Summary
Les membres des campements roms de Goriča vas et de Dobruška vas 41 ont déposé deux requêtes distinctes devant la Cour européenne des droits de l’homme, affirmant que l’État slovène avait enfreint les articles 3, 8 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») en ne leur garantissant pas l’accès aux services publics essentiels, notamment à l’eau potable et à des infrastructures d’assainissement adéquates. L’article 3 protège contre les traitements inhumains ou dégradants, l’article 8 garantit le droit au respect de la vie privée et du domicile, tandis que l’article 14 interdit toute discrimination, notamment à l’encontre des minorités. Compte tenu de la similitude des faits et des questions juridiques soulevées, la Cour a décidé de joindre les deux requêtes en une seule affaire.
En Slovénie, l’eau potable et l’assainissement sont des droits protégés mais non absolus. Les raccordements aux services publics doivent être installés pour les résidents, mais il n’y a pas d’obligation de construire des raccordements pour les personnes vivant dans des structures illégales. Comme de nombreux campements roms, notamment ceux concernés ici, ont été construits sur des terrains non résidentiels et/ou sans permis de construire, le gouvernement n’a pas toujours fourni des services d’eau et d’assainissement à ces campements. Toutefois, des mesures d’action positive globales ont été prises pour améliorer les conditions de vie des communautés roms de Slovénie, notamment une mesure qui oblige les municipalités locales à inclure les campements roms dans les plans d’aménagement du territoire, ce qui légalise effectivement les campements avant 2015. En 2015, un grand nombre de municipalités l’avaient fait, mais pas toutes. En général, la loi slovène laisse une grande partie de la responsabilité de la fourniture des services d’eau et d’assainissement aux municipalités plutôt qu’au gouvernement fédéral.
S’appuyant sur des décisions antérieures dans lesquelles la Cour a conclu que l’effet de la qualité de l’eau sur la santé des individus interfère avec leur vie privée, la Cour a déterminé que le manque d’eau déclenche une obligation positive de la part du gouvernement de prendre des mesures pour respecter la vie privée d’une personne. L’eau propre est nécessaire à la santé et à la dignité humaine d’une personne, de sorte que sans elle, elle ne peut jouir d’un foyer et d’une vie privée. La question de savoir si un État a respecté son obligation positive au titre de l’article 8 de la Convention est évaluée au cas par cas.
La Cour a conclu que, dans cette affaire, le gouvernement slovène n’avait pas violé l’article 8 de la Convention. Elle a rappelé que les États disposent d’une large marge d’appréciation pour décider de la manière dont ils répondent aux besoins essentiels de leurs populations, à condition qu’ils prennent des mesures « concrètes » pour garantir l’accès de tous aux services de base. En l’occurrence, la Cour a estimé que la Slovénie avait mis en place des actions suffisantes pour assurer l’accès à l’eau potable. « La Cour estime que, s’il incombe à l’État de remédier aux inégalités en matière d’accès à l’eau potable qui touchent notamment les campements roms, cela ne signifie pas pour autant qu’il lui revient de prendre à sa charge l’ensemble du coût de l’installation de l’eau courante dans les habitations des requérants. »
Le campement de Goriča vas, situé dans la commune de Ribnica, a été construit de manière informelle. L’approvisionnement en eau potable y était assuré par un réservoir mis en place par la municipalité et régulièrement rempli par les pompiers. Bien que les requérants aient affirmé que ce réservoir était devenu inutilisable, la Cour a estimé qu’il leur revenait d’en demander officiellement le remplacement, ce qu’ils n’ont pas fait. Le campement de Dobruška vas 41, également informel, se trouve dans la municipalité de Škocjan. Il dispose d’un raccordement collectif au réseau public d’eau, financé par la commune, auquel les habitants peuvent se relier individuellement à leurs frais. La famille requérante n’avait pas accès à ce raccordement, mais la Cour a considéré que c’était à elle d’en faire la demande, ce qu’elle n’avait pas fait. Par ailleurs, la Cour a noté que les résidents des deux campements bénéficiaient d’aides financières de l’État. Dès lors, ils disposaient, selon la Cour, de ressources suffisantes pour soit améliorer eux-mêmes leur accès à l’eau et à l’assainissement, soit emménager dans des logements sociaux situés dans des bâtiments dotés d’un permis.
La Cour a estimé que l’État slovène n’avait pas manqué à son obligation de garantir un accès à des infrastructures d’assainissement, même si les municipalités de Ribnica et de Dobruška n’avaient pris aucune mesure concrète pour les requérants. Elle a noté que l’absence d’infrastructures d’assainissement ne concernait pas uniquement les campements roms, mais une grande partie des deux municipalités. Selon la Cour, ce n’est que si un risque grave pour la santé publique est démontré que l’État a l’obligation d’intervenir. Or, les requérants n’ont fourni aucune preuve de maladies liées à l’absence d’assainissement, ni démontré qu’ils n’avaient pas les moyens d’installer leurs propres fosses septiques ou solutions alternatives.
Enfin, la Cour a reconnu que des progrès restaient nécessaires pour garantir à tous les habitants de Slovénie un accès adéquat à l’eau et à l’assainissement. Cependant, elle a jugé que les mesures déjà mises en œuvre montraient que les autorités slovènes sont conscientes de leurs obligations et qu’il n’y avait pas, dans ce cas, de discrimination envers les populations roms.
En ce qui concerne l’article 3, la Cour a estimé que les mesures positives mises en place par le gouvernement avaient permis aux requérants d’accéder à l’eau potable, sans créer une « situation de privation grave ou de manque incompatible avec la dignité humaine ». Pour ce qui est de l’article 14, la Cour a reconnu qu’un traitement égalitaire entre groupes, sans prendre en compte les « inégalités factuelles » qui peuvent justifier une différence de traitement, pourrait constituer une violation de cet article en l’absence de mesures visant à garantir une égalité réelle. Toutefois, dans le cas des requérants roms, aucune preuve de mauvaise foi ni d’abandon des mesures de soutien au profit de la population majoritaire n’a été relevée. En conséquence, la Cour n’a constaté aucune violation des articles 3 ou 14.