Colombie: respectez les résultats des consultations populaires

La pétition suivante a été lancée par les membres du Réseau-DESC Comité Ambiental en en Defensa de la Vida et le Réseau international des droits de l'homme (RIDH).

M. JUAN MANUEL SANTOS CALDERON

Président de la République de Colombie

Objet : Respectez les résultats des consultations populaires

M. le président,

Comme vous le savez, le 26 mars 2017, la majorité de la population de la municipalité de Cajamarca, dans le cadre d’une consultation populaire démocratique, a manifesté son rejet du projet minier « La Colosa », concession qui avait été accordée à la société multinationale AngloGold Ashanti.

C'est maintenant avec inquiétude que nous prenons connaissances des déclarations de Germán Arce, ministre colombien des Mines et de l'Énergie, qui menacent de sanctions disciplinaires les conseillers des municipalités qui ont interdit l’exploitation minière industrielle et la prospection d’hydrocarbures sur leurs territoires au moyen de consultations populaires.   Ce qui nous inquiète particulièrement, c’est le mépris apparent, dont témoignent les déclarations du ministre, du droit de ces communautés à la participation, qui porte atteinte à l’état de droit et enfreint le cadre juridique colombien.

La Constitution de la Colombie[1] reconnaît le droit fondamental à la participation citoyenne et, dans différentes sentences, [2] la Cour constitutionnelle a clairement établi l’obligation de consulter les citoyens et citoyennes en ce qui concerne des décisions liées à l’exploitation minière, et a précisé que le pouvoir de déterminer le type d’activités économiques appropriées pour chaque localité revient aux municipalités.  De même, en ce qui concerne l'octroi de concessions minières dans les municipalités, celles-ci doivent être consultées par les autorités nationales, en tenant compte de leurs plans d’aménagement territorial. Finalement, le Conseil d'État (Consejo de Estado)[3] a souligné la légitimité des consultations populaires comme forme de participation citoyenne.   

En conséquence, nous considérons que la consultation populaire est un mécanisme clair de participation citoyenne reconnu par la législation colombienne ; il s’agit d'un instrument par lequel un problème est porté à l’attention de la population pour qu’elle prenne et exprime une décision, qui doit être considérée contraignante, conformément à la Loi 134 de 1994 et à la Loi 1757 de 2015.

Nous souhaitons également rappeler les obligations qui reviennent à la Colombie en vertu du droit international relatif aux droits humains. En tant qu’État partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la Colombie est tenue de respecter le droit à la liberté d’expression, notamment la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce,[4] le droit de réunion pacifique[5] et le droit de prendre part à la direction des affaires publiques.[6] Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, auquel la Colombie est aussi État partie, établit le droit à l'autodétermination,[7] le droit qu'a toute personne d'obtenir la possibilité de gagner sa vie par un travail[8], le droit à la santé physique et mentale[9] et le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille, y compris une nourriture, un vêtement et un logement suffisants, ainsi qu'à une amélioration constante de ses conditions d'existence.[10] Nous comprenons que tous ces droits sont en jeu avec la mise en œuvre des grands  projets miniers qui ont entraîné l’organisation de consultations populaires dans le pays.

Nous souhaitons également rappeler qu'en tant qu'État partie aux traités susmentionnés, la Colombie est tenue de se conformer aux recommandations des comités chargés de veiller au respect des traités relatifs aux droits humains, tels que le Comité des droits de l'homme des Nations Unies, qui a encouragé la Colombie à adopter une loi qui garantisse la tenue de consultations préalables avec les communautés ethniques afin d’obtenir leur consentement libre et éclairé avant l’adoption et la mise en œuvre de toute mesure susceptible d’avoir des incidences importantes sur leur mode de vie et leur culture.[11] Le Comité des droits de l'enfant a exprimé sa préoccupation à l’État partie en raison des effets néfastes que certaines activités commerciales, en particulier dans le secteur minier et le tourisme, avaient sur les droits de l’enfant en Colombie[12] et recommandé à l’État colombien (entre autres mesures) d’adapter son cadre législatif pour que les entreprises et leurs sous-traitants opérant sur le territoire de l’État partie, en particulier dans le secteur minier, soient juridiquement responsables des violations des droits de l’enfant. [13]

Compte tenu des engagements établis par le cadre juridique de la Colombie et le système international des droits humains, nous soussignés nous tiendrons informés des décisions qui  seront prises et les suivrons avec vigilance.

En conséquence, nous vous demandons, M. le président, de :

  1. Respecter les décisions prises par les communautés dans le cadre des consultations populaires de Cajamarca, Tauramena, Cumaral, Piedras et Cabrera (ainsi que d’autres qui pourraient être encore menées) à la suite d’un exercice démocratique consacré par la loi.
  2. Respecter les décisions prises par les conseillers municipaux de Támesis, Jericó, Doncello, Elías, Pitalito et Acevedo, qui interdisent l’exploitation minière et pétrolière sur leurs territoires et respecter toutes les décisions qui seront encore prises par d'autres conseils municipaux.
  3. Vous abstenir de présenter et d’approuver des projets de loi ou des décrets ayant pour effet de restreindre le droit constitutionnel de la population colombienne à la participation démocratique, à la consultation populaire, au consentement libre, préalable et éclairé et à l'autonomie des entités territoriales.
  4. Garantir le respect d’une procédure régulière, et apporter des garanties électorales à toutes les communautés qui convoquent des consultations populaires dans leurs municipalités.
  5. Garantir la sécurité de l’ensemble des dirigeant-e-s intervenant dans les processus de consultation populaire pour le libre exercice du droit de manifestation pacifique et légitime, la liberté d’association et la liberté d’expression.

CC :

Mme Annalisa Ciampi, Rapporteuse spéciale sur le droit de réunion pacifique et la liberté d'association

M. David Kaye, Rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expressions

M. Michael K. Addo, président du Groupe de travail sur la question des droits de l’homme et des sociétés transnationales et autres entreprises


[1] Article 105

[2] C-035/2016, C-389/2016 - T-704/16 - SU-133/17, entre autres

[3] Conseil d’État Salle du contentieux administratif. Quatrième section. Expediente N°: 11001-03-15-000-2016-02639-00

[4] Article 19, 2

[5] Article 21

[6] Article 25 (a)

[7] Article 1

[8] Article 6, 1

[9] Article 12, 1

[10] Article 11, 1

[12] Observations finales concernant les quatrième et cinquième rapports périodiques de la Colombie, présentés en un seul document (CRC/C/COL/CO/4-5)(p. 17)

[13] CRC/C/COL/CO/4-5, article 18 (a) et (c)