Women Against Violence and Exploitation in Society (WAVES) c. la République de Sierra Leone

L'organisme à but non lucratif sierra-léonais, Women Against Violence and Exploitation in Society (WAVES), a contesté une politique interdisant aux filles enceintes de poursuivre l'enseignement ordinaire comme une violation de leurs droits en vertu de la Charte africaine et de plusieurs autres instruments régionaux et internationaux des droits humains. La Cour de justice de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) s'est prononcée en faveur de WAVES.

Date de la décision: 
12 déc 2019
Forum : 
La Cour de justice de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO)
Type de forum : 
Regional
Résumé : 

En 2014 et 2015, une épidémie d'Ebola en Sierra Leone a contraint les écoles à fermer pendant neuf mois. Une des conséquences des fermetures a été une augmentation significative des grossesses chez les adolescentes (dans certaines régions, les taux en augmentant 65%). En conséquence, le ministre de l'Éducation, de la Science et de la Technologie de l'époque a déclaré publiquement que les filles enceintes ne pourraient pas fréquenter l'école ordinaire pendant qu'elles étaient enceintes afin d'éviter d'influencer négativement leurs pairs. Cette déclaration a relancé une politique interdisant aux filles enceintes d'aller à l'école, et le gouvernement a créé pour elles des écoles séparées dans laquelle elles ne se réunissaient que trois jours par semaine et où ne leur enseignait que quatre matières. Cette interdiction a également accru la stigmatisation contre les filles enceintes qui, associée à la pression financière sur elles et leurs familles, a empêché nombre d'entre elles de retourner à l'école après avoir accouché.

Women Against Violence and Exploitation in Society (WAVES) a contesté cette décision comme une violation des droits des écolières en vertu de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples; la Charte africaine des droits et du bien-être de l'enfant; le Protocole à la Charte africaine des droits de la femme en Afrique; la Convention de l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture contre la discrimination dans l'éducation; la Convention relative aux droits de l’enfant; la Convention sur l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes; le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels; et la Déclaration universelle des droits de l'homme. Plus précisément, WAVES a fait valoir que l’interdiction violait le droit des filles à l’éducation et leur droit de ne pas subir de discrimination, et que la levée de l’interdiction et la prise de mesures pour soutenir les écolières enceintes dans leur éducation produiraient de meilleurs résultats dans l’ensemble. WAVES a demandé réparation sous la forme (1) d'une déclaration selon laquelle l'interdiction était illégale, discriminatoire, contraire à l'intérêt supérieur des enfants et était une violation de leurs droits, (2) la révocation de l'interdiction, (3) la mise en œuvre de programmes pour lutter contre la grossesse chez les adolescentes en éduquant le public sur la santé sexuelle et reproductive, (4) la mise en œuvre de programmes visant à inverser la stigmatisation des filles enceintes, (5) la mise en œuvre de stratégies pour permettre aux mères adolescentes de rester à l'école et (6) l'intégration de la santé sexuelle et reproductive dans les programmes scolaires ordinaires.

Après avoir établi qu'elle était compétente, la Cour s'est penchée sur la question de savoir s'il existait des preuves de la mise en œuvre de l'interdiction par l'État, si l'interdiction contestée était discriminatoire et, dans l'affirmative, quelle réparation était appropriée.

La Sierra Leone a fait valoir que la déclaration aux médias du ministre de l'époque ne pouvait pas être considérée comme une action de l'État. Cependant, la Cour a estimé qu'elle était imputable à l'État parce que la déclaration avait été faite alors qu'il agissait en sa qualité d’officiel et que le gouvernement n'a par la suite rien fait pour empêcher l'interdiction de se produire.

La Cour a également conclu que la déclaration violait les normes relatives aux droits humains contraignantes pour la Sierra Leone. Utilisant les définitions de la discrimination dans plusieurs des instruments internationaux mentionnés ci-dessus appliqués aux faits de l’affaire, la Cour a estimé que l'interdiction faite aux filles enceintes de fréquenter l’école par la Sierra Leone était discriminatoire car il n'y avait aucune base raisonnable pour cibler les filles enceintes pour traitement différentiel. La Cour a accordé tous les recours demandés, à l'exception des programmes concernant la grossesse chez les adolescentes.

Application des décisions et résultats: 

Bien que la Sierra Leone ait officiellement annulé l'interdiction, le soutien du public à l'interdiction signifie que la stigmatisation continuera probablement. Mise à part l’annulation de l’interdiction, la Sierra Leone n’a pas encore mis en œuvre les autres ordonnances du jugement.

Groupes impliqués dans le cas: 
Importance de la jurisprudence: 

Même si cette affaire concerne la Sierra Leone, des pratiques similaires existent dans certains États africains, et cette affaire pourrait être utilisée par les défenseurs-euses et les avocat(e)s comme source d'inspiration pour les contester. Par exemple, les avocats ont cité cette affaire comme une autorité persuasive dans des affaires actuellement pendantes devant d'autres tribunaux régionaux des droits humains concernant une interdiction similaire en Tanzanie.

Pour leurs contributions, remerciements particuliers aux membres du Réseau-DESC : le Program on Human Rights and the Global Economy (PHRGE) at Northeastern University.