Position collective sur les données pour les droits économiques, sociaux et culturels

Date de publication : 
Jeudi, 28 avril 2022

 

TEXTE COMPLET DE LA POSITION COLLECTIVE 

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Les données sont nécessaires à la réalisation des droits humains. Sans elles, nous ne pouvons pas comprendre la situation des droits humains, nous ne pouvons pas prendre de décisions politiques éclairées et nous ne pouvons pas évaluer l’efficacité de ces décisions.

Il y a toutefois un manque de données relatives aux droits humains. Comme les entités décisionnelles et détentrices du pouvoir s’appuient de plus en plus sur d’énormes quantités de données pour élaborer des politiques et prendre des décisions concernant les droits économiques, sociaux et culturels de la population, nous ne pouvons pas présumer que ces données sont neutres ou objectives. Nous ne pouvons pas non plus présumer que les bons types de données sont recueillis. Les États ne produisent ni n’utilisent les types de données nécessaires à la promotion des droits humains — à tel point que les pratiques des États en matière de données constituent parfois une menace pour les droits humains et viennent renforcer les inégalités existantes.

Les processus fondés sur des données, tels que les Objectifs de développement durable au niveau mondial, les recensements au niveau national ou les évaluations d'impact environnemental au niveau local, ont tendance à exclure les communautés et les groupes marginalisés concernés, ce qui fait que ceux-ci ne sont pas représentés dans les données et n’ont pas vraiment voix au chapitre quant à la nature des données qui sont recueillies et l’utilisation qui en est faite. Cela est problématique car des sous-populations sont ainsi rendues invisibles pour les responsables des politiques et les acteurs du pouvoir, ce qui entraîne une plus grande marginalisation. Les exemples sont innombrables. Les femmes et les filles sont souvent absentes dans les données — manque de données sexospécifiques —, ce qui signifie que les décisions sont prises sans prendre en compte les besoins des femmes et des filles, ce qui vient renforcer l’inégalité entre les sexes. Pendant la pandémie de COVID-19, plusieurs pays européens n’ont pas recueilli de données sanitaires ventilées par race et n’étaient donc pas en mesure de répondre aux besoins des différents groupes. Même si des données pertinentes sont recueillies, elles ne sont souvent pas mises à la disposition des communautés de façon à ce que celles-ci puissent les utiliser pour participer aux processus décisionnels importants, tels que la planification du développement local. Et quand les communautés décident de recueillir leurs propres données pour influencer les décisions qui les concernent, ces données ne sont souvent pas prises en compte sous prétexte qu’elles ne sont pas objectives ni crédibles.

Ces exemples sont des choix. Les décideurs choisissent d’exclure des groupes et ce qui est important pour les groupes marginalisés (intentionnellement ou non) du fait que certains ont du pouvoir, d’autres pas. Cette position collective part donc du fait que les données sont par nature politiques. Pour s’assurer que les données servent à renforcer la jouissance des droits humains, il faut d’abord reconnaître ce fait. Ensuite, pour remédier aux problèmes que pose le système actuel, il faut démystifier et démocratiser les données. Le rôle que jouent les données dans la prise de décisions consiste souvent à remplacer des conversations difficiles par des choix qu'on fait passer pour des décisions de nature purement technique, par exemple, lorsque des acteurs du pouvoir disent qu'il est trop coûteux de mettre en place des processus décisionnels participatifs ou qu'il est trop difficile de recueillir des données ventilées ou même que les expériences vécues ne constituent pas des informations valables à partir desquelles des décisions devraient être prises. Cela permet aux personnes au pouvoir d’éviter de confronter d’autres problèmes systémiques, tels que l’inégalité, le racisme, le patriarcat, dans lesquels elles pourraient être impliquées.

Ce n’est malheureusement pas un nouveau problème. Les données ont toujours été utilisées par les personnes au pouvoir pour justifier des décisions qui viennent consolider le pouvoir exercé sur les autres. Bien avant l’époque actuelle de développement durable mondial, certains types de données — celles qui sont considérées « scientifiquement objectives » — ont été utilisés pour dissimuler et justifier des motivations plus politiques, telles que l’assujettissement ou la réduction au silence des populations. Les puissances coloniales prétendaient recueillir des informations « scientifiques » sur les populations colonisées en vue d’assurer leur « mieux-être ». Le régime actuel du développement durable continue d’adopter une position par rapport aux données qui est paternaliste et dominée par des acteurs du pouvoir, qui continuent d’exercer le pouvoir grâce au contrôle de l’information. En diminuant les connaissances et les expériences des communautés concernées et marginalisées et en les qualifiant d’information inférieure, elles excluent effectivement davantage les communautés dont elles prétendent servir les intérêts.

De plus, la numérisation de tous les aspects de nos vies a apporté énormément de pouvoir aux entreprises technologiques et a encore réduit le pouvoir et le contrôle que les populations exercent sur les données et sur l’information, ce qui a de sérieuses répercussions sur les processus décisionnels publics. D’énormes quantités de données nous concernant sont recueillies dans notre vie publique et privée chaque fois que nous utilisons des dispositifs de télécommunication, des moyens d’identification numériques ou biométriques, des services Internet, des plateformes de paiement, etc. Les États —et les grandes entreprises—utilisent de plus en plus ces données, qui sont recueillies à des fins tout autres que la formulation de politiques, pour accomplir diverses fonctions publiques, depuis la prestation de services jusqu’au maintien de l’ordre en passant par l’affectation de ressources. Cependant, les données produites commercialement donnent une image partielle de la société, se fondant sur une vision des gens comme consommateurs plutôt que comme détenteurs de droits, et ne devraient pas servir de seul fondement à la prise de décisions publiques. Et comme les États externalisent d’importantes fonctions publiques, les entreprises technologiques peuvent désormais influer sur l’accès de la population aux services, aux marchés et aux opportunités sans être suffisamment surveillées ni appelées à rendre des comptes par le public. Il s’ensuit un important déséquilibre du pouvoir sur les politiques et pratiques publiques, et donc sur la vie des gens, ce qui mérite l’attention urgente des défenseur-e-s des droits humains et de la justice sociale.


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