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Jeudi, Octobre 14, 2021
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En amont de la septième session du Groupe de travail intergouvernemental à composition non limitée chargé d’élaborer un instrument juridiquement contraignant sur les sociétés transnationales et autres entreprises en matière de droits humains (IGWG), les organisations de la société civile et les mouvements sociaux appellent les États à agir d’urgence pour les droits humains et avancer avec audace vers une adoption rapide d’un instrument juridiquement contraignant (IJC) qui peut aider à mettre fin aux violations des droits humains dans le contexte des activités commerciales et protéger les personnes et notre planète en mettant fin à l’impunité des entreprises. Après sept ans sur ce processus, nous posons la question – si ce n’est pas maintenant, quand ? Il est maintenant temps d’agir. Les droits humains et l’environnement ne peuvent plus attendre et nous ne pouvons pas permettre aux entreprises de s’emparer de nos processus décisionnels gouvernementaux pour continuer à retarder la réalisation de nos revendications.

Emprise des entreprises

Selon l’Organisation mondiale de la santé, plus de 4,5 millions de personnes sont décédées à ce jour de la COVID-19. La pandémie a causé de grandes pertes en vies humaines, des souffrances généralisées et une augmentation de la pauvreté, nuisant aux moyens de subsistance des populations. D’un côté de cette crise économique, financière, des soins, sanitaire, alimentaire et humanitaire sans précédent, se trouvent les personnes portant les inégalités historiques et structurelles résultant d’années de colonisation, de politiques macroéconomiques discriminatoires, de la montée des forces conservatrices non démocratiques et de l’avancée de l’impunité des entreprises. De l’autre côté, les élites corporatives accroissent leur influence sur le gouvernement dans ce que nous définissons comme l’ « emprise des entreprises » afin d’affaiblir la législation qui pourrait les tenir responsables, adopter des lois qui maximisent leurs profits, forcer les employés à travailler même dans un contexte de confinement ou de conditions d’insécurité, emploient des enfants pour minimiser les coûts de main-d’œuvre, maintiennent les activités d’extraction ouvertes malgré des taux d’infection élevés parmi les travailleurs, reçoivent des subventions et des avantages fiscaux, et gagnent des millions au détriment des droits des travailleurs et des femmes travaillant dans les soins.

Nous sommes scandalisés que 400 millions d’emplois aient été perdus en raison de la pandémie et que plus de 430 millions de petites entreprises soient menacées, selon l’Organisation internationale du travail (OIT). Pourtant, comme l’affirme un rapport d’Oxfam, « les 25 milliardaires les plus riches ont augmenté leur richesse de manière vertigineuse. Jeff Bezos pourrait personnellement verser à chacun des 876 000 employés d’Amazon une prime unique de 105 000 $ aujourd’hui et être toujours aussi riche qu’il l’était au début de la pandémie ». Parallèlement à la richesse croissante des élites des entreprises, nous avons également assisté à une emprise croissante des entreprises sur les espaces de prise de décision, comme lors du Sommet des Nations Unies sur les systèmes alimentaires(link is external).

Les mesures volontaires ne suffisent pas

Dans ce contexte, la conclusion d’un traité international sur les droits humains et les entreprises serait une réalisation historique pour aider les communautés appauvries, marginalisées, exploitées et autres à risque à réclamer justice et réparation de la part des élites patronales. Le soutien des États à un IJC pour réguler le pouvoir des entreprises permettrait non seulement de répondre aux demandes historiques des mouvements sociaux mondiaux et des communautés affectées, mais couronnerait également les efforts/combat pour la justice et la réparation de nombreuses générations au fil des décennies et ferait un pas crucial vers la tâche imparable de faire progresser la dignité humaine et la justice climatique. Pour aller dans ce sens, les États doivent avoir une conversation honnête et reconnaître que les cadres et mesures volontaires actuels sur les droits humains et les entreprises, qui ont joué un rôle important dans le positionnement des droits humains dans l’agenda des entreprises, sont insuffisants pour améliorer les recours et les réparations et pour combler la lacune en termes de responsabilité des activités commerciales, en particulier celles à caractère transnational.

Bien que nous reconnaissions qu’une nouvelle réglementation nationale axée sur la diligence raisonnable en matière de droits humains progresse en Europe, nous sommes également conscients de ses limites et de ses défis, et nous croyons fermement qu’un IJC est nécessaire pour établir la norme en matière de responsabilité des entreprises à travers le monde. Un IJC établira non seulement des normes mondiales pour la pratique de la diligence raisonnable des entreprises, mais il définira également des paramètres permettant de tenir les acteurs étatiques et non étatiques responsables des violations des droits humains et des violations liées aux activités commerciales par le biais de normes strictes en matière pénale, civile et administrative pour les entreprises. Face au besoin urgent d’un cadre juridique mondial pour protéger les personnes et la planète de la cupidité des entreprises et de la connivence des États, il est préoccupant qu’un groupe important d’États parmi les États occidentaux les plus industrialisés retarde encore l’action, manœuvre pour éviter des négociations ou même complote pour faire dérailler le processus en lançant des initiatives alternatives et des modèles de traité, comme une convention-cadre de base, qui ne ferait que retarder ou affaiblir les progrès accomplis et nous lier à des modèles et des cadres défaillants.

