Contre-Cop Des Peuples Africains : Résister Aux Fausses Solutions Pour Faire Progresser la Justice Climatique ET la Protection de la Biodiversité

Date de publication : 
Jeudi, 3 novembre 2022

En amont de la COP 27, qui se tiendra à Sharm El-Sheikh, en Égypte, et de la COP 15 qui se tiendra à Montréal, au Canada, le Réseau-DESC, en partenariat avec Natural Justice, African Civil Society Biodiversity Alliance et African Climate Justice Collective, a organisé une session d'échange mutuel le 21 octobre 2022 dans le cadre de la contre-COP des peuples africains. Cet événement s'intitulait : Résister aux fausses solutions - Sauvegarder le droit à la terre et le CLIP pour faire avancer la justice climatique et la protection de la biodiversité.

La discussion a réuni des interventions de membres et d'alliés du Réseau-DESC, dont Christine Kandie. (Endorois Indigenous Women Empowerment Network), Radiatu Sheriff (Natural Resource Women Platform), Glory Lueong (FIAN International) et Delme Cupido (Natural Justice).

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Contexte général :

Le monde est actuellement confronté à des crises du climat et de la biodiversité d'une ampleur sans précédent. Ces deux crises sont étroitement liées et il n'y a aucune possibilité de solutions transformatrices si ces urgences environnementales sont abordées de manière isolée. Les espaces multilatéraux (que ce soit sous l'égide du secrétariat de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques ou du secrétariat de la Convention des Nations unies sur la diversité biologique) où les solutions à ces crises sont principalement discutées peuvent différer, mais une réalité transversale est que ces crises qui s'accélèrent et se renforcent mutuellement, leurs moteurs structurels, et même certaines solutions ou plutôt « fausses solutions » ont une incidence grave sur les droits humains et environnementaux des peuples autochtones et des communautés locales, en particulier les droits à la terre, au consentement préalable libre et éclairé et à l'autodétermination.

Dans ce contexte, la session a exploré les violations des droits perpétrées et perpétuées par les fausses solutions à la double crise du climat et de la biodiversité. Selon la définition de Christine Kandie, les fausses solutions sont « des solutions qui ne s'attaquent pas à la cause profonde du changement climatique et de la crise de la biodiversité et qui entraînent des violations des droits humains ».  Elles comprennent, par exemple, les tentatives de conservation-forteresses qui dépossèdent les communautés autochtones et locales de leurs terres au nom de la conservation ou les marchés du carbone qui proposent une solution capitaliste à la crise climatique. Ces solutions sont souvent rendues possibles par l'emprise des entreprises (le phénomène très répandu des entreprises puissantes qui exercent une influence indue sur les processus décisionnels gouvernementaux ayant un impact sur l'intérêt public et les droits fondamentaux). L'échange a également mis en évidence l'importance cruciale de résister aux fausses solutions et de promouvoir de vraies solutions pour un changement transformateur. Ces solutions réelles comprennent le respect, la protection et la réalisation du droit à la terre et des droits d'occupation des peuples autochtones et des communautés locales afin de faire progresser la justice climatique et la protection de la biodiversité.

Expériences partagées

Radiatu Sheriff a lancé la discussion en déclarant que « face à ces crises en Afrique, on nous propose une multitude de solutions qui aggravent les crises et créent même de nouveaux problèmes, car elles sont élaborées, discutées et mises en œuvre sans les peuples autochtones et les communautés locales". Les fausses solutions causent des souffrances incommensurables aux peuples autochtones et aux communautés locales et se manifestent de multiples façons sur le continent africain, du Liberia au Kenya, en passant par l'Ouganda, le Mozambique, l'Afrique du Sud et bien au-delà. Les intervenant.e.s ont partagé leurs expériences sur ce à quoi ressemblent les fausses solutions dans différentes régions d'Afrique. Christine Kandie a partagé les luttes de la communauté Endorois au Kenya qui a été expulsée par le gouvernement kenyan de ses terres ancestrales autour de la région du lac Bogoria au nom de la déclaration d'une zone protégée pour créer une réserve animalière. Selon Christine, « nous considérons qu'il s'agit d'une fausse solution, car lorsque le gouvernement a pris les terres, il devait les conserver, mais la faune et la flore sauvages se sont déplacées. Ils devaient la conserver, mais la faune et la flore de Bogoria ont depuis décliné ». Les Endorois ont déposé une plainte contre le gouvernement kenyan auprès de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples, mais Christine raconte que « le gouvernement kenyan était tenu de nous rendre nos terres, mais ne l'a jamais fait à ce jour ».

