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Mercredi, Avril 26, 2017
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Nature of the Case

Dans ce litige d’intérêt public, une activiste des droits relatifs à la santé a contesté la pratique des gouvernements étatiques consistant à soumettre les femmes (et parfois des hommes) à des procédures de stérilisation dans des camps de stérilisation dangereux et insalubres où le consentement n’est souvent pas obtenu des patient-e-s avant de procéder. La Cour suprême a conclu que ces pratiques – visant principalement les femmes rurales pauvres – portaient atteinte au droit à la santé et plus particulièrement aux droits reproductifs, deux éléments essentiels du droit à la vie selon la Constitution indienne.

Summary

En janvier 2012, 53 femmes ont subi une procédure de stérilisation à Bihar, en Inde, dans un camp de stérilisation géré par une ONG qui avait obtenu l’accréditation de la Société sanitaire du district, apparemment sans suivre un processus officiel transparent. Les femmes n’avaient reçu aucun conseil concernant les dangers et conséquences potentiels des procédures de stérilisation. Elles ont été opérées dans une école plutôt que dans un hôpital, de façon insalubre et contraire à l’éthique, toutes par un seul chirurgien, à la lumière d’une torche sur un bureau d’école, et sans eau courante ni gants sanitaires. Plusieurs des femmes ont ressenti une douleur physique intense après l’opération et ont donc porté plainte auprès de la police. Une enquête menée par la suite par les autorités de l’état a conclu que le camp avait globalement été un succès, mise à part l’utilisation faite de médicaments périmés. 

À la suite de sa propre enquête, la requérante, l’activiste des droits relatifs à la santé Devika Biswas, a fait valoir devant la Cour suprême de l’Inde (Cour) que ces incidents constituaient une violation de la Constitution de l'Inde (Constitution). La requête demandait une enquête approfondie sur les incidents de 2012 et la réparation intégrale des préjudices en ayant résulté. De plus, pour empêcher que des violations de même nature ne se produisent à nouveau, la requête demandait aussi que la Cour ordonne l’application rigoureuse des manuels de procédure de stérilisation publiés antérieurement par le Gouvernement de l'Inde suite à la décision rendue par la Cour suprême en 2005 dans l'affaire Ramakant Rai (I) et un autre c. l’Union indienne et autres (Ramakant Rai), conformément à laquelle le gouvernement avait publié plusieurs manuels établissant les directives de procédure et de fond pour la stérilisation féminine et masculine dans le cadre de programmes de planification familiale ou de santé publique, concernant notamment l’assurance qualité et les procédures opératoires normalisées (Manuels de procédure). 

Présentant le contexte de ces incidents, la requête signalait l'existence d'autres camps de stérilisation dans différents états de l'Inde où des procédures semblables étaient menées dans des conditions insalubres et dangereuses et où les femmes ne recevaient aucune information concernant la nature de la procédure ou étaient carrément trompées, par exemple en se faisant dire par le personnel sanitaire gouvernemental que la stérilisation est obligatoire. De plus, la requête mettait l’accent sur le fait qu'un très grand nombre de procédures de stérilisation en Inde – près de 100% - vise les femmes.

La Cour a statué que les défendeurs avaient violé deux éléments de l'article 21 de la Constitution (Protection de la vie et liberté personnelle) : le droit à la santé et les droits reproductifs. La Cour a affirmé que la liberté d'exercer ses droits reproductifs comprenait le droit de faire un choix concernant la stérilisation sur la base d’un consentement éclairé et sans être soumis à aucune forme de coercition. Dans ses délibérations, la Cour a fait référence à l’Observation générale no 22sur le droit à la santé sexuelle et procréative formulée par le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies, qui signale que la santé procréative fait partie intégrante du droit à la santé. Elle s'est également inspirée de la décision concernant l'affaire A.S. c. la Hongrie rendue en 2004 par le Comité des Nations Unies pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes, qui affirmait qu’un consentement pleinement éclairé à la stérilisation était essentiel.

La Cour a souligné la nécessité d’une coordination entre les gouvernements des états et l’Union indienne, signalant que l’Union indienne doit assurer le respect rigoureux des manuels de procédure. De plus, la Cour a donné d'autres orientations particulières, par exemple : demandant que la liste de contrôle élaborée conformément à Ramakant Rai, ainsi que l’impact et les conséquences des procédures de stérilisation soient expliqués à chacune des patientes dans une langue qu'elles comprennent en leur accordant un délai de réflexion suffisant, exigeant que des données soient recueillies pour renforcer le suivi et la supervision des pratiques et assurant la transparence et la responsabilisation (avec une augmentation des niveaux d’indemnisation) par rapport aux décès ou complications liées à ces procédures.   