Apartheid du vaccin et participation des Nations Unies

Dans le contexte des prochaines négociations du traité, nous craignons que l’accès très inégal aux vaccins de COVID-19 ne génère un apartheid vaccinal virtuel, ce qui complique la participation des mouvements sociaux et des communautés affectées à ce processus. Nous exhortons les États à redoubler d’efforts et à prioriser les ressources pour la participation en ligne et à distance de tous sans discrimination, en particulier ceux des pays du Sud. Cela nécessite une répartition du temps et une diversité linguistique qui accommoderaient les groupes qui ne pourraient pas être présents à Genève et le partage de notes complètes par le Secrétariat de l’ONU à la fin de chaque journée dans toutes les langues de l’ONU.

Sur le fond du troisième projet d’IJC

Sur le fond, une première lecture du troisième projet d’IJC pour réglementer l’activité des entreprises révèle des progrès importants et une opportunité d’avancer sur la responsabilité des entreprises – en particulier si les États, en soutien à leurs communautés, s’engagent à renforcer la protection des droits humains dans le texte et participer de bonne foi pour garantir l’accès à la justice aux personnes affectées par les activités commerciales. Bien que nous soyons profondément préoccupés par le fait que plusieurs de nos demandes clés n’ont pas encore été incorporées dans le texte, nous n’avons également constaté aucun changement majeur par rapport à la version précédente. Nous nous félicitons du fait que le texte maintient  une approche genre plus forte. Nous nous félicitons également qu’il y ait de nouvelles références aux préoccupations de la société civile concernant les droits du travail ou la justice climatique, entre autres. Pourtant, nous regrettons que la plupart des propositions techniques et politiques faites par les mouvements sociaux, les représentants des communautés affectées et même les États au cours des six dernières années n’aient pas été incluses ou s’y soient diluées.

Parmi les principales lacunes qui doivent être comblées lors de la prochaine session de l’IGWG et du projet d’IJC ultérieur, figurent :

  • L’absence d’une disposition sur le droit à l’autodétermination est profondément problématique et doit être clairement énoncée dans le texte de l’IJC.
  • Bien que nous notions une référence aux obligations des entreprises dans le préambule du nouveau texte et parmi les objectifs de l’IJC, nous pensons que cela devrait être encore renforcé avec un paragraphe opérationnel consacré à reconnaître les obligations des personnes morales commerciales, en particulier celles d’un caractère transnational.
  • Nous restons préoccupés par le fait que le texte n’aborde pas les menaces exacerbées d’abus et de violations des entreprises dans les situations de conflit et la nécessité de renforcer le texte à cet égard, en particulier en ce qui concerne les sanctions, le désinvestissement et la responsabilité pénale par le biais de la compétence universelle et au-delà.
  • La reconnaissance des institutions financières et des banques en tant que piliers de l’architecture d’entreprise internationale est essentielle, mais elle doit encore être renforcée par des dispositions garantissant la primauté du droit international des droits humains sur le commerce et d’autres accords juridiques. Dans le contexte d’une nouvelle vague d’accords commerciaux et d’investissement bilatéraux et multilatéraux, nous demandons instamment qu’il y ait des dispositions renforcées pour traiter efficacement le problème de l’emprise des entreprises.
  • Les dispositions du traité visant à protéger les défenseurs des droits humains doivent être renforcées
  • Malgré les avancées en termes de dispositions relatives aux droits des victimes et à la protection des victimes, aux recours et à la prévention (notamment en ce qui concerne la diligence raisonnable obligatoire en matière de droits humains), le projet n’aborde toujours pas correctement la responsabilité et les recours et il reste insuffisamment clair en termes de responsabilité des entreprises tout au long de la chaîne de valeur mondiale.

En conclusion, nous souhaitons réitérer le besoin urgent d’un LBI pour réguler l’activité des entreprises. Après sept ans de plaidoyer, il est grand temps que les États, en particulier ceux de la région industrialisée occidentale, écoutent les appels des communautés touchées, de la société civile et des mouvements sociaux et agissent pour mettre fin à l’impunité des entreprises en fixant des normes contraignantes qui les protégeront.

Si ce n’est pas maintenant, quand ? Nous ne pouvons pas attendre encore dix ans!