Le mardi 6 février, à 11 heures (Nairobi), des membres du réseau DESC remettront au bureau du Procureur Général du Kenya à Nairobi deux lettres d’appel à l’action exigeant que le gouvernement mette immédiatement en œuvre les décisions de la Commission et de la Cour afin de garantir la justice et les réparations pour les peuples Endorois et Ogiek, y compris la restitution de leurs terres ancestrales et le respect de leurs droits à un consentement libre, préalable et éclairé sur toutes les actions entreprises sur ces terres.
Qu’est-ce qui est en jeu?
Après 14 ans, le gouvernement kényan continue de refuser le retour des peuples Endorois sur leur terre ancestrale et les réparations pour leur expulsion forcée reconnue par la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples.
Dans le même temps, dans la forêt de Mau, le gouvernement continue d’expulser les Ogieks et de leur refuser des réparations, contrairement aux arrêts de la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples rendus en 2017.
Depuis le 2 novembre 2023, le gouvernement kényan procède à des expulsions forcées dans le complexe de la forêt de Mau. Les expulsions forcées en cours ont jusqu’à présent touché plus de 700 personnes de la communauté Ogiek, dont la moitié sont des femmes et des enfants. Leurs maisons, leurs écoles et leurs biens ont été brûlés et démolis, et la saison des pluies rend leur situation encore plus vulnérable.
Il est impératif que le gouvernement kenyan agisse immédiatement pour mettre en œuvre les décisions dans leur intégralité et satisfaire ainsi à son obligation de respecter, de protéger et de mettre en œuvre les droits humains et environnementaux des peuples Endorois et Ogiek.
Que disent les lettres d’appel à l’action?
Les deux lettres qui seront remises par les membres au procureur général soulignent l’urgence de mettre en œuvre la décision de la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP) en faveur des communautés Endorois et Ogiek, notamment.
- Appel à la mise en œuvre :Le gouvernement kényan doit immédiatement remplir son obligation légale de mettre en œuvre les décisions de la CADHP.
- Absence de progrès et réponses inadéquates du gouvernement :Des progrès supplémentaires sont nécessaires dans la mise en œuvre des recommandations, en se concentrant sur les réponses insuffisantes et les actions inadéquates du gouvernement.
- Impacts de la non-mise en œuvre :La non-mise en œuvre a des effets néfastes sur les communautés Endorois et Ogiek, allant de la pauvreté à la dégradation de l’environnement et à la perte de pratiques culturelles.
- Les obligations du Kenya en vertu du droit international des droits de l’Homme :Nous rappelons les obligations du Kenya en vertu du droit international des droits de l’Homme, qui a été incorporé dans la Constitution.
- Appel spécifique à l’action :Nous appelons le gouvernement kényan à mettre rapidement en œuvre la décision, à publier des rapports de conformité, à consulter les communautés et à rendre compte régulièrement à la Commission africaine.
Dans le cas des Endorois, cela fait 14 ans que la décision n’est pas respectée. Dans l’affaire Ogiek, cela fait six ans que l’on attend.
LE CONTEXTE DU CAS ENDOROIS
Les Endorois sont une communauté indigène agro-pastorale du Kenya comprenant environ 60 000 membres qui vivent en communauté autour du lac Bogoria, l’un des plus grands lacs de la région de la vallée du Rift au Kenya. La valeur sociale et culturelle de la terre pour l’humanité est incommensurable, et les droits relatifs à la terre sont essentiels à la réalisation d’une série de droits de l’Homme.
Pour les Endorois, la terre autour du lac Bogoria est leur maison ancestrale qui leur fournit des pâturages verts, de l’eau potable en abondance, des salines médicinales pour leur bétail, des médicaments traditionnels à base de plantes, des activités d’apiculture et où ils pratiquent des rituels et des cérémonies importants tels que les circoncisions, les enterrements, les cérémonies de baptême des enfants et d’autres rituels liés à leurs ancêtres.
