Demande de logements pour les familles sans-abri de Laguna Lakeshore, Manille

À:

Hon. Benigno Simeon Aquino III, Président de la République des Philippines

CC:

Hon. Jejomar Binay, Vice Pésident de la République des Philippines, Président du conseil de coordination du développement urbain et des stratégies de logement 

Hon. Laarni Cayatano, Maire de la municipalité de Taguig

Hon. Loreta Anne Rosales, Présidente de la Commission des droits de l’homme

Hon. Jaime Varela, Commission présidentielle philippine en faveur des citadins pauvres

Corazon Juliano-Soliman, Secrétaire du Département de la protection sociale et du développement

Hon. Allan Peter Cayetano, Sénateur de la République des Philippines 

Hon. Pia S. Cayetano, Sénatrice de la République des Philippines

Mme. Leilani Farha, Rapporteuse spéciale sur le logement convenable en tant qu’élément du droit à un niveau de vie suffisant ainsi que sur le droit à la non-discrimination à cet égard

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Nous vous écrivons afin de vous faire part de notre profonde inquiétude concernant les conditions de vie dans lesquelles se trouvent environ 130 familles suite aux expulsions forcées et à la démolition de leurs logements dans la région au bord du lac Laguna dans la ville de Taguig.

D’après les rapports que nous avons reçu, avant les expulsions et les démolitions de leurs logements, les familles affectées vivaient dans sept quartiers situés près des rives du lac la Laguna dans la région de Taguig de la ville de Manille (Barangay Napindan, Calsada, Hagonoy, Ibayo-Tipas, New Lower and Lower Bicutan).

Nous croyons comprendre que le 30 avril de cette année, les familles de la route C6 de Barangay Napindan ont été expulsées de force par l’action conjointe de plus de 300 personnes provenant des autorités nationales de police des Philippines, du ministère de la sécurité et de l’ordre publics et d’une équipe de démolition.

Suite à la perte de leurs logements, les familles affectéesse seraient réfugiées dans la cour centrale de Barangay Casalda, où des représentants du gouvernement local leur auraient fourni un peu de nourriture et plusieurs matelas. On leur a néanmoins demandé d’évacuer les lieux le 2 mai, date à partir de laquelle elles ont commencé à s’installer dans des tentes de fortunedisposées sur des terrains inoccupés adjacents à la zone qui était autrefois leur quartier. Il paraîtrait que lors des démolitions et des opérations de déblaiement qui suivirent les expulsions, les autorités du ministère de la sécurité et de l’ordre publics auraient harcelé les familles affectées et leur auraient confisqué leurs effets personnels. Nous avons également été informés d’actes de violence physique et d’arrestations arbitraires qui se seraient produits lorsque certains individus essayaient d’empêcher les autorités de saisir leurs propriétés. 

Nous avons été informés, que les familles ayant été expulsées de la région des rives du lac, de laquelle elles dépendaient pour pêcher, cultiver et créer des moyens de subsistance, vivent à présent dans un état d’indigence. La majorité des résidents ne disposent pas d’un revenu stable qui leur permettrait de payer un loyer dans des logements réguliers, ce qui les a initialement incité à construire leurs maisons sur des terrains publics inoccupés dans la région du lac. La perte de leurs logements et de l’accès à leurs moyens de subsistance provoquée par les expulsions forcées et les démolitions dans la ville de Taguig est une terrible épreuve pour ces familles déjà vulnérables auparavant, qui luttent pour avoir accès aux ressources minimales indispensables à leur survie. Suite à l’incident, de nombreuses personnes rencontrent de graves difficultés pour travailler et ne disposent pas d’assez d’eau potable et de nourriture, les parents ont également manifesté leurs inquiétudes concernant l’interruption de la scolarité de leurs enfants. De plus, la saison des pluies dans la ville de Manille approche, et la sécurité, la santé et la survie immédiate de ces familles est à présent en danger. Le harcèlement constant des familles expulsées effectué par le ministère de la sécurité et de l’ordre publics n’a fait qu’aggraver leur insécurité.

Nous comprenons que le déplacement de ces familles a été réalisé dans le cadre du projet de développement du lac Laguna, le plus grand projet actuel de l’administration Aquino, qui suppose un partenariat des secteurs public et privé, et qui va construire une nouvelle autoroute et entreprendre la mise en valeur des terres. Le projet est évalué à 123 milliards de pesos philippins (environ 2,7 milliards de dollars américains) et implique prétendument les capitaux de la Banque asiatique de développement, du fonds de pension néerlandais et de Macquarie. Plusieurs entreprises basées aux Philippines participent à ce projet, notamment SMDC, Ayala Land, Metro Pacific Group et San Miguel Corporations. Le lac Laguna est le plus grand lac des Philippines, une des principales sources d’eau douce, de poissons et de légumes du pays, et le principal moyen de subsistance d’environ 6 millions de personnes, qui seront directement touchées si le projet, de la mise en valeur des terres et de la construction de l’autoroute, est mené à son terme. 

