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Mercredi, Juin 11, 2025

ESCR-Net a adressé une lettre ouverte au président Bernardo Arévalo, à la procureure générale María Consuelo Porras et au président du Congrès Nery Ramos Irizarry, exprimant sa profonde préoccupation face à la criminalisation et à la détention arbitraire des leaders autochtones Luis Pacheco et Héctor Chaclán, et dénonçant le vaste mouvement de persécution à l’encontre des autorités ancestrales du peuple k’iche’ et des 48 cantons de Totonicapán.

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Luis Pacheco photographié par Eslly Melgarejo de Prensacomunitaria.org

À l’attention de :
M. Bernardo Arévalo
Président de la République du Guatemala

Dr. María Consuelo Porras Argueta
Procureure Générale et cheffe du Ministère public du Guatemala

  1. Nery Ramos Irizarry
    Président du Congrès de la République du Guatemala

Objet : Appel urgent à cesser la criminalisation des autorités indigènes et à respecter les droits collectifs des peuples indigènes

Mesdames, Messieurs,

Au nom de ESCR‑Net (Réseau international pour les droits économiques, sociaux et culturels) — un réseau mondial de plus de 300 organisations sociales, mouvements et défenseurs des droits humains dans plus de 80 pays — nous exprimons notre profonde préoccupation et notre vive condamnation quant à la criminalisation et à la détention des leaders indigènes Luis Pacheco et Héctor Chaclán, ainsi que de l’attaque plus large visant les autorités ancestrales du peuple k’iché’ et des 48 Cantons de Totonicapán.

Selon des informations documentées par des organisations fiables sur le terrain, le 23 avril 2024, ces deux leaders ont été arrêtés à la demande du Ministère public, sous des accusations de sédition, association illicite, terrorisme, entrave à la justice et obstruction de l’action pénale. Ces accusations sont liées à leur participation à des actions de protestation pacifiques lors de la grève nationale illimitée d’octobre 2023, convoquée par les autorités indigènes pour défendre les résultats électoraux, l’ordre constitutionnel et l’autonomie des peuples originaires.

La Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH), dans son communiqué du 23 mai 2025, a exprimé sa vive inquiétude au sujet de ces détentions, rappelant à l’État guatémaltèque qu’il doit s’abstenir d’utiliser le droit pénal comme outil de criminalisation à l’encontre des défenseurs des droits humains, notamment des autorités indigènes exerçant leur droit à la protestation pacifique et à la participation politique. La CIDH a également souligné l’obligation de l’État de garantir un environnement sûr pour l’exercice de la défense des droits collectifs, conformément aux normes internationales en matière de droits humains. La CIDH a signalé que ces enquêtes contre les autorités indigènes « s’inscrivent dans des schémas documentés d’instrumentalisation du droit pénal à des fins politiques », comme l’indiquent ses rapports et ses observations préliminaires de sa visite in situ en 2024.

Il nous alarme profondément que le système de justice pénale guatémaltèque soit utilisé pour persécuter les autorités indigènes pour l’exercice légitime de droits fondamentaux : liberté d’expression, protestation pacifique et autodétermination — tous protégés par la législation nationale et internationale. Cette persécution ne représente pas seulement une attaque contre des individus, mais également une tentative de démanteler les structures d’autonomie des peuples indigènes.

Nous rappelons que le Guatemala est tenu par des traités ratifiés et des déclarations internationales protégeant explicitement les droits des peuples indigènes et des défenseurs des droits humains, notamment :

  • Convention 169 de l’OIT — reconnaissant le droit des peuples indigènes à préserver et renforcer leurs propres institutions et à participer librement à la vie politique et aux décisions (articles 6 et 8).
  • Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples indigènes (2007) — reconnaissant les droits à l’autodétermination (art. 3), à l’autonomie (art. 4) et à ne pas être soumis à la criminalisation pour l’exercice de ces droits (art. 9).
  • Déclaration américaine sur les droits des peuples indigènes (2016) — renforçant ces droits.
  • Déclaration des Nations unies sur les défenseurs des droits humains — affirmant que toute personne, individuellement ou collectivement, a le droit de promouvoir la protection et la réalisation des droits humains aux niveaux national et international (art. 1). L’usage du système judiciaire pour sanctionner l’exercice légitime des droits de cette Déclaration contrevient directement à son esprit et à sa lettre.
  • Pacte international relatif aux droits civils et politiques — garantissant les droits à la liberté personnelle (art. 9), à un procès équitable (art. 14), à la liberté d’expression (art. 19), à la réunion pacifique (art. 21), à la liberté d’association (art. 22) et à l’autodétermination (art. 1).
  • Convention américaine relative aux droits de l’homme — garantissant les droits à la liberté personnelle (art. 7), à un procès équitable (art. 8), à la liberté d’expression (art. 13), à la réunion pacifique (art. 15), à la liberté d’association (art. 16) et à un recours judiciaire effectif (art. 25).

La criminalisation des autorités ancestrales, telles que les représentants des 48 Cantons, constitue une violation directe des engagements internationaux du Guatemala et porte atteinte aux principes constitutionnels reconnaissant le caractère pluriculturel, multiethnique et multilingue du pays, ainsi que l’obligation de protéger l’organisation libre des peuples indigènes.

Nous saluons les récentes déclarations du président Bernardo Arévalo reconnaissant le caractère politique et persécuteur des mandats d’arrêt. Toutefois, ces mots doivent se traduire en mesures concrètes garantissant justice, réparation et non‑répétition.

À cet égard, nous exhortons respectueusement l’État guatémaltèque à :

  1. Libérer immédiatement et sans condition Luis Pacheco et Héctor Chaclán, et annuler tous les mandats d’arrêt liés à l’exercice pacifique des droits collectifs des peuples indigènes ;
  2. Mettre fin à l’usage abusif du droit pénal — y compris les accusations de terrorisme et de sédition — à des fins politiques ou pour intimider les défenseurs des droits humains et les autorités communautaires ;
  3. Reconnaître et garantir le droit des peuples indigènes à l’autonomie et à l’autogouvernance, y compris leur participation politique et leur rôle dans la défense de l’ordre constitutionnel ;
  4. Respecter pleinement ses obligations internationales, notamment celles découlant de la Convention 169 de l’OIT, de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples indigènes, de la Déclaration américaine sur les droits des peuples indigènes, de la Déclaration des Nations unies sur les défenseurs des droits humains, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, de la Convention américaine relative aux droits de l’homme, et autres instruments.

La criminalisation de la protestation et des peuples indigènes affaiblit la démocratie, réduit le pluralisme juridique et approfondit les inégalités historiques. Le Guatemala est aujourd’hui face à une occasion historique de redresser le cap et de réaffirmer son engagement envers les droits humains, la justice interculturelle et le respect des peuples originaires.

Cordialement,
Chris Grove
Directeur exécutif
Au nom des membres du Réseau-DESC – Réseau international pour les droits