Summary
Le 10 novembre 2016, dans une victoire décisive pour les droits des travailleurs et travailleuses, la Cour suprême du Canada (CSC) a confirmé le droit constitutionnel à la liberté d’association {art. 2 (d)}, en rendant une décision à 7 contre 2 en faveur de la British Columbia Teachers’ Federation (BCTF), le syndicat qui représente l’ensemble des enseignant-e-s des écoles publiques de la province de la Colombie-Britannique.
Le jugement est la culmination d’une bataille juridique de 14 ans déclenchée en 2002 par l’adoption d’une loi qui annulait des centaines de clauses dans un contrat en vigueur entre le gouvernement provincial et des milliers d’enseignant-e-s concernant la taille des classes, les ressources pour les étudiant-e-s ayant des besoins spéciaux, le rapport élèves-enseignant et autres dispositions du même ordre liées à la charge de travail. De plus, la loi de 2002 privait les enseignant-e-s du droit de négocier ces points plus tard. En 2011, cette loi a été jugée anticonstitutionnelle par la Cour suprême de Colombie-Britannique. Le gouvernement provincial de la Colombie-Britannique, à la suite de consultations prélégislatives auprès des enseignant-e-s, a adopté en 2012 une deuxième loi dont les dispositions étaient en grande partie similaires (l’une des différences était qu’il n’y avait plus de restriction permanente des droits de négociation collective quoiqu’une interdiction temporaire était maintenue). En conséquence des deux lois, des milliers d’enseignant-e-s ont perdu leur emploi et d’autres ont vu leurs conditions de travail se détériorer considérablement. De plus, des écoles ainsi que des étudiant-e-s, particulièrement des élèves ayant des besoins spéciaux, ont eu de la difficulté à faire face au sérieux manque de ressources du système d’éducation.
La loi de 2012 est à l’origine de l’affaire judiciaire en cours, laquelle a été portée en appel devant la CSC. La Cour a renversé le jugement rendu en 2015 par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique en faveur du gouvernement provincial de la Colombie-Britannique et rétabli la décision initiale de la Cour suprême de la Colombie-Britannique en déclarant anticonstitutionnelle la loi de 2012. Le jugement a également rétabli immédiatement les dispositions qui avaient été supprimées du contrat des enseignant-e-s.
La CSC a adopté en grande partie le raisonnement du Juge Donald qui avait émis une opinion dissidente par rapport à la décision rendue en 2015 par la Cour d’appel. Le Juge Donald avait soutenu que la loi de 2012 était anticonstitutionnelle car elle portait atteinte à la liberté d’association au titre de l’article 2, alinéa d, de la Charte des droits et libertés de la Constitution canadienne (Charte).
Citant des précédents importants de la CSC, le Juge Donald a écrit que « [l]a liberté d’association protégée en vertu de l’article 2, alinéa d, de la Charte dans le contexte des relations de travail est le droit des employé-e-s à s’associer pour la poursuite d’objectifs liés au milieu de travail et à un processus utile leur permettant de réaliser ces objectifs… »(para 283). Il a de plus précisé que « la négociation collective est protégée [au titre du droit à la liberté d’association prévu dans la Charte] puisque toute entrave substantielle aux efforts passés, présents ou futures de négociation collective peut avoir pour effet de neutraliser le travail des représentants collectifs des employés et ainsi priver ceux-ci de leur droit à une véritable liberté d’association. Toute mesure prise par un gouvernement qui réduit le pouvoir de négociation avec un employeur peut être considérée comme une entrave substantielle. » (para. 284). Dans ses délibérations, le juge Donald a conclu que dans l’affaire en cours, l’entrave substantielle à la négociation collective n’était pas justifiée au sens de l’article premier de la Charte (disposition permettant que les droits ne soient restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique). En particulier, si la loi contestée visait sans doute un objectif raisonnable (à savoir de donner plus de latitude aux commissions scolaires sur différentes questions), le gouvernement provincial n’a pris aucune mesure pour réduire au minimum les entraves au droit à la liberté d’association. De plus, même une restriction temporaire des droits de négociation collective aurait ramené les enseignant-e-s à leur position de négociation initiale, dans le contexte d’une lutte de 13 ans visant à ce que soient rétablies des conditions de travail qui avaient été éliminées en violation de la constitution. (para. 378-390)
De plus, le juge Donald a signalé que la consultation prélégislative ne peut être considérée comme remplaçant le processus traditionnel de négociation collective que s’il s’agit d’une véritable substitution. À cet égard, il a déclaré que pour être « … jugée véritable, les parties négociatrices doivent se consulter sur un présumé pied d’égalité approximative » (para. 291). Dans ce contexte, les tribunaux sont tenus de mener un examen rigoureux et approfondi du caractère raisonnable du fond de la position du gouvernement au moment d’évaluer si le processus de consultation choisi satisfait au critère de la bonne foi. Après analyse, il a été conclu que les consultations prélégislatives tenues par le gouvernement auprès des enseignant-e-s n’avaient pas été menées de bonne foi, car le gouvernement provincial n’a pas satisfait au critère minimal de négociation de bonne foi selon lequel « … les parties sont tenues d’expliquer leur position et de lire et prendre en compte les positions des parties adverses » (para. 372-6).