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Mardi, Septembre 4, 2018
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Nature of the Case

Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies (CDESC) a conclu que l’Equateur avait porté atteinte au droit de Marcia Cecilia Trujillo Calero à la sécurité sociale, à la non-discrimination et à l’égalité entre les genres au titre du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels en négligeant de lui fournir en temps utile des informations suffisantes sur l’admissibilité au régime de retraite et en lui refusant sa pension en se fondant sur des motifs excessifs et discriminatoires.

Summary

Marcia Cecilia Trujillo Calero a cotisé pendant 29 ans au régime de retraite de l’Institut équatorien de sécurité sociale (IESS).  Des 305 cotisations qu’elle a versées, environ la moitié étaient des cotisations volontaires versées de 1981 à 1995, alors qu’elle se consacrait au travail de soins non rémunéré à la maison, s’occupant de ses trois enfants.  Pendant une période de dix-huit mois à partir de 1989, Mme Trujillo a interrompu ses versements volontaires, mais les a acquittés intégralement de façon rétroactive en avril 1990.  Ensuite, Mme Trujillo a continué à cotiser au régime jusqu’en 2001, moment où le personnel de l’IESS l’a informée à plusieurs reprises qu’elle aurait droit à une retraite anticipée si elle renonçait à son emploi alors rémunéré. Elle a par la suite démissionné et fait une demande de retraite anticipée.

Après une série de décisions administratives défavorables, l’IESS a rejeté la demande de retraite de Mme Trujillo, alléguant qu’elle n’avait pas le minimum requis de 300 cotisation car sa pause de dix-huit mois dans le versement de cotisations volontaires avait entraîné sa désaffiliation du régime de retraite et donc la nullité de toutes les cotisations volontaires qu’elle a versées ultérieurement.  Mme Trujillo n’a été informée qu’en 2007 de ces décisions administratives rendues en 2002 et 2003.  Elle a contesté l’une de ces décisions devant l’IESS, en vain.  Mme Trujillo a ensuite fait successivement appel à la Cour de district no 1 du Tribunal administratif contentieux de Quito, à la Cour nationale de justice et à la Cour constitutionnelle.  Elle a essuyé un refus chaque fois.

Dans la communication adressée au CDESC en 2015, Mme Trujillo soutenait que l’Équateur avait violé son droit à la sécurité sociale et à la non-discrimination fondée sur le genre.  Quand sa requête est finalement parvenue devant le CDESC, Mme Trujillo avait passé 14 ans sans toucher de pension et était sans emploi, appauvrie, divorcée et souffrait de sérieux problèmes de santé, dont le diabète, l’hypertension, une déficience auditive, une malformation des os du pied et des absences mentales sporadiques.

Le Comité a conclu que l’Équateur avait porté atteinte au droit à la sécurité sociale (article 9 du PIDESC), à la non-discrimination (article 2(2)) et à l’égalité entre les sexes (article 3), les deux derniers étant lus conjointement avec le premier.  Le Comité a fait valoir que, si l’Équateur jouit d’une certaine latitude dans l’adoption de mesures visant à règlementer son régime de sécurité sociale, les conditions doivent être raisonnables, proportionnelles, claires et transparentes et être communiquées publiquement de façon opportune et suffisante.  Le Comité a statué que l’Équateur n’avait pas satisfait à ces critères, ajoutant que l’absence en Équateur d’un régime de pension de vieillesse non contributive venait aggraver la violation des droits de Mme Trujillo

En premier lieu, le Comité a signalé que l’État n’avait pas fourni à Mme Trujillo des informations suffisantes et opportunes concernant les conditions de retraite.  Des fonctionnaires de l’IESS ont confirmé à Mme Trujillo qu’elle avait versé les 300 cotisations requises et avait droit à la retraite anticipée. De plus, même si l’affiliation volontaire de Mme Trujillo avait été annulée depuis l’interruption du versement de cotisations en 1989-90, l’IESS avait continué d’accepter les versements mensuels de Mme Trujillo pendant plusieurs années encore.  Ces facteurs réunis donnait à Mme Trujillo des motifs raisonnables de croire qu’elle pouvait prendre sa retraite et bénéficier de la sécurité sociale, l’amenant à renoncer à son emploi.

En deuxième lieu, le Comité a jugé que la politique équatorienne consistant à annuler tous les versements volontaires reçus après une interruption de six mois consécutifs était disproportionnée par rapport aux objectifs potentiels de la politique, tels que la protection des ressources de la sécurité sociale. Le Comité a fait remarquer que l’Équateur n’avait pas démontré qu’il n’y avait aucune mesure alternative qui aurait pu porter moins gravement atteinte aux droits de Mme Trujillo (par ex. exclure du calcul des prestations les cotisations de la période d’interruption de huit mois).

Finalement, le Comité a conclu que l’État était coupable de discrimination à l’égard de Mme Trujillo. Le Comité a signalé que Mme Trujillo était vulnérable à des formes intersectionnelles de discrimination fondée sur le genre et sur l’âge, ce qui faisait que la réglementation et la conduite de l’Équateur devaient faire l’objet d’un « niveau de contrôle particulièrement spécial ou strict ». Le Comité a signalé que les femmes représentaient la quasi-totalité des personnes se consacrant au travail de soins non rémunérés, qui pourraient être exclues de programmes de retraite soi-disant neutres qui ont été conçus sans les prendre en compte.  Les cotisant-e-s volontaires, qui étaient surtout des femmes, étaient en position désavantageuse car elles devaient payer aussi bien leur part des versements mensuels que celle de l’employeur, même si elles n’avaient pas d’employeur leur assurant un revenu fixe. L’Équateur n’a pas démontré que les conditions fixées pour l'affiliation volontaire étaient raisonnables et proportionnelles et non une forme indirecte de discrimination à l'égard des femmes qui se livraient au travail de soins non rémunéré.