De plus, nous croyons savoir que les représentants des bureaux du gouvernement local de la région métropolitaine de Manille ont nié à plusieurs reprises avoir l’obligation d’assister les droits humains des familles affectées, y compris lors d’une conférence tenue le 22 avril entre les représentants du gouvernement de la ville de Taguig et le bureau du Président des Philippines à travers la Commission présidentielle en faveur des citadins pauvres. Nous avons été informés que le 12 mai, le personnel du maire Laarni "Lani" Cayetano du gouvernement de la ville de Taguig, a réitéré que le gouvernement local ne dispose d’aucun programme pour assister les personnes affectées et a déclaré que ces familles n’ont pas le droit d’accéder aux aides publiques au logement. Nous pensons également comprendre que le 21 mai 2014, les familles affectées, par le biais de leur organisation locale, ont rencontré plusieurs fonctionnaires du gouvernement, y compris  de la Commission nationale de la lutte contre la pauvreté et de la Société pour le financement de logements sociaux, afin de discuter sur les possibles solutions pour combattre la situation dans laquelle se trouvent les familles sans abri. Dans une autre réponse, l'Autorité nationale du logement aurait offert de reloger les familles à Trece Martirez Cavite, une région se trouvant très loin de leur source de subsistance et d'autres services fondamentaux. D’après l’information que nous avons reçu, le gouvernement n’a pas encore offert de solution viable et satisfaisante qui soit conforme aux normes internationales relatives aux droits humains. 

Nous tenons à rappeler au gouvernement des Philippines qu’il a, conformément à ses obligations en vertu du droit international des droits humains, l’obligation de respecter, de protéger et de réaliser les droits humains de ses citoyens. En vertu de la Déclaration universelle des droits de l'homme et en tant que signataire du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, les Philippines ont des obligations clairement définies de respecter le droit à un niveau de vie suffisant, y compris le droit à un logement convenable et à la sécurité d'occupation, le droit au travail et les droits à l'alimentation, à l'eau, à l'assainissement, à l'éducation, en plus de l'obligation de s’abstenir d’infliger des traitements cruels, inhumains ou dégradants. En outre, les deux Pactes établissent clairement « En aucun cas, un peuple ne pourra être privé de ses propres moyens de subsistance ». La Commission des droits de l’homme de l’ONU, a déclaré que les expulsions forcées sont des violations flagrantes de droits humains, et le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a affirmé que les expulsions forcées ne sont autorisées que dans des circonstances spécifiques, notamment lorsque les personnes affectées ont eu la possibilité d’avoir une consultation véritable,  ont reçu un préavis adéquat et raisonnable, et disposent de voies de recours judiciaires. Les principes de base et les directives sur les expulsions forcées et les déplacements liés au développement ont de plus établi que toute expulsion doit être (a) autorisée par la loi; (b) effectuée conformément au droit international des droits humains; (c) entreprise dans le seul but de promouvoir le bien-être général et (d) raisonnable et proportionnelle. Les normes internationales établissent aussi l’obligation de chercher des stratégies afin de diminuer ou d’éviter les déplacements et le droit à la réinstallation des personnes déplacées, y compris à un logement qui soit adéquat, accessible, abordable, habitable et qui ait accès aux services essentiels et à des lieux de travail. Les familles affectées ont également le droit à une indemnisation juste et un logement de remplacement suffisant ou à la restitution qui doit se réaliser immédiatement après l’expulsion.

À la lumière des graves violations qui ont été commises contre les familles susmentionnées et en reconnaissance de leurs conditions actuelles qui les empêchent de vivre dignement, nous, soussignés, demandons aux Philippines de :

  1. Cesser les opérations de compensation en cours et le harcèlement constant des familles sans abri mentionnées ci-dessus;
  2. S’assurer que les familles susmentionnées ont accès à un autre logement abordable et adéquat qui soit près de leurs lieux de travail, des centres scolaires et des services sociaux ;
  3. Fournir une indemnisation juste pour les pertes et les dommages causés par les démolitions de leurs maisons et une assistance de réhabilitation afin de leur permettre de subvenir à leurs besoins immédiats tels que ceux de logement, de nourriture, d’eau, de médicaments et de vêtements et les rembourser ;
  4. S’assurer que les victimes des expulsions forcées ont accès à des voies de recours judiciaires ; et
  5. Veiller à ce que tous les projets de développement des Philippines soient conformes aux obligations de l’État en matière de droits humains, y compris le droit des personnes affectées d’être consultées, et s’assurer que cela n’engendre pas que les personnes vivant dans la pauvreté deviennent des indigents ou des sans abri.

Signez la pétition