The Queen, à la demande de Sheila Winder, Lisa Marie Dowen et Sarah Hampton c. Sandwell Metropolitan Borough Council, [2014] EWHC 2617 (Admin)

Un tribunal britannique fait valoir le droit des femmes à un logement convenable et à la protection sociale

Les requérantes, qui étaient financièrement admissibles à un allègement fiscal, se le sont vu refuser en raison d’une condition de résidence de deux ans dans une localité donnée La Haute Cour de justice du Royaume-Uni a aboli la condition de résidence pour plusieurs motifs, notamment parce qu’elle ne répondait à aucune disposition législative, qu’elle était discriminatoire à l’égard des femmes et des ressortissants non britanniques, qu’elle portait atteinte au droit à la liberté de circulation et qu’elle ne respectait pas l’obligation de consulter les parties concernées.

Date de la décision: 
30 juil 2014
Forum : 
Haute Cour de justice, Division du Banc de la Reine Cour administrative de Birmingham
Type de forum : 
Domestique
Résumé : 

Le conseil métropolitain de Sandwell a élaboré un nouveau plan fiscal suite à une modification de la loi fiscale nationale. Auparavant, les personnes à faibles revenus recevaient une aide financière pour payer les taxes municipales, mais le nouveau plan instituait un allègement fiscal pour les particuliers en fonction de leur situation financière. La loi en question stipulait que les autorités locales établiraient un plan adapté au contexte local pour déterminer l’allègement fiscal en créant des catégories tenant compte du revenu, du capital et du nombre de personnes à charge. Le plan devait être publié à titre de projet et l’autorité locale était tenue de consulter les parties concernées. Le conseil de Sandwell a élaboré un projet de plan, qui n'incluait pas la condition de résidence, et a organisé une consultation publique. C'est pendant la dernière audience devant le conseil plénier qu'un membre a proposé une condition de résidence de deux ans afin de dissuader les particuliers de partir des zones où la valeur des propriétés est élevée pour aller dans des zones où les propriétés sont de moindre valeur afin d’alléger leur charge fiscale. La mesure a été adoptée sans grande discussion et sans aucune consultation publique. Avant l’introduction de l’action en justice, 3,600 personnes s’étaient vu refuser une réduction des taxes car elles ne satisfaisaient pas à la condition de résidence.

La condition de résidence a été contestée par trois femmes. L’une des femmes, Sheila Winder, début de la cinquantaine, est née à Sandwell et y a vécu la majeure partie des 46 premières années de sa vie. En 2008, elle a été forcée de déménager dans la localité de Dudley située à quelques kilomètres, car elle était victime de violence familiale. Elle est finalement devenue sans abri et a été logée par le conseil de Dudley dans un foyer réservé aux femmes à Sandwell. Les deux autres femmes ont aussi vécu à Sandwell la majeure partie de leur vie, mais pas pendant les deux ans précédant l’adoption du plan fiscal, l’une étant en situation de logement instable en raison de la détérioration de sa santé mentale et l'autre ayant récemment perdu son mari. Chacune des femmes disposait de revenus extrêmement limités, mais s’était vu refuser l’octroi d’un allègement fiscal en raison de la condition de résidence. Elles ont fait valoir que la condition ne répondait pas aux objectifs légitimes de la loi, et également, qu’elle était absurde et entraînait une discrimination indirecte à l’égard des femmes victimes de violence et des ressortissants et réfugiés de pays non européens (conformément au droit de l’Union européenne, section 19 de la Loi sur l’égalité et article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme et de son premier protocole).

La Cour a souscrit à l'opinion des femmes selon laquelle la loi stipule clairement que des catégories doivent être définies en fonction des besoins financiers, et que les organes publics qui définissent les catégories sont liés par la loi. Il n’était pas légitime que le Conseil impose une condition de résidence pour éviter d’aider financièrement des personnes admissibles à un allègement fiscal. La condition de résidence ne correspondait pas à l’intention de l’assemblée législative, qui était manifestement de venir en aide à ceux et celles qui en avaient le plus besoin. Elle pourrait pousser les gens à opter pour les prestations sociales plutôt que de s’en aller, ce qui pourrait affecter tout particulièrement les personnes vulnérables, telles que celles qui fuient la violence familiale. La Cour a signalé que le problème pourrait s’aggraver si d‘autres autorités adoptaient une condition de résidence de même nature. La Cour a également statué que l’absence de consultation rendait illégale la procédure ayant mené à l'adoption de la condition de résidence. S’agissant de la discrimination, la Cour a conclu, entre autres, que la condition de résidence était indirectement discriminatoire à l’égard des femmes, parce que les femmes sont beaucoup plus susceptibles que les hommes d’être victimes de violence familiale, ce qui pourrait les obliger à fuir vers une localité différente, que les personnes qui s'enfuient ont souvent des ressources très limitées et qu’une personne fuyant vers Sandwell ne remplirait pas la condition de résidence.