Le Comité a conclu que l’Équateur devait assurer une réparation à Mme Trujillo et empêcher que ne se reproduisent de telles violations.  De plus, le Comité a déterminé que l’Équateur doit obligatoirement: a) adopter des mesures législatives et administratives qui garantissent le droit de toute personne à solliciter, recueillir et recevoir des informations concernant leur droit à la sécurité sociale de façon opportune et adéquate ; b) prendre les mesures nécessaires pour que les instances chargées de la sécurité sociale fournissent à toute personne des informations opportunes et adéquates, concernant notamment la validité de leurs cotisations et affiliations ; c) s’assurer que tous les règlements concernant la gestion de la sécurité sociale soient proportionnels et ne soient pas considérés comme un obstacle à l'obtention d'une pension de retraite ; d) offrir en temps opportun des recours administratifs et judiciaires permettant de remédier aux violations ; e) adopter des mesures spéciales concernant les femmes de façon à garantir l’égalité entre les sexes, dont des mesures visant à corriger les facteurs qui empêchent les femmes se livrant au travail de soins non rémunéré de cotiser aux régimes de sécurité sociale ; et f) formuler, dans un délai raisonnable et au maximum de ses ressources disponibles, un régime complet de pension non contributive.

Enforcement of the Decision and Outcomes

L’Équateur doit présenter au Comité dans un délai de six mois à compter de la notification de la décision une réponse contenant des informations concernant les mesures qui ont été prises à partir des recommandations du Comité. L’Équateur doit également publier les observations du Comité et les diffuser auprès du public.  Le Comité, pour sa part, mènera sa procédure de Suivi des observations.

Significance of the Case

Cette décision est la première décision rendue par un organe de suivi des traités des Nations Unies concernant le lien entre le travail de soins non rémunéré et l’accès genré à la sécurité sociale.  Ce faisant, le Comité a mis en avant une forte articulation du droit à la sécurité sociale et à l'égalité de fait entre les hommes et les femmes sur une question d'intérêt mondial.  Selon l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), « [p]artout dans le monde, les femmes consacrent de deux à dix fois plus de temps que les hommes au travail de soins non rémunéré ». Cette charge disproportionnée de travail de soins non rémunéré portée par les femmes entraîne un écart de pension entre les hommes et les femmes dans le monde entier.  Selon une étude de l’OIT réalisée en 2016 à partir de données provenant de 107 pays, « [p]rès de 65 pour cent des personnes ayant dépassé l’âge de la retraite sans toucher régulièrement de pension sont des femmes ». L’Organisation internationale du travail (OIT) a constaté que « la façon dont les inégalités sur le marché du travail et dans l’emploi se répercutent sur la protection sociale dépend pour beaucoup de l’existence de mécanismes de compensation des inégalités entre hommes et femmes dans l’emploi, par exemple la reconnaissance par les régimes de retraite des périodes passées à élever des enfants ou à s’occuper des personnes âgées ».

La décision du Comité offre également un exemple paradigmatique de la manière dont une analyse intersectionnelle peut justifier un examen plus approfondi des sources potentielles de discrimination.  En appliquant une telle approche, le Comité s’est assuré de rechercher des disparités tant dans les intentions que dans les résultats, ainsi que des manifestations directes et indirectes de la discrimination.  Il en résulte une décision des Nations Unies qui qualifie une règlementation de soi-disant « neutre » en raison des préjudices discriminatoires qu'elle porte aux droits des femmes qui se consacrent au travail de soins non rémunérés. La décision représente ainsi une remise en cause des conceptions traditionnelles du travail prévalant dans les régimes de sécurité sociale qui ne reconnaissent pas à sa juste valeur le travail de soins non rémunéré des femmes.  Fait important, le Comité a aussi appliqué cette analyse aux régimes de pension de vieillesse non contributive, signalant que ces systèmes devraient « tenir compte du fait que les femmes ont une plus grande probabilité de vivre dans la pauvreté que les hommes, qu'elles sont souvent les seules responsables du soin des enfants et que, le plus souvent, elles n'ont pas de pension contributive ».

Un merci particulier au membre du Réseau DESC : Programme sur les droits humains et l’économie mondiale (PHRGE) de la Northeastern University.

Dernière mise à jour : 28 août 2018

Groups Involved in the Case

Mme Trujillo était représentée par le Bureau du défenseur public (Defensoría del Pueblo) de l’Équateur, notamment par sa direction des droits relatifs au bien-vivre (Derechos del Buen Vivir). Les membres du Réseau DESC suivants ont présenté conjointement une intervention de tiers, sous la coordination du Réseau DESC : Amnesty International, Asociación Civil por la Igualdad y la Justicia (ACIJ), Center for Economic and Social Rights (CESR), Economic and Social Rights Centre – Hakijamii, Foro Ciudadano de Participación por la Justicia y los Derechos Humanos (FOCO), Global Initiative for Economic, Social and Cultural Rights (GI-ESCR), International Women's Rights Action Watch Asia Pacific (IWRAW AP), Legal Resources Centre (LRC), Social Rights Advocacy Centre (SRAC) et les membres individuelles Lilian Chenwi (professeure à la Faculté de droit de l’Université du Witwatersrand) et Viviana Osorio Pérez.