En 1973, les Endorois ont été expulsés de force de leurs terres ancestrales par le gouvernement kenyan afin d’ouvrir la voie à une réserve de chasse destinée au tourisme. L’expulsion s’est déroulée sans consultation ni indemnisation appropriées. À la suite de cette expulsion, les Endorois ont été contraints de se déplacer sur des terres arides, où une grande partie de leur bétail est mort et où leur mode de vie n’a plus été possible.
A LA RECHERCHE DE JUSTICE
En 2003, les Endorois, en partenariat avec le Minority Rights Group (MRG) et le Center for Minority Rights Development (CEMIRIDE), ont saisi la Commission africaine.
Le 25 novembre 2009, la Commission a rendu un arrêt historique qui défend les droits du peuple Endorois. Cette décision a été adoptée par le sommet des chefs d’État de l’Union africaine le 2 février 2010 à Addis-Abeba (Éthiopie). La Commission a établi que le gouvernement kenyan avait violé les droits du peuple Endorois et a ordonné au gouvernement kenyan de :
- Reconnaître les droits de propriété des Endorois et restituer les terres ancestrales des Endorois ;
- Veiller à ce que la communauté Endorois ait un accès illimité à la réserve de chasse du lac Bogoria et aux sites environnants pour les rites religieux et culturels et pour le pâturage de leur bétail ;
- verser une compensation adéquate à la communauté pour toutes les pertes subies ;
- Verser aux Endorois des redevances sur les activités économiques existantes et veiller à ce qu’ils bénéficient des possibilités d’emploi au sein de la réserve ;
- Accorder l’enregistrement au Comité de Protection des Endorois (CPE) ;
- Engager un dialogue avec les plaignants pour la mise en œuvre effective des recommandations ;
- Rendre compte de la mise en œuvre de ces recommandations dans un délai de trois mois à compter de la date de notification.
14 ANS D’ATTENTE POUR LA MISE EN ŒUVRE
Le gouvernement kenyan n’a pas mis en œuvre la plupart des recommandations de l’affaire et, à ce jour, peu de choses ont changé pour la communauté endoroise. La seule recommandation mise en œuvre est celle relative à l’enregistrement formel du CPE. Les autres recommandations n’ont guère progressé.
En 2014, le gouvernement kenyan a mis en place une task-force d’une durée d’un an pour engager un dialogue sur la mise en œuvre de la décision. Le groupe de travail ne s’est rendu qu’une seule fois auprès de la communauté, sans préavis approprié ; il n’y a eu aucun rapport sur les résultats obtenus et son mandat n’a jamais été renouvelé.
Les recommandations relatives au paiement de redevances et à l’octroi d’un accès illimité au lac Bogoria et aux zones environnantes ont été mises en œuvre de manière symbolique, tandis que toutes les autres recommandations n’ont fait l’objet d’aucune mise en œuvre.
LE CONTEXTE DU CAS OGIEK
L’affaire Ogiek, portée par l’Ogiek Peoples Development Programme (OPDP) et le Minority Rights Group (MRG), qui est arrivée devant la Cour, est l’aboutissement d’une lutte contre les injustices historiques des expulsions forcées et des dépossessions subies par les Ogiek, qui remontent à l’époque coloniale.
En 2009, les Ogiek ont reçu un avis d’expulsion de 30 jours de la part des services forestiers kenyans, les enjoignant de quitter la forêt Mau. Ils ont donc saisi la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP), contestant les expulsions prévues et demandant que des mesures provisoires soient ordonnées afin d’éviter qu’un préjudice irréparable ne leur soit causé, dans l’attente de la décision finale sur la communication. Des mesures provisoires ont été ordonnées, mais le gouvernement du Kenya a illégalement refusé de s’y conformer.
La Commission a alors saisi la Cour, devenant ainsi le requérant devant la Cour. Les initiatives de règlement à l’amiable ayant échoué, la Cour a décidé d’examiner la requête sur le fond.
Le 26 mai 2017, la Cour a rendu un arrêt sur le fond de l’affaire, statuant que les Ogiek sont un peuple autochtone du Kenya et que les expulsions des Ogiek de la forêt Mau ont violé leurs droits au regard de l’article 2 (liberté de ne pas subir de discrimination), de l’article 8 (liberté de religion), de l’article 14 (droit à la propriété), l’article 17(2 & 3) (droit à la culture), l’article 21 (droit de disposer librement des richesses et des ressources naturelles), l’article 22 (droit au développement) et l’article 1 (qui oblige tous les États membres de l’Organisation de l’unité africaine à respecter les droits garantis par la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples).
