Les femmes et les hommes Endorois unissent leurs forces dans leur lutte pour le droit à la terre au Kenya

Date de publication : 
Mercredi, 17 août 2016

L’Endorois Welfare Council (EWC), avec le soutien du Réseau-DESC, a organisé du 10 au 12 août 2016, le premier atelier des femmes, conduisant à Nakuru (Kenya) 25 femmes en provenance des 16 endroits où les Endorois vivent à présent.

Décision sans précédent de la Commission africaine et inclusion des femmes dans les efforts de mise en œuvre

L'atelier a marqué une deuxième grande réalisation par et pour la communauté Endorois. La première réalisation a été la décision 2010 sans précédent de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP), qui a reconnu les droits des Endorois à la propriété, à la religion, à la culture, à l’exploitation et à la libre disposition des ressources naturelles. La décision a également établi l'obligation du gouvernement de restituer les terres Endorois, d’indemniser la communauté pour toutes les pertes subies, de payer des redevances sur les activités menées sur les terres Endorois et d’entamer un dialogue avec la communauté. Depuis lors, soutenus par un certain nombre de partenaires, y compris des membres du Réseau-DESC, le Minority Rights Group - MRG International (ainsi que les principaux représentants légaux des Endorois), Dejusticia (Colombie), Hakijamii (Kenya), la Commission kenyane des droits de l’homme - KHRC (Kenya), et la Kenya Land Alliance -KLA (Kenya), entre autres, les Endorois ont développé un certain nombre de projets visant à favoriser la mise en œuvre de la décision de la Commission africaine, avec des activités allant des enquêtes communautaires pour évaluer les priorités en matière de rémunération grâce à des ateliers de base communautaire à des réunions avec des membres du gouvernement kenyan et de la Commission africaine.

La deuxième grande réalisation par la communauté Endorois est que les femmes ont commencé à participer plus activement aux efforts de plaidoyer pour la mise en œuvre de la décision. Conformément aux règles et coutumes traditionnelles, la lutte des Endorois pour la terre avait été principalement dirigée par des hommes. Cependant, au cours des quelques dernières années, les femmes Endorois, avec le soutien des membres du Réseau-DESC, ont de plus en plus participé aux efforts de plaidoyer pour la mise en œuvre de la décision, ainsi que dans la structure de gouvernance du EWC. L'atelier des femmes qui a eu lieu à Nakuru a été le premier de sa catégorie au sein de la communauté Endorois et a abordé trois thèmes: (1) les principaux défis qui ont empêché les femmes de participer aux activités de plaidoyer visant à assurer la mise en œuvre de la décision de la CADHP et la manière de surmonter ces défis, (2) la participation des femmes dans la structure de gouvernance du EWC, et (3) l'indépendance économique des femmes, notamment comme une condition préalable à la participation politique ou à d’autres formes de participation et de leadership. L'atelier a également créé un espace où les femmes Endorois ont entamé un dialogue avec les principaux leaders masculins du EWC et avec les aînés Endorois, proposant des idées concrètes sur la participation des femmes dans la sphère politique de la communauté.

Des exigences concrètes et le soutien des leaders masculins

Les femmes Endorois ont demandé aux principaux leaders masculins du EWC de veiller à ce que chacun des principaux comités du EWC comprenne au moins cinq femmes parallèlement au principe établi par la constitution kényane pour les organismes gouvernementaux. Elles ont également insisté pour la participation des femmes en tant que co-présidentes dans les comités suivants: indemnisation, partage des bénéfices, gestion et frontières et futures structures de gouvernance, de même que dans un éventuel comité de gestion des terres de la communauté qui pourrait être établi conformément au Community Land Bill. Les femmes Endorois ont également identifié les priorités en matière d’indemnisation, en recommandant de mettre l'accent sur une indemnisation collective prévisionnelle, qui serait axé sur l'éducation, les soins à domicile pour les personnes âgées, l'amélioration des routes pour garantir l'accès aux écoles et aux hôpitaux, l'accès à l'eau, l'amélioration de la sécurité et le dialogue avec des membres des gouvernements des comtés où se trouvent les Endorois (les gouvernements des comté de Baringo, Laikipia et Nakuru).

