un État-providence, le pouvoir judiciaire devait non seulement faire respecter le texte formel de la loi mais également veiller à son application positive. Bien que la législation et les décisions judiciaires créent des lois, le tribunal a le rôle d'examiner les deux autres branches du gouvernement pour éviter un pouvoir incontrôlé et appliquer les lois créées par le législateur aux réalités sociales. Les juges doivent également faire pression sur le législateur pour qu'il fasse respecter efficacement les droits. La relation entre le texte constitutionnel et la réalité sociale est plus importante que la définition des droits fondamentaux en vase clos. Les droits ne sont pas symboliques. Ils doivent être appliqués.

Les droits fondamentaux doivent découler des principes constitutionnels. Certains droits fondamentaux ne sont pas expressément mentionnés dans la constitution, mais leur lien avec les droits cités est tel que sans leur protection, ceux-ci ne seraient pas garantis. L'établissement de ces droits par le biais de l'interprétation de la Constitution par la Cour leur confère une efficacité immédiate et leur protection ne dépend pas de la réglementation législative. Lorsqu'elle déclare des droits fondamentaux, la Cour doit tenir compte de la réalité économique de l'État tout en maintenant l'objectif ultime de construire une société plus juste, démocratique et plus libre escomptée dans le préambule de la constitution. La Cour a estimé qu'elle devrait prendre des décisions qui ne se contentent pas de maintenir le statu quo ni d'imposer des ordonnances qui seraient impossibles compte tenu de la réalité économique de l'État. Lorsqu'un droit fondamental est déclaré et qu'une violation est constatée, les juges doivent formuler un recours qui, avant tout, sert à protéger ce droit et prend également en considération les conditions financières des entités publiques.

L’action de tutela permet aux tribunaux de déclarer que les droits économiques, sociaux et culturels sont fondamentaux et d'ordonner l'application de ces droits. La constitution déclare qu'il est du devoir de l'État de fournir des services publics et de résoudre les problèmes de santé, d'éducation, d'environnement et d'eau. En outre, en vertu de l'article 366, l'État est tenu de donner la priorité aux dépenses sociales par rapport à toute autre allocation de ressources. Les preuves montrent que le manque de systèmes d'égouts adéquats constitue un grave risque pour la santé publique. Les conséquences de la négation du droit recherché pourraient entraîner des maladies et la mort et compromettre les droits fondamentaux à la vie (article 11) et la dignité humaine (article 1). De plus, comme le droit recherché dans cette affaire s'applique aux quartiers marginalisés, il compromet également les droits fondamentaux des marginalisés (article 13). En tant que tel, le droit à la santé publique est un droit fondamental.

La Cour a annulé la décision du Tribunal administratif et a ordonné aux Travaux publics de Carthagène de reprendre la construction du réseau d’égouts dans un délai de trois mois. La Cour a également déclaré que cette affaire servirait de précédent pour toutes les affaires similaires où des projets de travaux publics incomplets affectent la santé publique.

Application des décisions et résultats: 

L'accès à l'eau potable reste un problème majeur en Colombie bien que l'État ait investi dans les réseaux d'égouts. Le décret 605 de 1996 a créé de nouvelles procédures pour la gestion des déchets solides, notamment la collecte, le stockage et l'élimination. Le décret 3137 de 2006 a créé un vice-ministère de l'eau et lancé quatre nouveaux programmes visant à améliorer les services, en particulier dans les zones rurales. Malheureusement, cependant, l'évacuation des eaux usées reste un problème majeur. Un pourcentage important des eaux usées n'est pas collecté car de nombreux ménages ne sont pas raccordés aux réseaux d'égouts municipaux. Et même lorsqu'ils sont connectés, de nombreuses municipalités manquent d'installations de traitement des eaux usées. L'OMS a signalé en 2006 que dans les zones rurales, qui représentent 23% de la population, seulement 71% avaient accès à l'eau potable et seulement 54% avaient accès à un assainissement adéquat.

Importance de la jurisprudence: 

Cette décision est considérée comme très importante car elle proclame le pouvoir de la Cour constitutionnelle de délimiter de nouveaux droits fondamentaux du texte constitutionnel et d'appliquer ces droits aux réalités sociales par le biais de l’action de tutela. La Cour déclare que le droit à la santé publique est un droit fondamental. La Cour déclare également que l'État a l'obligation de donner la priorité aux dépenses sociales sur toute autre allocation de ressources et établit un précédent affirmant que l'État a le devoir de mener à bien les projets de travaux publics une fois lancés.

Nous remercions particulièrement de ses contributions le membre du Réseau DESC : Program on Human Rights and the Global Economy at Northeastern University (PHRGE).