Le 23 juin 2022, la Cour a rendu un arrêt sur les réparations, mettant un terme à 13 années de litige au niveau supranational et a ordonné au gouvernement du Kenya de. :
- Verser aux Ogieks 157,85 millions de KES à titre de compensation collective pour les dommages matériels et moraux subis ;
- Rendre les terres ancestrales des Ogieks dans la forêt de Mau au titre collectif dans un délai de deux ans par le biais d’un exercice de délimitation, de démarcation et d’attribution de titres en consultation avec les Ogieks ;
- entamer un processus de dialogue et de consultation avec les Ogieks et toutes les parties concernées en ce qui concerne les concessions et/ou les baux accordés sur les terres des Ogieks afin de parvenir à un accord sur la poursuite ou non de ces opérations par le biais d’un bail ou d’un accord de partage des bénéfices et, si aucun accord n’est conclu, restituer les terres aux Ogieks et indemniser les tiers concernés ;
- Adopter toutes les mesures nécessaires pour garantir la pleine reconnaissance des Ogiek en tant que peuple autochtone du Kenya, y compris la pleine reconnaissance de leur langue et de leurs pratiques culturelles et religieuses ;
- Adopter toutes les mesures nécessaires pour garantir que les Ogieks soient effectivement consultés, conformément à leurs traditions et/ou à leur droit de donner ou de refuser leur consentement libre, préalable et éclairé, en ce qui concerne tout projet de développement, de conservation ou d’investissement sur les terres des Ogieks ;
- Veiller à ce que les Ogieks soient pleinement consultés, conformément à leurs traditions et à leurs coutumes, dans le cadre du processus de réparation dans son ensemble ;
- Adopter toutes les mesures nécessaires pour donner pleinement effet au jugement afin de garantir la non-répétition des violations ;
- Créer un fonds de développement communautaire dans un délai d’un an à compter de la date du jugement au profit du peuple Ogiek, qui servira de dépôt pour l’indemnisation accordée ;
- Coordonner la création d’un comité chargé de superviser le fonds de développement communautaire, qui doit comprendre des représentants choisis par les Ogiek et être opérationnel dans un délai d’un an à compter de la date du jugement ;
- Publier, dans un délai de six mois, les résumés officiels des jugements sur le fond et sur les réparations dans le Journal officiel et dans un journal à large diffusion, ainsi que l’intégralité des jugements sur le fond et sur les réparations, accompagnés de leurs résumés, sur un site web officiel du gouvernement pendant une période d’au moins un an ;
- et soumettre un rapport sur l’état de la mise en œuvre de l’arrêt sur les réparations dans un délai d’un an à compter de l’arrêt.
La Cour a également décidé qu’elle tiendra une audience sur l’état de la mise en œuvre des ordonnances de l’arrêt à une date qu’elle fixera, douze (12) mois après la date de l’arrêt.
LES EVICTIONS DE FORCE RECENTE
Depuis le 2 novembre 2023, le gouvernement kenyan procède à des expulsions forcées (lien externe) dans la forêt de Mau. Les expulsions forcées en cours ont jusqu’à présent touché plus de 700 personnes de la communauté Ogiek, dont la moitié sont des femmes et des enfants. Le gouvernement défend sa décision en invoquant la “conservation” de la zone. Cependant, cette défense ne tient pas compte du fait que les expulsions mettent directement en danger la forêt en sapant le rôle de la communauté Ogiek en tant que gardienne de la nature et illustrent un mépris flagrant des ordonnances de la Cour et des obligations du Kenya en vertu du droit international. Aucune alternative n’a été proposée à la communauté, et des dommages irréparables pourraient être causés à leurs vies, à leurs sources de revenus, à leur vie de famille, à leur sécurité si les expulsions ne sont pas stoppées, ce qui constitue un défi supplémentaire aux obligations du Kenya en vertu du droit international.
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