Summary
Alfredo Lagos del Campo a été licencié le 1er juillet 1989. M. Lagos del Campo avait été auparavant dirigeant syndical, mais au moment de son renvoi, il était le président du Comité électoral, représentant élu de la Communauté industrielle (type d'organisation de salarié-e-s créée par la loi au Pérou). M. Lagos del Campo a accordé un entretien à un magazine en sa qualité de président du Comité électoral, affirmant qu’il avait dénoncé publiquement les actes de son employeur, qui, selon lui, exerçait des pressions sur le personnel à l’aide de tactiques d'extorsion et de coercition. M. Lagos del Campo a été licencié peu après l’entretien en réaction à ses déclarations.
M. Lagos del Campo a déposé une plainte devant le Tribunal du travail à Lima, affirmant que son renvoi était dû au travail qu’il réalisait avec la Communité industrielle, plutôt qu’à l’indiscipline, et que, par conséquent, ce geste violait son droit à la liberté d'expression, constituait une ingérence illégale dans l’activité syndicale et portait directement atteinte à son droit au travail. Le Tribunal du travail a convenu que ce renvoi était illégal, mais la Cour d'appel a renversé la décision et déclaré que la liberté d’expression ne donnait pas le droit de dénigrer l’honneur et la dignité d’un employeur. M. Lagos del Campo a ensuite passé de nombreuses années à essayer d'en appeler devant diverses instances, quoique, pendant un certain temps, les tribunaux ne fonctionnaient pas en raison du conflit interne.
Finalement, M. Lagos del Campo a été représentée devant la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) par l’Association pro-droits humains (APRODEH). La CIDH a renvoyé l’affaire à la Cour interaméricaine des droits de l’homme après que l’État a nié avoir porté atteinte aux droits de M. Lagos del Campo. L’État a fait valoir que M. Lagos del Campo n’était pas représentant syndical au moment du renvoi et que, par conséquent, son droit à la liberté d’expression et d’association n’avait pas à faire l’objet d’une protection particulière. La Cour a conclu que M. Lagos del Campo avait clairement agi en qualité de représentant syndical et que ses déclarations avaient été faites dans le contexte d'un conflit de travail concernant les conditions de travail. En n’assurant pas la protection des droits de M. Lagos del Campo, l’État avait nui à sa capacité de représenter les travailleuses et travailleurs et privé celles et ceux-ci de leur représentant. L’État a donc violé le droit de M. Lagos del Campo à la liberté d’expression et d’association au titre des articles 8.2 (droit à un procès équitable), 13.2 (liberté de pensée et d’expression), 16 (liberté d’association), et 26 (droits économiques, sociaux et culturels) de la Convention américaine relative aux droits de l'homme, lus conjointement avec l'article 1.1 (obligation de respecter les droits).
Le licenciement arbitraire et injustifié de M. Lagos del Campo l’a aussi privé de son droit au travail et à la sécurité d’emploi au titre de l’article 26, lu conjointement avec les articles 1.1, 13, 8 et 16. La Cour a clairement fait entendre que les obligations de l’État en ce qui concerne le droit au travail comprenaient celle de prévoir des mécanismes juridiques efficaces permettant aux travailleuses et travailleurs de déposer une plainte pour licenciement injustifié dans le secteur privé et, en cas d’issue favorable, d’obtenir réparation sous forme de réintégration et autres mesures. La Cour a souligné que le droit à la sécurité d’emploi ne voulait pas dire qu'un travailleur ou une travailleuse ne pouvait jamais être licencié. Cela signifiait plutôt que les travailleuses et travailleurs avaient le droit de connaître les motifs de leur licenciement et le droit à une protection juridique effective si les motifs invoqués par l’employeur étaient arbitraires ou contraires à la loi, comme dans le cas de M. Lagos del Campo.
La Constitution péruvienne reconnaît tant le droit au travail que le droit à la sécurité d’emploi. Comme les cours d'appel du Pérou n’allaient pas évaluer les plaintes de M. Lagos del Campo concernant l’un ou l’autre, et qu’aucune autre cour ne voulait les entendre, l’État a également violé le droit de M. Lagos del Campo à un procès équitable et à la protection judiciaire, en violation des articles 8.1 et 25.1 (droit à la protection judiciaire) de la Convention, lus conjointement avec l’article 1.1.
La Cour a aussi réitéré l’interdépendance et l’indivisibilité qui existent entre les droits civils et politiques et les droits économiques, sociaux et culturels, affirmant que ceux-ci doivent être interprétés intégralement et en reconnaissant qu’il n’existe aucune hiérarchie dans le cadre des droits.
La Cour a ordonné à l’État de publier la décision sur son site Web et dans un journal de large diffusion. Elle a accordé à M. Lagos del Campo la somme de 28,000 USD pour perte de revenus et de 30,000 USD pour perte d’accès à la retraite et à une pension. De plus, la Cour a accordé 20,000 USD pour « dommages immatériels », puisque M. Lagos del Campo avait reçu un diagnostic de stress post-traumatique, et 20,000 USD pour couvrir les frais judiciaires.