Le droit des locataires à un logement suffisant est reconnu par le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies

Date de publication : 
Vendredi, 7 juillet 2017

Le 20 juin 2017, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies a rendu une décision reconnaissant le droit des locataires à un logement suffisant.

Mohamed Bourmouz, Naouel Bellili et leurs enfants ont été expulsés du logement qu’ils avaient loué à Madrid, en Espagne, le 3 octobre 2013 après expiration de leur bail.  L’Espagne connaissait alors une grave crise économique assortie d’un taux de chômage élevé, qui a fini par engloutir la famille Bourmouz-Bellili. La situation de précarité de la famille a été aggravée par le fait que les enfants de Bourmouz et Bellili seraient sans abri.

Photo : Javier Rubio

Après avoir épuisé les recours internes (c.-à-d. avoir exercé tous les recours judiciaires valables au niveau national), la famille Bourmouz-Bellili, représentée par Javier Rubio (Centro de Asesoría y Estudios Sociales, CAES), a présenté une communication devant le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies (CDESC). En juin dernier, le CDESC a publié son Avis au sujet de la Communication no 5/2015 contre l’Espagne, reconnaissant l’obligation qui revient à l’État de protéger le droit à un logement suffisant, dans une optique de protection de ce droit pour les locataires.

Le cas de Bourmouz-Bellili est particulièrement pertinent car il rend compte de problèmes systématiques concernant le droit à un logement suffisant en Espagne. Malgré la demande grandissante de logement social dans le pays, le budget national consacré au logement a été réduit de plus de 50 pour cent entre 2008 et 2013.[1]L’enveloppe financière affectée à l’organisme gouvernemental responsable du logement, Instituto de Vivienda Pública de Madrid (IVIMA), actuellement désigné sous le  nom de « Agencia de Vivienda Social de la Comunidad de Madrid ») a également été réduite, dans ce cas de 11 pour cent entre 2013 et 2016.[2] En réponse aux coupures, IVIMA a vendu 2,935 unités de logement social (sur un total de 20,600) et la Empresa Municipal de Vivienda y Suelo (EMVS, organisme gouvernemental local responsable du logement) en a vendu 1,860 (sur 4,700) en 2013,[3] ce qui représente plus du tiers de sa réserve de logements. Néanmoins en 2012, le CDESC a publié ses Observations finales pour l’Espagne, affirmant qu’il était préoccupé par « la réduction des niveaux de protection effective des droits consacrés par le Pacte, résultant des mesures d’austérité adoptées par l’État partie, qui a eu des effets disproportionnés sur l’exercice de leurs droits par les personnes et les groupes défavorisés et marginalisés, en particulier les pauvres, les femmes, les enfants, les personnes handicapées, les adultes et les jeunes chômeurs, les personnes âgées, les Gitans, les migrants et les demandeurs d’asile (art.  2, para. 1). »(Observations finales, para.  8) Les coupures budgétaires n'avaient donc pas tenu compte de « la situation précaire des personnes ou groupes défavorisés et marginalisés », tel qu’établi par le Comité dans sa Déclaration concernant le maximum des ressources disponibles publiée en 2007.

Les membres du Groupe de travail en litige stratégique du Réseau DESC, Amnesty International, Centro de Estudios Legales y Sociales (CELS), Center for Economic and Social Rights (CESR), Dullah Omar Institute, Initiative mondiale pour les droits économiques, sociaux et culturels (GI-ESCR), Social Rights Advocacy Centre (SRAC), Observatori DESC, Ana Maya Aguirre et Jackie Dugard, sont intervenus dans le dossier, apportant des données internationales et comparatives pour aider le CDESC à se prononcer correctement en l’espèce et montrant, encore une fois, la pertinence des interventions de tiers pour l’élaboration de recommandations générales visant à éviter que des violations du même ordre ne se répètent. L’intervention de tiers a permis de soulever quatre grandes questions : le droit de toutes les personnes (y compris les locataires) au logement, (b) l’obligation qui revient aux États de garantir une protection spéciale pour les groupes vulnérables, (c) l’obligation qui revient aux États de prendre les mesures qui s'imposent au maximum de ses ressources disponibles et (d) le droit à des recours utiles. Les quatre questions ont été prises en compte dans l’analyse et les conclusions du CDESC.

Le Comité a reconnu le droit des plaignants à un logement suffisant, considérant que, en « l’absence d’arguments valables de la part de l'État partie en ce qui concerne toutes les mesures prises au maximum de ses ressources disponibles, l’expulsion des requérants, sans que leur soit garanti un logement de remplacement par les autorités de l’État partie dans son ensemble, […] constituait une violation de leur droit à un logement suffisant » (para.) 18) [Traduction non officielle]. Le CDESC a fait ressortir les obligations positives des États concernant la garantie de non répétition et la protection du droit au logement même dans les cas où l'expulsion est justifiée (par exemple, en « l'absence de paiements de loyer » ou en cas de « dommages matériels », para.  15.1). Dans de tels cas, certaines conditions doivent être respectées : accès à des recours utiles, consultation des personnes touchées, examen d’autres options possibles, garantie qu’il ne sera porté atteinte à aucun autre droits en conséquence de l'expulsion, protection spéciale pour les groupes vulnérables et fourniture d'un logement de remplacement  (para.  15.2).

