Vera Rojas et autres c. le Chili

La Cour interaméricaine des droits de l'homme affirme que le Chili a violé les droits à la vie, à une vie digne, à l'intégrité personnelle, à la santé, à la sécurité sociale, à la non-discrimination et à la protection des enfants parce qu’il n'a pas réglementé correctement les acteurs privés du système de santé.

Date de la décision: 
1 oct 2021
Forum : 
Cour interaméricaine des droits de l'homme
Type de forum : 
Regional
Résumé : 

La partie demanderesse dans cette affaire est Martina Vera Rojas et ses parents. Martina est atteinte du syndrome de Leigh, une maladie neurologique et musculaire qui nécessite des soins et un traitement approfondis. Les parents de Martina ont souscrit une police d'assurance maladie auprès d'une compagnie d'assurance privée appelée Isapre MasVida, qui comprenait une couverture spéciale pour les maladies graves et le traitement à domicile. En 2010, Martina a été informée que le traitement à domicile ne serait plus inclus pour les maladies chroniques conformément à un nouveau règlement (circulaire IF/n° 7), à l'époque, de la Surintendance de la santé.

La famille a déposé un recours en protection devant la Cour d'appel d'Arica, mais lorsque la Cour s'est prononcée en leur faveur, Isapre a fait appel et la Cour suprême a annulé la décision. La famille a alors déposé une demande de mesures conservatoires devant la Cour interaméricaine et une plainte auprès de la Surintendance de la santé. Le juge arbitre s'est prononcé en faveur du rétablissement du traitement à domicile pour Martina. L'appel d'Isapre a été rejeté, tout comme leur appel auprès de la Surintendance de la santé. Bien qu'Isapre ait rétabli les soins à domicile et payé les dépenses engagées pendant la période de perte de couverture, les parents de Martina ont continué à déposer des réclamations concernant l'incertitude de la couverture des soins médicaux et des services futurs. La CIDH a accepté d'entendre l'affaire pour déterminer si l'État a manqué à son devoir de garantir les droits à la santé, à la sécurité sociale, à la vie, à une vie digne, aux garanties judiciaires, à la protection judiciaire et à la protection spéciale des enfants, au détriment de Martina, en raison du prétendu manque de réglementation, de supervision et de contrôle d'Isapre, et pour déterminer si les violations ont cessé et ont été corrigées.

La Cour a analysé la responsabilité de l'État liée au devoir de prévention. La Cour a estimé que, puisque la santé est un bien public dont la protection relève de la responsabilité de l'État, ce dernier a l'obligation d'empêcher des tiers d'entraver indûment la jouissance du droit à la santé par les individus. Les États ont le devoir de réglementer et de superviser tous les soins de santé fournis aux personnes pour protéger la vie et l'intégrité personnelle, que l'entité fournissant ces services soit publique ou privée.

La Cour a en outre déclaré que les traitements de réadaptation pour les personnes handicapées et les soins connexes sont des services essentiels pour la santé des enfants. Les États doivent garantir que les services de santé liés à la réadaptation et aux soins pédiatriques répondent aux normes de disponibilité, d'accessibilité, d'acceptabilité et de qualité, en tenant compte des particularités du traitement médical dont l'enfant a besoin. Les soins et l'assistance nécessaires à un enfant handicapé doivent également inclure un soutien aux familles qui en ont la charge pendant le traitement et l'accès aux informations relatives aux maladies ou handicaps, notamment les causes, les soins, le pronostic, les conditions d'un traitement efficace, la couverture des services et les ressources disponibles en cas de désaccord.

Bien qu'au moment de l'audience, les parties de la circulaire n ° 7 qui ont fait perdre à Martina ses soins à domicile avaient été dépourvues d’effets en 2017 par la circulaire IF / 282 de l'administration des fonds et des assurances du Chili, la Cour a toujours examiné la loi. La Cour a estimé que, parce que la circulaire n° 7 autorisait l'exclusion de l'hospitalisation à domicile pour le traitement des maladies chroniques, la réglementation permettait à l'Isapre de retirer la couverture des services de soins médicaux essentiels à la préservation de la santé, de l'intégrité personnelle et de la vie, quelle que soit la gravité de la maladie du patient et des risques éventuels liés à l'arrêt du traitement. La Cour a déclaré que cette disposition, en n'établissant aucune exigence supplémentaire pour l'arrêt du traitement au-delà de la considération du caractère « chronique » de la maladie, avait constitué un risque pour les droits humains car elle pouvait restreindre l'accès aux soins médicaux essentiels. La Cour a jugé que les dispositions qui permettent la modification ou l'arrêt des soins médicaux doivent tenir compte des risques encourus pour les patients. La Cour a noté qu'en raison de l'adoption de la circulaire IF/282, les réparations liées à la circulaire n° 7, au-delà de la peine de la Cour elle-même, n'étaient pas nécessaires.

La Cour a jugé que l'État avait violé les droits à la vie, à une vie digne, à l'intégrité personnelle, à l'enfance, à la santé et à la sécurité sociale, en relation avec l'obligation de garantir les droits sans discrimination et le devoir d'adopter des dispositions de droit interne protégées par les articles 4, 5, 19 et 26 de la Convention américaine, en relation avec les articles 1.1 et 2. L'État a également violé les obligations de développement progressif de l'État aux termes de l'article 26 de la Convention américaine. La Cour a conclu que les violations de l'État n'avaient pas cessé ou n'avaient pas été entièrement réparées après le rétablissement du traitement de Martina parce que ses parents étaient constamment en conflit avec Isapre en raison du risque potentiel de perte de traitement.

Enfin, la Cour a jugé que, comme les proches des victimes de violations des droits humains peuvent à leur tour être victimes, l'État a violé le droit à l'intégrité mentale et morale des parents de Martina. A cet égard, l'Etat a violé l'article 5.1 en relation avec l'article 1.1 de la Convention.

Application des décisions et résultats: 

En plus des réparations pour Martina et sa famille et une compensation en nature, la Cour a exigé que l'État veille à ce que le traitement de Martina soit couvert en cas de difficultés économiques ou de décès de ses parents. L'État est également tenu d'adopter une législation garantissant que le Bureau du Médiateur pour les enfants participe à toutes les procédures devant la Superintendance de la santé, ou aux procédures judiciaires dans lesquelles les droits des enfants pourraient être affectés par des assureurs privés.

Importance de la jurisprudence: 

La Cour a conclu à une violation du principe de non-régression des droits économiques, sociaux, culturels et environnementaux, citant la réglementation inadmissible de la Surintendance de la santé. La décision de la Cour souligne également que les traitements de réadaptation, ainsi que les soins palliatifs, sont des éléments essentiels du droit à la santé, notamment des enfants.

Pour leurs contributions, un remerciement spécial aux membres du Réseau-DESC: le Program on Human Rights and the Global Economy (PHRGE) at Northeastern University.