Travailleurs sans-papiers, États-Unis d’Amérique, CIDH, Rapport No. 50/16, Affaire 12.834, Merits (Publication)

Les travailleurs sans papiers devraient bénéficier des droits égaux, affirme la Commission interaméricaine

Deux travailleurs sans-papiers sont parvenus à faire affirmer que les États-Unis ont violé leur droit à la non-discrimination en ne protégeant pas leurs droits relatif au travail garantis en vertu de la Déclaration américaine des droits et devoirs de l’homme. La CIDH a recommandé à ce qu’il n’y ait pas de distinctions faites dans les droits et les recours lié à l’emploi et au travail en général en fonction du statut migratoire et de la possession ou non d’autorisation de travail, à partir du moment où une personne est embauchée. 

Date de la décision: 
30 nov 2016
Forum : 
Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH)
Type de forum : 
Regional
Résumé : 

Leopoldo Zumaya et Francisco Berumen Lizalde ont tous les deux été blessés sur leur lieu de travail alors qu’ils travaillaient aux États-Unis sans autorisation de travail. Ils ont tous les deux subi des séquelles physiques et se sont vu refuser l’accès à une compensation uniquement en raison de leur statut migratoire. M. Zumaya a déposé une demande d’indemnité pour accident du travail mais a dû se contenter d’une petite partie seulement de ce qu’il aurait reçu s’il avait été résident permanent ou citoyen des États-Unis. M. Lizalde a été arrêté et expulsé au Mexique -apparemment en réponse directe à sa demande d’indemnité pour accident de travail- et n’a donc pas pu donner suite à cette demande.

Une pétition a été soumise en leur nom auprès de la Commission interaméricaine des droits de l’homme (Commission), alléguant des violations de plusieurs articles de la Déclaration américaine des droits et devoirs de l’homme (Déclaration américaine). Ils ont affirmé, en particulier, que la discrimination en fonction du statut migratoire résulte d’une décision de la Cour suprême américaine Hoffman Plastic Compounds, Inc. v. NLRB, 535 U.S. 137 (2002)qui a statué que les travailleurs sans-papiers renvoyés pour des actions syndicales ne pouvaient pas recevoir d’arriérés de salaire comme compensation – et qu’Hoffman a été indûment étendu au niveau étatique des cours américaines afin de refuser toute forme de protection aux travailleurs sans-papiers dans d’autres contextes, ce qui comprend l’accès à une indemnité dans les cas de préjudice corporel, la protection contre la discrimination, et la responsabilité de l’employeur dans les accidents du travail, qui débouchent souvent sur une intimidation des travailleurs sans-papiers dans le but de les dissuader de recourir au système judiciaire.

La Commission a déclaré que les États-Unis violaient les droits de l’article II (égalité devant la loi) et XVI (sécurité sociale) pour les deux hommes. Elle a aussi déclaré qu’il y avait violation des articles XVII (reconnaissance de la personnalité juridique et droits civiques) et XVIII (procès équitable) pour M. Lizalde. En ce qui concerne l’article II, elle a examiné la signification de “discrimination” en vertu de documents sur les droits de l’homme dont la Déclaration américaine, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, comme énoncé par la cour interaméricaine des droits de l’homme dans son avis consultatif OC-18, qui aborde les droits juridiques des travailleurs en situation irrégulière. Tout en reconnaissant que les États ne sont pas obligés de fournir un accès à l’emploi aux personnes en situation irrégulière, la Commission a considéré qu’il était obligatoire, lorsqu’une relation professionnelle débutait, de fournir une protection juridique aux employés, quel que soit leur situation au regard de l’immigration. La Commission a remarqué un précédent dans plusieurs États des États-Unis qui soutient une distinction entre les employés légaux et illégaux dans les recours auxquels ces travailleurs ont droit, ce qui est dû en partie à Hoffman. Dans ce contexte, la Commission a déclaré que les États-Unis ont manqué à leur obligation de fournir une protection égale à tous les travailleurs. 

En discutant le droit à la sécurité sociale, la Commission a constaté que la Charte de l’Organisation des États Américains (Charte de l’OEA) et plusieurs autres sources de droit international requièrent des systèmes qui incluent une compensation pour des accidents du travail et une rémunération lorsque le travailleur/se n’est pas en mesure de subvenir à ses besoins. La Commission a considéré que les programmes de compensation des travailleurs existants aux États-Unis relèvent du cadre de la “sécurité sociale” dans la mesure où ils cherchent à fournir des protections aux travailleurs se retrouvant dans des situations vulnérables, mais a déclaré qu’aucun des pétitionnaires n’a pu avoir accès aux avantages de ces programmes.

