Summary
Transgender Europe et ILGA-Europe ont fait valoir que les mesures imposées par la République tchèque aux personnes souhaitant modifier leur sexe sur des documents juridiques violent l’article 11 de la Charte sociale européenne (la Charte), à laquelle la République tchèque est partie. En République tchèque, les personnes qui souhaitent modifier le sexe indiqué sur leur certificat de naissance ou sur d’autres documents juridiques pour passer du sexe masculin au sexe féminin ou du sexe féminin au sexe masculin (le sexe non binaire n’est pas légalement reconnu en République tchèque) doivent subir une opération chirurgicale de réattribution de sexe qui modifie leurs organes génitaux et les stérilise à vie. Le diagnostic de trouble de l’identité sexuelle, la dissolution de tout mariage ou partenariat enregistré avec un partenaire et l’approbation du changement par un comité d’experts gouvernementaux sont des conditions supplémentaires. Les personnes qui ne remplissent pas ou ne peuvent pas remplir toutes ces conditions sont obligées de vivre leur vie avec des documents juridiques qui ne correspondent pas à leur véritable sexe, ce qui les expose à la discrimination et à des préjudices psychologiques tout au long de leur vie.
Dans son analyse, le Comité européen des droits sociaux (le Comité) n’a pris en compte que la section 1 de l’article 11, qui stipule que « [T]oute personne a le droit de bénéficier de toutes les mesures lui permettant de jouir du meilleur état de santé qu’elle puisse atteindre. ». En 2017, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé, dans l’affaire A.P., Garçon et Nicot c. France, qu’une obligation de transition de sexe impliquant une stérilisation violait le droit d’une personne au respect de sa vie privée en vertu de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour européenne a estimé qu’en subordonnant la reconnaissance de leur sexe à une opération chirurgicale non désirée, les personnes transgenres étaient contraintes de renoncer à leur droit à l’intégrité physique pour obtenir le respect de leur vie privée. Le Comité a appliqué une logique similaire à l’article 11§1 de la Charte.
Le Comité a déterminé que les obligations des États en vertu de l’article 11 comprennent le fait de s’abstenir d’interférer avec la jouissance du droit à la santé. Le Comité a expliqué que les exigences de la République tchèque posent de sérieux problèmes quant à la capacité de donner un consentement libre, car elles subordonnent le droit à la dignité d’une personne transgenre à des procédures médicales inutiles. La chirurgie de réassignation sexuelle n’est pas nécessaire à la protection de la santé et peut en fait causer des dommages physiques et psychologiques aux personnes qui la subissent. Les personnes qui ne souhaitent pas subir une opération stérilisante de changement de sexe ou à qui l’on conseille de ne pas le faire pour des raisons médicales n’ont aucun recours pour modifier leurs documents d’identité afin qu’ils reflètent leur sexe réel. Il en résulte une absence de consentement libre et éclairé à la procédure, ce qui constitue une violation des droits personnels à l’intégrité physique, à la dignité humaine et à la protection de la santé. Le Comité a estimé que « tout type de traitement médical non nécessaire peut être considéré comme contraire à l’article 11, si l’accès à un autre droit est subordonné à sa mise en œuvre ». Cela inclut l’exigence conditionnelle de la République tchèque selon laquelle les personnes transgenres doivent subir une opération de réassignation de genre et de stérilisation pour que leur genre soit légalement reconnu.
Bien que les requérants aient également affirmé au cours de l’affaire que les exigences de la République Tchèque en matière de transition de genre étaient discriminatoires à l’égard des personnes transgenres en violation du préambule de la Charte, le Comité a décidé de ne pas aborder cette question parce que la réclamation n’avait été invoquée à l’origine qu’au titre de l’article 11 de la Charte elle-même. La vice-présidente du Comité, Karin Lukas, a rédigé une opinion concordante dans laquelle elle exprime son désaccord avec la décision du Comité de ne pas aborder cette question et affirme que la stérilisation conditionnelle équivaut à une discrimination fondée sur l’identité de genre.