Summary
Dans un premier temps, la Cour procède à l’analyse des raisons pour lesquelles les défenseur·es des droits humains sont pris pour cible pendant les conflits armés et les déplacements de population, en soulignant les principaux facteurs suivants : (a) il·elles sont identifié·es comme « informateur·rices » par les factions armées ; (b) le type d’informations qu’il·elles traitent en vertu de leur position au sein d’organisations ; (c) il·elles sont considéré·es comme des obstacles aux aspirations de pénétration sociale et territoriale des groupes armés ; et (d) leur visibilité au sein de la société, que les acteurs armés utilisent pour faire de leur victimisation un instrument d’intimidation.
La Cour s’est inquiétée du manque d’action des autorités en matière de protection des défenseur·es des droits humains. Par exemple, les défenseur·es des droits humains se heurtent au rejet de leurs demandes, à des retards dans l’octroi d’assistance et à un manque d’attention aux exigences de sécurité. Cette situation est exacerbée par le fait que les représailles et le ciblage des défenseur·es des droits humains s’aggravent lorsqu’il·elles s’adressent aux autorités publiques pour obtenir de l’aide. Cela signifie qu’en se tournant vers les autorités, il·elles risquent leur vie, pour ensuite être confronté·es à l’inaction et à une insécurité accrue en raison de la passivité des pouvoirs publics.
Cette inaction des autorités ne conduit pas seulement à un état permanent d’anxiété, d’incertitude et d’insécurité pour les défenseur·es des droits humains, mais a également conduit à d’autres déplacements ou même à des demandes d’asile dans d’autres pays. En outre, la Cour a estimé que cette inaction constitue une violation des droits fondamentaux des défenseur·es des droits humains à la vie et à l’intégrité personnelle.
Ces droits sont protégés en vertu des obligations internationales de la Colombie, mais aussi de la Constitution. Par exemple, dans l’affaire T-719, la Cour a statué que le droit à l’intégrité personnelle entraîne l’obligation d’adopter des mesures holistiques de protection dont la portée, l’intensité et la durée sont proportionnelles aux risques auxquels chaque individu est confronté. Ainsi, les autorités constitutionnelles ont l’obligation d’identifier le risque, de déterminer la source du risque, de définir des mesures pour protéger le droit, de mettre en œuvre ces mesures et de les évaluer périodiquement. En outre, dans le cadre de cette affaire, la Cour a créé une présomption de risque à l’égard des personnes déplacées, qui s’applique si les critères suivants sont respectés : (a) la présentation par une personne déplacée d’une demande de protection auprès des autorités, (b) la connaissance effective de la demande par l’autorité compétente, (c) la présentation dans la demande d’informations démontrant, prima facie, que la violence a provoqué le déplacement de la personne, qu’elle a été orientée vers les institutions compétentes et qu’elle est inscrite au Registre unique des populations déplacées, et (d) les informations présentées font spécifiquement état d’une menace spécifique pour la vie et l’intégrité de la personne demanderesse ou de sa famille. Enfin, les mesures doivent être réalistes, efficaces et adéquates et doivent donner la priorité aux cas des personnes autochtones, afro-colombiennes, âgées, des mères cheffes de famille, des enfants et des adolescent·es, des personnes en situation de handicap et des personnes LGBTQI.
La Cour a ensuite passé en revue les cas individuels de défenseur·es des droits humains dans diverses régions de la Colombie afin de : (1) mettre en évidence l’incompétence des autorités à l’égard de ces personnes et de la communauté des défenseur·es des droits humains en général et (2) ordonner des mesures correctives spécifiques, immédiates et complètes en faveur de ces personnes. Par exemple, dans la région de Tolima, la Cour a examiné les cas d’environ dix-neuf personnes qui, depuis 2001, avaient demandé l’aide des autorités face aux menaces et assassinats qui ont visé des membres de leur communauté, mais qui n’en avaient reçu aucune. Par exemple, Luis LL a déposé quatorze demandes d’aide après avoir reçu de nombreuses menaces de mort contre lui et sa famille. De nombreux défenseur·es des droits humains de son entourage avaient été assassiné·es, sans pour autant avoir de réponse des autorités. Dans cette affaire, la Cour a ordonné aux autorités d’évaluer, de concevoir et de mettre en œuvre une mesure de protection efficace en faveur de Luis LL, dans les cinq jours suivant la publication de la décision Auto 200.
Comme l’illustre le cas de Luis LL, la réponse apportée par les autorités à la situation des défenseur·es des droits humains a systématiquement été caractérisée par des échecs. Plus précisément, la Cour a identifié les problèmes suivants : (1) l’absence de traitement de ces demandes d’aide avec la priorité qu’elles méritent conformément à la Constitution ; (2) l’absence de protection des membres de la famille des défenseur·es des droits humains ; (3) l’absence d’une approche qui tienne compte de l’incidence disproportionnée subie par les défenseur·es des droits humains ; (4) l’absence de traitement en temps utile des demandes d’aide des défenseur·es des droits humains ; (5) l’absence d’études des facteurs de risque ; et (6) des études de risque incorrectes qui concluent à une situation des personnes plus favorables qu’enréalité.