De plus, la condition était illégale car rien ne permettait de prouver que même une seule personne était déménagée pour profiter de meilleurs avantages fiscaux, et la condition avait été adoptée sans véritable débat et sans tenir compte des conséquences.

Application des décisions et résultats: 

À la suite du jugement, Sandwell a éliminé la condition de résidence de deux ans (entretien par courriel avec Carla Clarke, avocate, Child Poverty Action Group, 25 juin 2018). De plus, deux autres conseils (Tendring et Basildon) qui avaient adopté des règles de résidence minimum ont cessé de les appliquer.

Groupes impliqués dans le cas: 

Commission de l’égalité et des droits humains

Child Poverty Action Group

Importance de la jurisprudence: 

Le jugement a eu un effet positif sur la vie de dizaines de milliers de personnes à faible revenu devant payer la taxe d’habitation qui s'étaient vu refuser une aide à Sandwell, ainsi que dans d’autres localités ayant le même genre de programme de réduction de la taxe d’habitation. La décision vient réaffirmer qu’un objectif fondamental de la protection sociale doit être de soutenir véritablement les membres les plus vulnérables de nos sociétés.

Par ailleurs, cette décision met fortement l’accent sur le principe fondamental de la participation, favorisant une prise de décisions véritablement participative à l'aide d'un processus de consultation publique. Concernant la question de la participation, la résolution 33/22 des Nations Unies demandait que soit élaboré un projet de directives pour la mise en œuvre effective du droit de participer aux affaires publiques, demandant instamment aux États de prendre des mesures, notamment pour encourager la participation de l’ensemble des citoyens et citoyennes aux affaires publiques, en particulier les femmes, les personnes appartenant à des groupes marginalisés ou à des minorités et les personnes vulnérables.

L’examen de la discrimination indirecte[1] dans cette affaire met au premier plan le lien entre les problèmes particuliers qui touchent principalement les femmes – par exemple, la violence familiale – et l’instabilité du logement, qui, à son tour, nuit à la jouissance de plusieurs autres droits, dont l’accès aux régimes de protection sociale. Pour ce qui est de l’ampleur du problème, mentionnons que 1.2 millions de femmes ont été victimes de violence familiale en 2017 au Royaume-Uni. L’OMS estime que dans le monde, près d’un tiers (30%) de toutes les femmes ayant eu une relation de couple ont subi des violences physiques et/ou sexuelles de la part de leur partenaire intime. Cette violence oblige souvent les femmes à s’enfuir de chez elles et est une des premières causes du sans-abrisme chez les femmes. D'autres femmes qui n’ont pas de possibilités de logement sûr restent piégées dans un environnement néfaste où la violence dégénère souvent. La sécurité d’occupation et l’accès au logement sont des éléments fondamentaux du droit à un logement convenable, tel qu’énoncé dans l’Observation générale no 4 du CDESC. Conformément au droit international relatif aux droits humains, les États doivent assurer aux victimes de violence l'accès à des services, notamment de logement.  Cette affaire vient nous rappeler que, pour garantir effectivement les droits des femmes, dont leur droit au logement, il faut faire appel au principe de la discrimination indirecte dans le cadre d’une analyse plus générale de l’égalité de fait et adopter une vision globale de l’expérience de la violence fondée sur le sexe.

Nous remercions particulièrement de leurs contributions Child Poverty Action Group et les membres du Réseau DESC :  Programme sur les droits humains et l’économie mondiale de la Northeastern University (PHRGE) et JustFair UK.


[1] Il y a discrimination indirecte lorsqu’une loi ou une politique est neutre en apparence, mais qui entraîne un désavantage marqué au motif d’un critère interdit, par exemple, la race et le genre.