Kedar Nath Yadav c. l’état du Bengale occidental et autres, Appel civil no 8438 de 2016

La Cour suprême de l’Inde rend une décision protégeant les droits fonciers

L’affaire portait sur l’acquisition forcée de terres par l’état du Bengale occidental pour une unité de production automobile au nom de « l’utilité publique ». La Cour suprême de l’Inde a déterminé que l’acquisition ne s’était pas faite à une fin d’utilité publique, mais bien au bénéfice d’une entreprise, et a ordonné que les terres soient restituées aux agriculteurs locaux.   Ce faisant, la Cour a souligné la nécessité de respecter les procédures juridiques établies, surtout compte tenu des impacts sur les secteurs les plus vulnérables de la société, dont font partie les travailleurs et travailleuses agricoles pauvres.  

Date de la décision: 
31 aoû 2016
Forum : 
Cour suprême de l’Inde
Type de forum : 
Domestique
Résumé : 

En 2006, le gouvernement du Bengale occidental a accepté de laisser Tata Motors Ltd. (Tata Motors) construire et exploiter une unité de production automobile dans son état (Small Car Project). En conséquence, la Société de développement industriel du Bengale occidental (WBIDC selon son sigle en anglais) a acquis environ 1000 acres de terre agricole pour le projet au titre de la Loi sur l'acquisition de terres, 1894, portant atteinte aux moyens de subsistance de quelque 25,000 personnes – agriculteurs/trices, métayers/ères, travailleurs/euses sans terre et tireurs de pousse-pousse. Les requérants dans cette affaire étaient cinq agriculteurs et petits propriétaires fonciers. Des oppositions ont été présentées au Land Acquisition Collector (LAC), qui a conclu par la suite que les terres étaient acquises à une fin d’utilité publique, à savoir la création d’emplois et le développement économique.   Le LAC a ensuite accordé une indemnité aux propriétaires fonciers en place et la terre a été acquise par la WBIDC. La procédure d’acquisition a été contestée devant la Cour supérieure de Calcutta et a été rejetée.  

À la suite de nombreuses protestations locales, le Small Car Project a été interrompu et délocalisé vers l'état de Gujarat en 2008. Le nouveau Gouvernement du Bengale occidental a ensuite promulgué la Loi sur la réhabilitation et l'aménagement des terres de Singur, 2011 (Loi de Singur) dans le but de reprendre les terres visées par le bail consenti à Tata Motors. Tata Motors a contesté la constitutionnalité de la Loi de Singur devant la Cour suprême de l’Inde (Cour), faisant valoir qu’elle entrait en conflit avec la Loi antérieure sur l’acquisition de terres et que le gouvernement ne pouvait pas changer d’idée du simple fait qu'un nouveau parti politique avait pris le pouvoir.  

Dans son examen de la validité de l’acquisition des terres, la Cour a rejeté les arguments de Tata Motors. Pour ce qui est de l’objection préliminaire concernant un changement de pouvoir politique, la Cour a signalé qu’il était bien établi que le gouvernement d’un état pouvaient modifier des lois antérieures surtout si celles-ci allaient à l’encontre des politiques publiques.  

La Cour a déterminé que les terres acquises par la WBIDC pour Tata Motors ne l'avaient pas été à une fin d'utilité publique au titre de la Loi sur l’acquisition de terres, mais qu'elles avaient été acquises par le gouvernement de l’état pour une entreprise.  Dans ce contexte, le gouvernement antérieur avait exercé son pouvoir d’expropriation pour cause d’utilité publique (c.-à-d. le droit qu’a un gouvernement ou son agent d’exproprier une propriété privée pour la destiner à l’usage public, moyennant le versement d’une indemnité) sans suivre la procédure établie dans la Loi sur l'acquisition de terres (notamment aux sections 3(f), 4, et 6, et VII), privant ceux qui avaient perdu leur terre de leurs droits constitutionnels et fondamentaux.  De plus, la Cour a conclu que l’enquête prévue au titre de l’article 5-A2 de la Loi sur l'acquisition de terres n'avait pas été menée en bonne et due forme par le LAC, car certains opposants n'avaient pas eu la possibilité de se faire entendre et le LAC avait rejeté leurs oppositions sans les avoir véritablement examinées.  

La Cour a annulé l'acquisition des terres appartenant aux propriétaires fonciers, la déclarant illégale et non avenue.  La Cour a ordonné au Gouvernement du Bengale occidental de mener une enquête pour déterminer quelles terres devaient être rendues, puis les rendre.  La Cour a de plus ordonné que l'indemnité qui avait déjà été versée aux propriétaires fonciers ne soit pas recouvrée par le gouvernement de l'état, en guise de réparation pour avoir été privés de l'occupation et de la jouissance de leurs terres pendant dix ans, permettant aussi aux propriétaires fonciers qui n'avaient pas encore retiré leur indemnité de le faire.

Application des décisions et résultats: 

La décision est en voie d’exécution.  L’usine est en cours de démantèlement.  Les terres sont restituées aux agriculteurs. La décision a remonté le moral des agriculteurs et agricultrices du Bengale occidental, qui se mobilisent actuellement contre l’acquisition de terres dans une autre partie du Bengale occidental.

Groupes impliqués dans le cas: 

Paschim Bengal Khet Majoor Samity (Organisation de travailleurs agricoles du Bengale occidental)

Human Rights Law Network

Importance de la jurisprudence: 

Pour la première fois, la Cour suprême de l'Inde a établi une nette distinction entre l'acquisition de terres effectuée par un gouvernement pour cause d'utilité publique ou au bénéfice d'une entreprise privée.  Notamment, la Cour a déclaré qu’« [u]ne telle acquisition, si elle se maintenait, ferait que toute acquisition des terres des secteurs les plus vulnérables de la société puisse être justifiée au nom de "l’utilité publique" pour promouvoir le développement socio-économique. » Dans le cas de l’acquisition de terres pour des entreprises, les dispositions de la loi sont très strictes et exigent que soit respectée une procédure établie, qui comprend des négociations avec les agriculteurs.  À cet égard, et compte tenu du rythme du développement économique, la Cour a confirmé que « lorsque le poids de ce "développement" est porté par les secteurs les plus faibles de la société, pire encore, par les travailleurs et travailleuses agricoles pauvres qui n’ont aucun moyen de protester contre l’intervention du puissant gouvernement de l’état, comme c’est le cas dans la situation qui nous intéresse, le gouvernement de l’état a la lourde responsabilité de veiller à ce que la procédure obligatoire établie… soit scrupuleusement respectée. »  C’est la première fois que les agriculteurs/trices se voient restituer leurs terres et sont en même temps autorisés à conserver l'indemnité versée par le gouvernement pour l'acquisition.