Summary
Cette affaire est issue du jugement concernant Blue Moonlight, où la Cour constitutionnelle d’Afrique du Sud a statué que les municipalités étaient constitutionnellement tenues d’assurer un hébergement temporaire d’urgence à toutes les personnes expulsées qui se retrouveraient sans abri. La Cour a ordonné à la ville de Johannesburg d’assurer un hébergement temporaire aux personnes menacées d'expulsion de leur résidence dans un immeuble commercial sur l'avenue Saratoga. La ville a confié par contrat à Metropolitan Evangelical Services (MES) le soin d'assurer l'hébergement temporaire au refuge Ekuthuleni Overnight/ Decant Shelter. Les requérants dans cette affaire, 11 personnes expulsées qui ont été transférées au refuge, ont contesté deux de ses règles. La première, la règle d‘interdiction d’accès, défendait aux résidents et résidentes d’entrer au refuge pendant la journée et de sortir après 20h00. La deuxième, la règle de séparation des familles, obligeaient les hommes et les femmes à dormir dans des dortoirs distincts, séparant ainsi les couples hétérosexuels, et les enfants de plus de 16 ans de leur gardien ou gardienne du sexe opposé.
La règle d’interdiction d’accès avait un effet négatif sur les requérants et requérantes qui travaillaient le soir et avaient besoin de pouvoir entrer au refuge pendant la journée pour se reposer. Elle mettait aussi en péril les personnes sans emploi en les laissant dans la rue pendant la journée. Les règles oppressives ont amené certains des résidents du refuge à s'en aller, même s’ils n’avaient aucun autre hébergement.
De plus, les règles touchaient surtout les femmes selon un mémoire d’amicus curiae présenté par le Centre for Applied Legal Studies (CALS) La règle de séparation des familles perpétuait des stéréotypes de genre en imposant exclusivement aux femmes l’obligation de prendre soin des enfants mineurs le soir.
Les requérants et requérantes ont fait valoir que la ville ne respectait pas l’ordonnance rendue dans l’affaire Blue Moonlight car les mesures adoptées étaient contraires au droit d’accès à un logement convenable établi dans la section 26 de la Constitution. Les requérantes et requérants soutenaient que l'hébergement temporaire fourni par la ville n'était pas conforme à l’obligation qu’a l’État de prendre des mesures raisonnables pour assurer progressivement la réalisation et la mise en application du droit à un logement convenable. Ils/elles ont affirmé que la ville avait admis que les règles restrictives visaient à les forcer à retourner dans la rue. Ils/elles ont également fait valoir que les règles du refuge portaient atteinte, à leur droit à la dignité, à la liberté et sécurité de leur personne et au respect de leur vie privée, consacrés respectivement dans les sections 10, 12 et 14 de la Constitution.
Les requérantes et requérants ont eu gain de cause devant la Haute Cour, mais la Cour suprême d’appel a renversé la décision. Bien que la Cour d’appel ait reconnu que les règles portaient atteinte à des droits constitutionnels, elle a statué qu'il s’agissait d’une atteinte raisonnable. Elle a de plus accepté l’argument de la ville selon lequel l'étendue des droits des requérantes et requérants était plus restreinte qu’elle ne le serait par rapport à un logement permanent plutôt que temporaire.
La Cour constitutionnelle a autorisé le recours en raison des questions constitutionnelles soulevées par l’affaire ainsi que de l'importance publique générale de celle-ci. La Cour a statué qu’en assurant un hébergement temporaire, la ville avait respecté le droit constitutionnel à un logement convenable, et a donc centré ses délibérations sur les droits constitutionnels à la dignité, au respect de la vie privée et à la liberté et sécurité de la personne, droits auxquels auraient porté atteinte les règles du refuge.
Le mémoire d’amicus curiae présenté par le Center for Child Law faisait valoir que les requérantes et requérants bénéficiaient de l’ensemble des droits car l’ordonnance rendue dans l’affaire Blue Moonlight exigeait qu’on leur fournisse un logement comparable à un logement permanent. La Cour a souscrit à cette opinion, rejetant l’argument de la ville voulant que l’étendue des droits des requérantes et requérantes soit plus restreinte en raison de la nature temporaire de l’hébergement. La Cour a souligné que la vraie question n’était pas de savoir si le refuge constituait un foyer, mais bien si les règles du refuge portaient atteinte aux droits constitutionnels garantis à tous et toutes, peu importe où ils/elles se trouvaient à un moment donné.
La Cour a statué que la règle d’interdiction d’accès et la règle de séparation portaient toutes deux atteinte aux droits constitutionnels des requérantes et requérants. En les forçant à rester dans la rue pendant la journée, la règle d’interdiction d’accès était « cruelle, condescendante et dégradante », une violation manifeste de la dignité, de la vie privée et de la liberté personnelle. La règle portait aussi atteinte au droit des requérantes et requérants à la sécurité de leur personne. Le fait que plusieurs requérantes et requérants ont été agressés dans la rue alors qu’ils/elles étaient interdits d’accès au refuge en témoigne. Par ailleurs, la Cour a signalé que la dignité implique nécessairement le droit à la vie familiale, sur lequel empiétait la règle de séparation.
La section 36 de la Constitution ne permet la limitation des droits que dans la mesure où celle-ci est imposée par une loi d'application générale et qu’elle raisonnable et justifiable dans une société ouverte et démocratique fondée sur la dignité humaine, l’égalité et la liberté. Dans la présente affaire, la Cour a conclu que les règles découlant d’une atteinte aux droits n’étaient pas justifiées au titre de la section 36 de la Constitution, car elle faisait partie d’une entente privée entre la ville et MES, et étaient donc tout le contraire d'une « loi d’application générale ».
Le 1er décembre 2017, la Cour constitutionnelle a donc annulé l’ordonnance de la Cour suprême d’appel et l'a remplacée par une décision affirmant que les règles du refuge portaient atteinte au droit constitutionnel des requérantes et requérants à la dignité, à la liberté et sécurité de leur personne et au respect de leur vie privée.