Les participantes ont souligné que l'incorporation des femmes dans les efforts visant à la mise en œuvre de la décision de la CADHP et dans la structure politique de la communauté est corroborée par plusieurs facteurs. Une participante a signalé que les femmes ont profondément souffert du déplacement. Elles ont perdu des êtres chers, ainsi que l'accès aux sites religieux, aux pâturages, aux sources d'eau, aux activités communautaires qui favorisent la création de liens et à l'éducation. Néanmoins, leurs noms n’ont pas été inscrits indépendamment de ceux de leurs maris et pères, comme ayant-droits potentiels à la restitution des terres et à l’indemnisation. Les veuves, les mères célibataires (notamment les jeunes filles) et les femmes divorcées pourraient faire face à des obstacles encore plus importants pour accéder aux ressources. Une autre participante a affirmé, dans cette communauté très religieuse, que la Bible a reconnu le droit à la propriété des femmes. Dans les Nombres 27, la Bilble  a établi que Dieu a compris qu'un père "doit donner [à ses filles] une possession en héritage», notamment si cela représente un moyen de préserver le nom du père. Par ailleurs, la loi kenyane reconnaît l'égalité entre les hommes et les femmes, y compris en ce qui concerne les droits de propriété. Bien que les règles coutumières peuvent être appliquées, la Constitution stipule que le droit constitutionnel doit prévaloir en cas de conflit entre les deux. Enfin, les femmes Endorois peuvent renforcer leur lutte pour la terre, en ajoutant de nouvelles perspectives à l'approche stratégique adoptée par la communauté et en mettant en évidence les besoins communautaires qui reflètent leurs propres expériences quotidiennes.

Bien qu’au cours de l’atelier les femmes aient identifié les obstacles à leur incorporation dans le processus de mise en œuvre, notamment les rôles fortement établis basés sur la culture, les niveaux élevés d'analphabétisme, l’absence d'unité entre les femmes et le manque de ressources, elles ont affirmé leur capacité à assumer des rôles de leadership. Lorsque l'un des leaders masculins du EWC leur a demandé si elles étaient prêtes à diriger, elles ont répondu à l'unisson qu'elles l’étaient. Lorsque le leader a répété la question et que les femmes ont confirmé leur réponse avec beaucoup de certitude, le leader a déclaré: "dans ce cas prenez vos chaussures, nous allons parcourir ce chemin ensemble». Un des aînés a souligné sa conviction que les femmes "étaient capables" de diriger et que les Endorois "avaient besoin de compter avec la présence d’une femme dans le leadership". Un autre aîné, qui jouait déjà un rôle prédominant au moment des déplacements, a affirmé que les Endorois avaient l’habitude de valoriser les femmes, mais que les expulsions avaient eu des répercussions négatives sur un certain nombre de pratiques. Le leader a déclaré qu’avant le déplacement "la présidente de la maison c’était l'épouse et les animaux devaient être donnés aux femmes». Il a également affirmé qu'il allait donner des terres à ses filles. L'aîné a souligné que les Endorois devraient "aller lentement et se mettre d’accord", révélant implicitement que le changement fait partie de leur culture, même si les membres de la communauté pourraient diverger sur son rythme. La possibilité de changement a également été affirmée par une participante, qui a souligné que les Endorois devraient "garder la bonne culture et se débarrasser de la mauvaise culture ".

Les participantes ont également abordé les défis pratiques en vue d’aller de l'avant, notamment les difficultés pour trouver des occasions de poursuivre leurs discussions. Des suggestions ont été formulées afin qu’elles poursuivent leur dialogue dans les espaces où elles se réunissent habituellement, tels que les marchés locaux, les chamas et les barazas.

Unir les forces dans la lutte pour la terre

Les dix principaux leaders Endorois masculins, y compris les aînés et le directeur du EWC, les membres du conseil d'administration et les présidents des comités, qui avaient été invités à la dernière journée de la réunion, ont soutenu la plupart des résolutions présentées par les femmes Endorois. Cela a ouvert la possibilité d'une nouvelle étape dans la mise en œuvre de la décision sur les Endorois: une étape où les femmes et les hommes Endorois unissent leurs forces afin de continuer à travailler et à exiger la réalisation de leurs droits à la terre, à la culture, au développement, à l'éducation et à la santé, entre autres.

Un certain nombre de membres du Réseau-DESC liés à la fois au Groupe de travail sur le litige stratégique (SLWG) et au Groupe de travail sur les femmes et les DESC (WESCR) ont participé à l'atelier: Dejusticia (Colombie), FIDA Kenya (Kenya), Hakijamii (Kenya), MRG International, et Ogiek People’s Development Program - OPDP (Kenya). AWID, GI-ESCR et KHRC ont été consultés avant l'atelier et ont présenté des recommandations. Enfin, l'atelier a compté avec la participation des femmes leaders de différentes communautés, notamment Josephine Nashipae (League of Pastoralist Women of Kenya - LPWK), Naomi Kipuri (ancienne présidente du Groupe de travail sur les droits des peuples autochtones de la CADHP), Stella Kereto (Secrétaire du comté de Baringo) et Grace Kiptui (membre du Parlement national du Kenya).