Radiatu Sheriff a expliqué à quoi ressemblent les fausses solutions au Libéria, notamment la création de zones protégées ainsi que le boisement et le reboisement, qui ont conduit à l'appropriation massive de terres dans les 15 comtés du pays. Elle a ajouté que « ce reboisement a impliqué la culture d'arbres toxiques, comme le caoutchouc, par des entreprises qui les expédient en Europe pour des processus industriels ; ce qui a entraîné la suppression des moyens de subsistance des communautés, la dégradation des sols et l'accaparement des terres ». En outre, les entreprises ne respectent pas leurs promesses, comme au Liberia. Par exemple, la société a promis de construire une centrale électrique pour alimenter Monrovia en électricité, mais ne l'a pas fait. « Ces fausses solutions ignorent et portent atteinte aux droits des communautés, dégradent l'écosystème et continuent de menacer la biodiversité », a déclaré Radiatu. Glory Lueong a fait part d'expériences similaires en Ouganda, où de nombreux eucalyptus sont plantés au nom du reboisement, alors que l'eucalyptus consomme beaucoup d'eau et est donc mauvais pour l'environnement. Pendant ce temps, les communautés ne sont jamais consultées et leurs terres sont accaparées ; ce qui entraîne leur déplacement.

Les intervenant.e.s se sont demandé pourquoi ces solutions ne s'attaquent pas aux causes profondes de la double crise, mais aggravent plutôt la situation. Glory Lueong a déclaré que c'est parce que « les solutions sont destinées à maintenir le statu quo, c'est-à-dire à garder les profits dans les poches des capitalistes et à maintenir la classe dominée ». Il est donc clairement nécessaire de prendre des mesures urgentes et immédiates pour assurer la transition vers des modèles sociaux et économiques justes et durables qui permettront de résoudre cette double crise. Les communautés se sont battues pour leurs droits à travers l'Afrique de multiples façons. L'une d'entre elles est le recours aux tribunaux, comme l'a déclaré Delmi Cupido : « l'une des principales stratégies utilisées par Natural Justice est le recours aux tribunaux contre les entreprises, car nous disposons d'un système judiciaire opérationnel et ce recours est dirigé par la communauté... Nous avons récemment gagné un procès contre Shell qui voulait effectuer des tests sismiques au large de la côte sauvage d'Afrique du Sud, à la recherche de pétrole et de gaz ». Une autre façon pour les communautés de résister aux fausses solutions est de s'organiser et de partager leurs problèmes dans des espaces comme celui de Christine Kandie qui a déclaré : « En tant qu'Endorois, nous avons construit un réseau solide au niveau de la base pour donner plus d’écho à nos problèmes lors d'événements internationaux, aux niveaux régional et national, et nous sommes devenus membres de réseaux pour que nos problèmes ne s’oublient pas ».

Principales voies à suivre

Les panélistes ont enfin réfléchi aux principales voies à suivre, lors de la COP 27 et bien au-delà, pour faire face à la double crise et résister aux fausses solutions, notamment les suivantes :

  1. Mettre fin aux investissements dans les combustibles fossiles et transformer le système énergétique en systèmes d'énergie communautaire et renouvelable. Comme le dit Radiatu, « il est temps que ceux qui causent les crises de la biodiversité et les crises climatiques prennent leurs responsabilités ».
  2. Respecter, protéger et réaliser le droit à la terre des communautés locales et des peuples autochtones en veillant, entre autres, à ce qu'ils aient le contrôle de leurs terres, de leurs pêcheries et de leurs territoires. Selon Glory, « l'environnement et le climat sont des questions liées à la terre et tant que nous n'aurons pas de discussion concrète sur les modalités des droits fonciers, nous donnerons le pouvoir aux élites de fixer des normes et de continuer à déposséder ».
  3. Construire la solidarité aux niveaux national, régional et international pour faire pression en faveur des droits fonciers des peuples autochtones et des communautés locales. Comme l'a suggéré Delmi, « les forces contre les communautés sont massives et il est difficile pour une petite communauté de s'attaquer à une multinationale. Nous devons construire un mouvement de masse similaire à celui qui a vaincu l'apartheid en Afrique du Sud et qui s'est attaqué aux industries pharmaceutiques au cœur de la crise du VIH. C'est possible ».
  4. Placer les communautés locales et les peuples autochtones au centre des discussions, en ce sens que tout accord visant à étendre les zones protégées et conservées doit être conclu en partenariat avec eux, dans le respect de leur droit à l'autodétermination, et uniquement avec leur consentement libre, préalable et éclairé. Ce point est crucial car les peuples autochtones ont un rapport sacré à la terre ; ce qui constitue un défi direct au capitalisme qui considère la terre comme une marchandise. Selon Radiatu, « les habitants de la forêt connaissent bien la gestion et les pratiques foncières et sont capables de servir de détecteurs d'alerte précoce et de défenseurs de première ligne, mais comme ils ne sont pas impliqués, cela crée des tensions ».
  5. Faire pression pour une révision des accords néolibéraux de commerce et d'investissement qui privilégient les intérêts des entreprises au détriment de la durabilité environnementale et des droits humains, afin de s'assurer que les solutions proposées sont transformatrices plutôt que fausses. Glory a déclaré que « pour bien faire les choses, nous devons nous attaquer aux facteurs structurels d'exclusion, de dépossession et d'inégalité ».