"Les droits de l'homme comme un tout" - l'article de Louise Arbour

Publish Date: 
Thursday, February 16, 2012
Article publié dans Project Syndicate : An Association of Newspapers Around the World

Le 18 juin, le Conseil intergouvernemental des droits de l’homme des Nations Unies a pris une importante décision en vue de supprimer la distinction artificielle entre le fait d’être libérés de la terreur et d’être libérés de la misère, propre au système des droits de l’homme depuis ses débuts.  En donnant le feu vert au Protocole optionnel au Pacte international de 1966 relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, le Conseil a établi un important mécanisme pour dénoncer les violations généralement liées à la pauvreté, à la discrimination et à l’indifférence, que subissent fréquemment des victimes silencieuses et impuissantes.

C’est maintenant à l’Assemblée générale des Nations Unies de prononcer l’approbation finale du Protocole. En cas d’adoption, cet instrument peut faire une réelle différence dans la vie de ceux qu’on laisse souvent languir en marge de la société et à qui l’on refuse des droits économiques, sociaux et culturels, tels que l’accès à une alimentation convenable, aux services de santé, au logement et à l’éducation.  

Il y a soixante ans, la Déclaration universelle des droits de l’homme disposait qu’il est indispensable pour avoir une vie digne de ne pas subir la terreur ni la misère. Elle associait sans équivoque l’indigence à la discrimination et à l’inégalité d’accès aux chances et aux ressources. Pour ses concepteurs, la stigmatisation sociale et culturelle entravait la participation pleine et entière à la vie publique, la capacité d’influer sur les politiques et l’obtention de la justice.

Cette vision des choses unifiée a été mise à mal au lendemain de la Seconde Guerre mondiale par la logique de blocs géopolitiques en concurrence idéologique luttant pour le pouvoir et l’influence. Les droits de l’homme ont aussi été affectés par la bipolarité de la Guerre froide. Pour les pays à l’économie planifiée, la nécessité de survie supplantait l’aspiration à la liberté ; et l’accès aux éléments essentiels compris dans l’ensemble de droits économiques, sociaux et culturels devait avoir priorité dans les politiques et la pratique.

De leur côté, les gouvernements occidentaux se méfiaient de cette perspective qui, selon eux, risquait de faire obstacle aux pratiques d’économie de marché, d’imposer des obligations financières excessivement lourdes ou les deux. Par conséquent, ils préférèrent donner la priorité aux droits civils et politiques qu’ils considéraient comme indissociables de la démocratie.

Dans ce contexte, il était impossible de s’accorder sur un instrument des droits de l’homme unique et exhaustif donnant un effet holistique aux principes de la Déclaration. Il n’est pas surprenant d’avoir attendu près de vingt ans avant que les États membres des Nations Unies n’adoptent simultanément deux traités séparés – le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels – qui englobent les deux ensembles distincts de droits. Toutefois, seul le premier traité a été pourvu d’un mécanisme visant à contrôler sa mise en oeuvre.

En pratique, cette divergence a créé une catégorie de droits « alpha » – civils et politiques – devenus prioritaires dans les programmes de politiques étrangère et intérieure des pays riches et influents. Les droits économiques, sociaux et culturels étaient quant à eux souvent remisés en fin de liste des tâches à accomplir aux niveaux national et international.

Pour remédier à ce déséquilibre entre les deux ensembles de droits, le nouveau protocole prévoit pour le Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels un système de signalement des violations, appelé « mécanisme de réclamation », identique à ceux créés pour d’autres traités de droits l’homme fondamentaux. Cette procédure peut sembler opaque, pourtant, en déposant une réclamation conformément aux dispositions du Protocole, les victimes peuvent désormais signaler les abus que leurs gouvernements commettent, manquent de faire cesser, ignorent ou ne corrigent pas. En somme, le Protocole permet aux individus qui seraient autrement isolés et impuissants de porter leur détresse à la connaissance de la communauté internationale.

Après son adoption par l’Assemblée générale de l’ONU, le Protocole entrera en vigueur lorsqu’un seuil nécessaire d’États membres l’aura ratifié. Cette évolution contribuera à l’élaboration de programmes axés sur les droits de l’homme et de politiques consolidant les libertés et le bien-être des individus et de leurs communautés.

Le Protocole ne sera pas adopté par tous les pays. Certains préféreront éviter tout renforcement des droits économiques, sociaux et culturels et chercheront à maintenir le statu quo. Pourtant, il serait plus judicieux et plus juste d’embrasser la conception de la Déclaration universelle des droits de l’homme et de promouvoir sans ambiguïté l’idée que la dignité humaine exige le respect de garanties tout aussi vitales et interdépendantes contre la terreur et la misère.

Louise Arbour est Haut-Commissaire aux droits de l’homme de l’ONU.

Copyright: Project Syndicate, 2008. 
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Traduit de l’anglais par Magali Adams  

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