Contexte

Dans les années 1970, le gouvernement kenyan a expulsé des centaines de familles Endorois de leurs terres autour de la région du lac Bogoria, dans la vallée du Rift, pour créer une réserve animalière pour le tourisme. Le gouvernement kenyan avait promis une indemnisation et des avantages sociaux aux Endorois, une communauté de pasteurs, mais ces ordonnances n’ont jamais été pleinement appliquées, et l'accès de la communauté à la terre a été limité aux zones autorisées établies par le pouvoir discrétionnaire de l'autorité de la réserve animalière. Cela a empêché à la communauté d'exercer son mode de vie pastoral, d’utiliser des sites cérémoniels et religieux, et d’accéder aux médecines traditionnelles. En 2003 le Centre pour le développement des droits des minorités (CEMIRIDE) et MRG International ont soumis une demande devant la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples au nom du EWC.

En 2010, la Commission africaine a statué que le gouvernement kenyan avait violé les droits des Endorois à la pratique religieuse, à la propriété, à la culture, à la libre disposition des ressources naturelles et au développement, en vertu de la Charte africaine (articles 8, 14, 17, 21 et 22, respectivement). La Commission a également établi que le gouvernement devrait restituer les terres ancestrales des Endorois, garantir un accès sans restriction au lac Bogoria, payer une indemnisation adéquate pour toutes les pertes subies, payer des redevances sur les activités économiques existantes, et entamer un dialogue avec les plaignants. Six ans plus tard, la décision doit encore être mise en œuvre par le gouvernement kenyan.

Depuis 2012, le Réseau international des droits économiques, sociaux et culturels, sous l’initiative de ses membres MRG International (ainsi que les principaux représentants légaux Endorois), CEMIRIDE, Dejusticia (Colombie), Hakijamii (Kenya), KHRC (Kenya), KLA (Kenya), et SERI-SA (Afrique du Sud), entre autres, s’est joint au plaidoyer du EWC pour la mise en œuvre de la décision de la Commission africaine:

  • En 2012, une réunion stratégique a eu lieu avec le EWC pour discuter de la mise en œuvre.
  • En 2013, 2014 et 2015, des membres du Réseau-DESC (MRG international, Dejusticia, KLA, KHRC, CEMIRIDE, et autres) et des membres du secrétariat du Réseau-DESC ont collaboré avec le EWC afin d'organiser des ateliers sur la restitution des terres, l’indemnisation et l’inscription.
  • Au cours des dernières années, les membres et le personnel du secrétariat du Réseau-DESC ont mené des enquêtes sur les pertes immatérielles subies par la communauté Endorois. En outre, les principales organisations membres kenyanes, telles que KHRC et KLA, ont collaboré avec différentes agences gouvernementales afin de développer des opportunités pour un dialogue plus constructif entre les Endorois et le gouvernement kenyan. 
  • En Septembre 2014, le gouvernement kenyan a créé un groupe de travail pour la mise en œuvre des recommandations de la CADHP avec un mandat d'un an. Le groupe de travail était une importante avancée, mais il a suscité quelques inquiétudes, telles qu'identifiées par les organisations membres du Réseau-DESC impliquées dans la mise en œuvre des recommandations : (i) les Endorois n’ont pas été consultés sur la mise en place du groupe de travail, il n’existe aucune obligation de consulter le Endorois Welfare Council ou n’importe quel représentant Endorois, et il n'y a aucune représentation Endorois dans le groupe de travail lui-même ; (ii) il est uniquement constitué de fonctionnaires gouvernementaux, et ; (iii) il a été créé pour «étudier la décision», «fournir des orientations sur les implications politiques, sécuritaires et économiques de la décision» et pour «examiner les potentielles répercussions environnementales de la mise en œuvre sur le lac Bogoria et la région environnante ». Le 23 octobre 2014, les organisations membres kenyanes, EWC, KHRC et KLA, ainsi que des partenaires internationaux, le professeur Hansungule (basé en Afrique du Sud), MRG International, Dejusticia (basé en Colombie), et le secrétariat du Réseau-DESC ont participé à la première réunion du groupe de travail créé par le gouvernement kenyan pour répondre à ces préoccupations. En août 2016, le mandat du Groupe de travail n'a pas été renouvelé.
  • En novembre 2015, le EWC était représenté par Christine Kandie à la 57e session de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples (CADHP), qui a eu lieu à Banjul, en Gambie. Kandie a souligné la Décision 2010 de la CADHP concernant la restitution des terres aux Endorois et a affirmé que le gouvernement kenyan devrait prendre des mesures plus concrètes pour sa mise en œuvre.

Le EWC a organisé des réunions périodiques pour évaluer les possibilités d’une future mise en œuvre avec la participation de la communauté Endorois, notamment des femmes Endorois.

Le SLWG et le WESCR du Réseau-DESC souhaitent demeurer engagés dans cet effort pour inclure les femmes dans la mise en œuvre de la décision sur les Endorois, en vue de renforcer les possibilités de mise en œuvre ainsi que de protéger davantage les droits des femmes. Les prochaines étapes comprendront l'organisation d'un nouvel atelier en 2017, où seront traitées les discussions spécifiques sur la participation politique au sein du EWC, l'indépendance économique et les inégalités entre les femmes.