En ce qui concerne le système informel de fixation d’objectifs de stérilisation à l'échelle des états, la Cour a ordonné au gouvernement de chaque état et du territoire de l'Union de s'assurer qu'il n'existe pas de tels objectifs, de sorte que le personnel sanitaire et autres intervenants ne puissent pas obliger des personnes à subir ce qui équivaudrait à une stérilisation forcée ou non consentie simplement pour atteindre l'objectif. La Cour a également examiné « l’impact que des politiques telles que la fixation d'objectifs informels et la mise en place de mesures d’incitation par le gouvernement peuvent avoir sur la liberté de procréer des groupes les plus vulnérables de la société, dont les conditions économiques et sociales ne leur laissent pas vraiment le choix... et font d'eux les cibles les plus faciles de la coercition. » Sur cette question, la Cour a statué que « les politiques du gouvernement ne doivent pas refléter la discrimination systémique répandue dans la société mais bien viser à remédier à cette discrimination et assurer l'égalité de fait [et faire en sorte que] les politiques et les mécanismes incitatifs soient neutres par rapport au genre et que l’accent cesse d'être mis inutilement sur la stérilisation féminine.  

La Cour a ordonné à l’Union indienne de veiller à mettre fin aux camps de stérilisation dès que possible et en tout état de cause dans un délai de trois ans, soulignant que cette action doit s'accompagner simultanément de mesures prises par l'Union indienne et les gouvernements des états pour renforcer les Centres de santé primaire tant sur le plan de l’infrastructure que de l’accessibilités des soins de santé pour toutes les personnes.

Enforcement of the Decision and Outcomes

Avec cette affaire, la Cour suprême entend assurer le suivi et forcer la mise en œuvre de sa décision antérieure dans l’affaire Ramakant Rai. Cela correspond à la doctrine du « continuing mandamus » selon laquelle les tribunaux indiens ne se contentent pas simplement d’émettre des ordonnances mais se préoccupent également d’en assurer l'exécution.  

Significance of the Case

Cette décision a été largement célébrée par les activistes des droits des femmes en Inde. Poonam Muttreja, directrice générale de la Population Foundation of India a déclaré : « Nous nous réjouissons du jugement de la Cour suprême, que nous considérons historique. La prestation de services de qualité et la préservation de la dignité des femmes seront maintenant fermement inscrites au rang des préoccupations nationales. » La décision doit être interprétée en tenant compte du fait qu’il se réalise environ quatre millions de ligatures des trompes (stérilisations féminines) par an en Inde, plus que dans tout autre pays. Les défenseur-e-s font depuis longtemps campagne en faveur d’un meilleur contrôle ou de l'élimination des camps de stérilisation, et d’un plus grand investissement dans d’autres formes de contraception.

La décision méritait d’être soulignée du fait qu’elle portait sur deux incidents particuliers, ainsi que sur le contexte général (par ex. les objectifs informels de stérilisation fixés par les gouvernements des états) qui créent des conditions qui encouragent les stérilisations non consenties. L’affaire est venue confirmer la nécessité d’obtenir un consentement libre et éclairé avant de procéder à la stérilisation ; en l’absence d’un tel consentement, les stérilisations sont considérées comme étant involontaires ou imposées de force, et constituent de graves violations des droits humains, tel que confirmé dans la Recommandation générale no 24 de la CEDEF sur les femmes et la santé. Les groupes vulnérables, par exemple les femmes, les personnes vivant dans la pauvreté, les minorités ethniques et autochtones, les personnes handicapées, ou vivant avec le VIH, les personnes transgenres et intersexuées, ont depuis toujours été la cible de pratiques de cette nature, en Inde et partout dans le monde. L’affaire fait aussi ressortir que la qualité des soins (dont les soins pré et post-opératoires) est un élément essentiel du droit à la santé, tel que mentionné dans l’Observation générale no 14 du CDESC sur le droit à la santé.

La déclaration commune des organismes des Nations Unies « Eliminating forced, coercive and otherwise involuntary sterilization » (Éliminer la stérilisation forcée, contrainte ou involontaire) apporte des orientations utiles pour une approche de la stérilisation fondée sur les droits humains. Tout en reconnaissant que la stérilisation demeure une option importante pour les personnes et les couples qui souhaitent contrôler leur fertilité, la déclaration réaffirme que les pratiques de stérilisation devraient être disponibles, accessibles, acceptables, de bonne qualité, et sans discrimination ni coercition ni violence, et fondées sur la prise de décision approfondie, libre et éclairée de la personne concernée. 

Groups Involved in the Case

Human Rights Law Network, National Alliance for Maternal Mortality and Human Rights, Health Watch Forum, Population Foundation of India.