Le CDESC a formulé des recommandations individuelles, établissant que l’État devrait évaluer la situation actuelle des auteurs, en consultation avec ceux-ci, et s’assurer qu’ils aient accès à un logement suffisant, verser une indemnisation pour les atteintes à leurs droits ainsi que pour couvrir les frais judiciaires.  Le Comité a également adressé des recommandations générales à l’Espagne, en ce qui concerne : (a) l’adoption de mesures législatives et/ou administratives garantissant l’accès des locataires à des recours judiciaires « lorsque les conséquences d’une expulsion sont analysées » ; (b) l’adoption de mesures visant à promouvoir la « coordination entre  les décisions judiciaires et les actions des services sociaux » ; (c) l’adoption de mesures visant à assurer « un logement de remplacement » aux « personnes sans revenu » ; (d) la protection spéciale des personnes en situation de vulnérabilité ; et (e) la formulation et la mise en œuvre d’un plan visant à « garantir le droit à un logement suffisant pour les personnes à faible revenu ».

La décision du CDESC est particulièrement importante pour ce qui est de réintroduire la nécessité d’appliquer un critère du caractère approprié dans l’évaluation des politiques gouvernementales et de reconnaître le droit de toute personne, y compris les locataires, à un logement suffisant. Elle permet également de faire face à une situation de violations systématiques découlant des mesures d’austérité adoptées pendant la crise économique en Espagne.

Après cette grande victoire pour la famille Bourmouz-Bellili et les mouvements sociaux en Espagne qui l’ont appuyée, il faut maintenant s’occuper de la mise en œuvre.  Le CDESC des Nations Unies vient tout juste de publier ses Méthodes de travail sur le suivi des constatations (en anglais), qui peuvent servir de point de départ dans la lutte pour le droit au logement au stade actuel :  http://www.ohchr.org/EN/HRBodies/CESCR/pages/cescrindex.aspx. Ces mesures devraient, entre autres, tenir compte de points clés du Document de réflexion du GTLS sur le suivi des constatations, tels que définir des mesures délibérées, concrètes et ciblées visant la réalisation des recommandations ; adopter un échéancier pour la réalisation des mesures ; faire participer la société civile, en particulier les groupes défavorisés ou marginalisés, à un dialogue constructif visant l’élaboration de mesures ; et assurer la cohérence et la coordination entre tous les secteurs et ministères concernés.  La société civile devrait jouer un rôle central dans la diffusion de la décision, l’élaboration du plan d’action et le suivi de la mise en œuvre.


[1] Eurostat, « Tableaux par prestations - fonction logement », sur : http://appsso.eurostat.ec.europa.eu/nui/show.do?dataset=spr_exp_fho&lang=fr (lien externe)

[2] En 2013, le budget général de l’Institut était de 270.908.658 €, en 2014, de 255.347.880 €, en 2015, de 240.784.918 €, et en 2016, de 242.829.877 €. Voir : BOCM, LEY7/2012, (26 décembre 2012), de Presupuestos Generales de la Comunidad de Madrid para el año 2013 (Budgets généraux de la Communauté de Madrid pour l’année 2013), 2012, p.8 ; BOE, Ley 5/2013, de 23 de diciembre, de Presupuestos Generales de la Comunidad de Madrid para el año 2014 (Budgets généraux de la Communauté de Madrid pour l’année 2014), 2014, Sect. I. p. 26593; BOCM, LEY 3/2014, de 22 de diciembre, de Presupuestos Generales de la Comunidad de Madrid para el año 2015 (Budgets généraux de la Communauté de Madrid pour l’année 2015), 2014, p.16; BOCM, LEY6/2015,de 23 de diciembre, de Presupuestos Generales de la Comunidad de Madrid para el año 2016 (Budgets généraux de la Communauté de Madrid pour l’année 2016), 2015, p.13. De plus, le budget consacré au logement et à la promotion de la construction résidentielle dans la communauté autonome de Madrid a été réduit de plus de la moitié, passant de 86.25 € en 2008 à 31.76 € en 2013. Fundación Civio, ¿ Dónde van mis impuestos ?, sur http://dondevanmisimpuestos.es/.

[3] Amnesty International Espagne, Evicted Rights. Right to housing and mortgage evictions in Spain (2015), sur https://doc.es.amnesty.org/cgi-bin/ai/BRSCGI.exe/EUR4170015-27160%20Evicted%20Rights?CMD=VEROBJ&MLKOB=34293751010. Voir également, HCDH, Rapporteuse spéciale sur le logement convenable en tant qu'élément du droit à un niveau de vie suffisant ainsi que sur le droit à la non discrimination à cet égard, A/HRC/34/51 (2017), disponible sur : http://www.jurislogement.org/wp-content/uploads/2017/02/Rapport-NU-Finaciarisation-du-logement.pdf