Mitu-Bell Welfare Society c. Kenya Airports Authority, Requête CS 3 de 2018

Il s’agit de la décision définitive dans l’affaire d’abord introduite par la Mitu-Bell Welfare Society en septembre 2011, demandant un jugement déclaratoire et une indemnisation pour l’expulsion de plus de 15,000 personnes du terrain adjacent à l’Aéroport Wilson à Nairobi. La Cour Cour suprême a renversé le jugement rendu en 2016 par la Cour d’appel et a statué en faveur des familles déplacées.

Date de la décision: 
11 jan 2021
Forum : 
Cour suprême
Type de forum : 
Domestique
Résumé : 

En septembre 2011, 3,000 familles ont été avisées seulement 7 jours à l’avance de leur expulsion du terrain limitrophe à l’Aéroport Wilson. Leurs abris ont été détruits. Le terrain limitrophe à l’aéroport appartenait à la Kenya Airports Authority, mais les familles résidentes du village de Mitumba l’avaient occupé depuis un certain temps.

La Mitu-Bell Welfare Society (« Mitu-Bell), la requérante, est une organisation formée de résident-e-s de l’ancien village de Mitumba. En 2011, Mitu-Bell a poursuivi en justice la Kenya Airports Authority, le procureur général du Kenya et le Commissaire des terres du Kenya, demandant une injonction pour interrompre les expulsions en attendant l’audience et la décision concernant la requête. La Cour a rendu l’injonction mais la Kenya Airports Authority a désobéi aux ordonnances judiciaires et expulsé les résident-e-s de force.  Mitu-Bell a alors révisé sa plainte et sollicité un jugement déclaratoire ainsi qu’une indemnisation et une réattribution des terrains. La Haute Cour a rendu un jugement déclaratoire et des ordonnances de surveillance en faveur de Mitu-Bell, mais celles-ci ont été renversées par la Cour d’appel. La Cour d’appel a attesté que l’affaire en était une d’intérêt public général en raison du problème des expulsions au Kenya et, se fondant sur cette décision, Mitu-Bell a interjeté appel devant la Cour suprême.

La Cour suprême a abordé quatre grande questions dans l’affaire.  Premièrement, elle a examiné la place des « injonctions structurelles » (ordonnances de surveillance) comme formes de réparation dans le domaine des droits humains en vertu de la Constitution. Plus particulièrement, elle s’est demandé si la délivrance d’injonctions structurelles relevait des compétences de la Haute Cour. La Cour a jugé qu’en vertu de l’article 23(3) de la Constitution, les tribunaux ont compétence pour rendre des ordonnances visant à protéger un droit et pour prévoir des règles et dommages-intérêts appropriés en lien avec ce droit. De plus, pour qu’une forme de réparation soit appropriée, elle doit être effective, suffisante et disponible pour remédier aux violations des droits humains. La question des mesures correctives appropriées a tenu une place centrale dans cette affaire du fait que la Cour d’appel s’était fortement appuyée sur le principe du functus officio pour statuer qu’une cour devenait functus officio une fois qu’elle avait rendu son jugement et que les ordonnances de surveillance ne pouvaient pas servir de mesure corrective.

Deuxièmement, la Cour suprême a examiné les effets des dispositions du droit international contenues dans la Constitution.  L’article 2 de la Constitution reconnaît le droit international et le droit conventionnel comme faisant partie du droit au Kenya. La Cour a conclu que le libellé de cet article devait être interprété en ce sens que le droit international et le droit conventionnel sont des « sources du droit » au Kenya et qu’il pouvaient servir à éclairer l’interprétation que fait le Kenya de sa propre Constitution.

Troisièmement, la Cour a examiné le rôle des directives des Nations Unies (c.-à-d. l’Observation générale 7 du Comité des droits économiques, sociaux et culturels sur le droit à un logement suffisant) dans l’interprétation du droit kenyan. La Cour a conclu que ces directives des Nations Unies, dont la Haute Cour s’était servi pour étayer ses ordonnances de surveillance, ne constituent pas des règles contraignantes générales du droit international. Elle a cependant signalé qu’il conviendrait que les tribunaux tiennent compte de ces directives pour étayer les ordonnances de surveillance et les jugements déclaratoires, puisque les directives apportent des précisions sur le droit à la dignité et le droit au logement, qui sont protégés par le droit international en vertu de la Convention internationale des droits civils et politiques et de la Convention internationale des droits économiques, sociaux et culturels. La Haute Cour s’était fondée sur les directives des Nations Unies pour combler la lacune qui existait concernant les expulsions étant donné qu’il n’y avait à ce moment-là aucune loi concernant les expulsions.

Finalement, la Cour s’est penchée sur la question de savoir s’il avait été porté atteinte aux droits des requérants quand ils avaient été expulsés de force du terrain où ils s’étaient établis. L’article 43(1)(b) de la Constitution du Kenya protège le droit à un « logement accessible et adéquat ». Conformément aux obligations découlant du droit international, le Kenya s’est engagé à assurer la réalisation progressive de ces droits.   Dans son analyse, la Cour a expliqué que la Cour d’appel avait mal interprété la « réalisation progressive d’un droit », en insinuant que toute la population kenyane ne pourrait pas se prévaloir du droit en même temps.   La Cour a précisé que toute personne peut toujours bénéficier du droit au logement et que le principe de la réalisation progressive fait porter au gouvernement qui manque à son obligation le fardeau de prouver qu’il n’a pas les ressources nécessaires à la mise en œuvre du droit. La Cour a conclu que toute personne a droit à un logement même si elle ne possède pas de terrain. Elle a jugé que le droit des personnes à un logement est protégé en vertu de la Constitution et du droit international et que lorsque le gouvernement ne parvient pas à assurer un logement à tous, il doit protéger celles et ceux qui vivent dans des campements informels, comme les requérant-e-s de l’Aéroport Wilson. Quand des personnes s’établissent sur des terres publiques qui ne leur appartiennent pas, le fait de s’y établir ne leur en confère pas la propriété, mais cela indique que le gouvernement a négligé son obligation d’assurer un logement accessible et adéquat.

Application des décisions et résultats: 

La Cour suprême a ordonné aux défendeurs d’indemniser les plus de 3,000 familles expulsées de force du terrain adjacent à l’aéroport Wilson en septembre 2011. Elle a renvoyé l’affaire au tribunal de première instance pour qu’il détermine les mesures correctives appropriées conformément au jugement de la Cour suprême et aux plaidoiries présentées devant le tribunal de première instance par les parties.

Groupes impliqués dans le cas: 

Les avocats du Kabita Institute ont prété leur concours aux requérant-e-s.L’Initiative for Strategic Litigation in Africa, représentée par le Kenyan Legal and Ethical Issues Network on HIV & AIDS (KELIN), a été autorisée à intervenir comme amicus curiae dans l’affaire devant la Cour suprême.

Importance de la jurisprudence: 

L’importance de cette décision tient au fait qu’elle reconnaît la liste non exhaustive de mesures correctives qu’un tribunal de première instance peut utiliser pour justifier une violation des droits humains ; les instruments du droit international que le Kenya a ratifié et les documents y afférents, tels que les Directives des Nations Unies, les Observations générales ou même la jurisprudence étrangère peuvent être appliqués par les tribunaux kenyans à condition d’être conformes à la Constitution et pourvu que le droit à la dignité et au logement  des personnes vivant dans des campements informels soit protégé, surtout lorsqu’elles habitent des terres publiques depuis plusieurs années en raison de leur situation de pauvreté et autres circonstances.