La Commission a aussi déclaré que les États-Unis ont violé les articles XVII et XVIII de la Déclaration américaine dans le cas de M.Lizalde, en raison des poursuites judiciaires, de la détention et de l’expulsion qui a suivi, en réponse à sa demande d’indemnisation pour accident du travail. La Commission a considéré que le droit au travail correspond à l’un des “droits civils”de l’article XVII, et a soutenu que l’absence de recours approprié pour les violations sur le lieu de travail prive les travailleurs à la fois des “conditions décentes” qui leur sont dues en vertu de la charte de l’OEA, et la reconnaissance de leur préjudice conformément à la loi. L’article XVIII garantit un accès équitable aux tribunaux lorsque les droits fondamentaux sont violés. Alors que les États devraient fournir un cadre juridique accessible et efficace pour protéger les droits des travailleurs, aucun des pétitionnaires n’a eu accès à une audience pleine et équitable. La Commission a déclaré que les obstacles rencontrés par les travailleurs sans-papiers aux États-Unis lorsqu’ils essaient de revendiquer leurs droits les amènent à être exploités et discriminés sans vraie protection. La Commission a fait remarquer qu’une demande d’indemnisation pour accident du travail n’était pas suffisante pour suspendre l’expulsion, dans la mesure où les demandes provenant de travailleurs sans-papiers ne seraient probablement pas examinées adéquatement.

La Commission a recommandé aux États-Unis de: fournir une compensation monétaire; de s’assurer que toutes les lois et politiques fédérales et étatiques, à première vue mais aussi dans les faits, interdisent toutes distinctions dans les droits relatifs au travail du fait du statut migratoire et de la possession ou non d’autorisation de travail, à partir du moment où une personne commence à travailler comme employé; défendent aux employeurs de poser des questions sur le statut migratoire d’un travailleur respectant ainsi ses droits liés au travail dans les contentieux ou dans les cas de plaintes administratives; assurer que les travailleurs en situation irrégulière bénéficient des mêmes droits et recours que les travailleurs légaux dans les cas de violations de leurs droits sur le lieu de travail; établir une procédure selon laquelle les travailleurs en situation irrégulière impliqués dans des procédures d’indemnisations pour accident du travail, ou leurs représentants, peuvent demander la suspension de leur expulsion jusqu’à ce que la procédure ait été résolue et que les travailleurs aient reçu le traitement médical adéquat, tel qu’ordonné par les tribunaux; et améliorer et développer le repérage d’employeurs violant les droits liés au travail et exploitent les travailleurs sans-papiers, et leur imposer des sanctions adéquates. 

Application des décisions et résultats: 

La mise en oeuvre des recommandations de la Commission a toujours représenté un défi au cours de l'histoire, particulièrement lorsque les gouvernements infranationaux et les systèmes juridiques peuvent être impliqués, en grande partie – selon le gouvernement des États-Unis – en raison du système de gouvernance fédéral des États-Unis, et de la complaisance accordée aux États dans leur façon de faire appliquer leurs lois, ainsi que le registre limité des États-Unis en ce qui concerne la ratification du traité. Néanmoins, la décision est une reconnaissance supplémentaire au droit à la non-discrimination et à l'égalité, applicable à tous les niveaux de gouvernement dans tous les États. Alors que les avocats des pétitionnaires ne semblent pas optimistes quant à la compensation financière de leurs clients, les défenseurs ont maintenant un précédent supplémentaire confirmant que tous les travailleurs, quel que soit leur statut migratoire, peuvent jouir de leurs pleins droits et recours en vertu de la loi à partir du moment où ils sont affectés à un poste. (Professeur Sarah Paoletti, Directrice, Transnational Legal Clinic, Université de droit de Pennsylvanie, interview par email, 15 février 2017

Groupes impliqués dans le cas: 

La demande a été déposée par l’American Civil Liberties Union, le National Employment Law Project, et le Transnational Legal Clinic de l'école de droit de l'Université de Pennsylvanie. De plus, les organisations suivantes ont participé au dépôt de la première pétition: AFL-CIO, Inter-Faith Justice Network, United Mineworkers, et 6 pétitionnaires individuels.

Importance de la jurisprudence: 

Cette décision historique, qui confirme que les droits du travail sont aussi des droits humains (para.119), est la première à aborder les droits liés à l'emploi de migrants sans papiers en Amérique.

Selon le professeur Paoletti, l'affaire a été un indicateur important des normes reconnues en matière de droits humains appliquées aux travailleurs sans-papiers, et reconnaît explicitement que le droit international exige que les travailleurs sans-papiers soient traités de la même manière que leurs homologues citoyens dans l'exercice de tous les droits et pour les recours en cas de violations de ces droits. L’American Civil Liberties Union a commenté que cette affaire "pourrait avoir un impact sur les vies de millions de travailleurs sans-papiers qui ont vécu dans l'ombre tout en contribuant à notre économie et notre société."