Summary
Le demandeur au pourvoi dans cette affaire est le ministère des Affaires économiques et de la politique climatique de l’État des Pays-Bas (l’État), qui a fait appel en cassation de la décision de la cour d’appel en faveur de Stichting Urgenda (Urgenda), une organisation qui lutte contre le changement climatique. En 2013, Urgenda a intenté un procès, conformément aux dispositions du Code civil néerlandais (CCN) permettant aux organisations d’intenter une action au nom de l’intérêt général, conjointement avec 886 co-plaignants individuels pour demander une ordonnance enjoignant à l’État de réduire les émissions de gaz à effet de serre des Pays-Bas de 25 à 40 % d’ici la fin de 2020 par rapport aux niveaux de 1990. Urgenda soutenait que l’État violait son devoir de diligence (article 6 : 162(2) du CCN), le droit à la vie des résidents néerlandais (article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme - CEDH) et le droit au respect de la vie privée et familiale (article 8 de la CEDH) en contribuant au changement climatique. En juin 2015, le tribunal de district de La Haye a statué en faveur d’Urgenda et a ordonné au Gouvernement de réduire les émissions néerlandaises de 25 % par rapport aux niveaux de 1990 d’ici 2020. L’État a fait appel et, en 2018, la cour d’appel a confirmé la décision. Il est important de relever que la cour d’appel a fondé sa décision sur les obligations positives de l’État en vertu des articles 2 et 8 de la CEDH. L’État a fait appel auprès de la Cour suprême des Pays-Bas.
La Cour suprême a accepté les constatations de fait des tribunaux inférieurs relatives aux sciences du climat telles que présentées dans les rapports du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) et du PNUE (Programme des Nations unies pour l’environnement), et telles que reconnues dans les décisions prises par les États parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) et dans l’accord de Paris. En outre, la Cour suprême a cité les politiques climatiques européennes et néerlandaises qui soutiennent des objectifs de réduction des émissions plus ambitieux. La Cour a accepté les données scientifiques indiquant les dangers d’un réchauffement de la terre de plus de 2 degrés Celsius (objectif de deux degrés) par rapport aux niveaux préindustriels et a accepté que 1,5 degré constitue un seuil plus sûr. La Cour a également suivi les conclusions du quatrième rapport du GIEC (AR4) selon lesquelles les émissions de gaz à effet de serre des pays industrialisés (connus comme pays de l’annexe I, qui comprend les Pays-Bas) doivent être de 25 à 40 % inférieures d’ici la fin de 2020 par rapport à leurs niveaux de 1990 afin de rester en dessous de 2 degrés Celsius.
La Cour suprême a affirmé que le changement climatique constitue un « risque réel et immédiat » de préjudice qui entraîne des obligations positives de la part de l’État en vertu des articles 2 et 8 de la CEDH, en s’appuyant sur une jurisprudence analogue de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). La Cour a déclaré que le risque de préjudice doit menacer directement les personnes concernées, ce qui peut inclure la société dans son ensemble, et que ces articles offrent une protection même si les risques ne se matérialisent pas avant une longue période. La Cour a déterminé que l’État a donc une obligation positive en vertu des articles 2 et 8 de la CEDH de « prendre les mesures appropriées contre la menace d’un changement climatique dangereux ». Les mesures adoptées doivent être « raisonnables et appropriées », « cohérentes », prises « en temps utile » et conformes à une approche basée sur la « diligence raisonnable ». Plus précisément, l’État doit réduire les émissions de gaz à effet de serre du territoire néerlandais, conformément à sa « part équitable » dans la réduction des émissions mondiales. Toutefois, ces obligations ne peuvent pas constituer une « charge impossible ou ... disproportionnée » pour l’État.
La Cour a clairement indiqué que les États ont une « responsabilité individuelle » dans l’atténuation du changement climatique, malgré la nature mondiale du problème, en se référant notamment à la CCNUCC à laquelle les Pays-Bas sont parties et au principe en droit international de « ne pas nuire ». La Cour a rejeté l’argument de l’État selon lequel sa contribution aux émissions mondiales était négligeable, en soulignant l’impact négatif sur les efforts mondiaux de lutte contre le changement climatique qu’impliquerait l’acceptation d’un tel moyen de défense et la nécessité d’offrir un recours effectif conformément à l’article 13 de la CEDH.
La Cour suprême a déterminé que l’État était tenu de réduire ses émissions d’au moins 25 % d’ici 2020 par rapport aux niveaux de 1990, comme « minimum absolu », étant donné le degré élevé de consensus scientifique et politique concernant cette norme, en se référant notamment aux décisions scientifiques et intergouvernementales du GIEC. La Cour a estimé que « l'État n’a pas été en mesure de fournir une justification appropriée de son affirmation selon laquelle la déviation de cet objectif est néanmoins responsable ». La Cour a déterminé que l’ordonnance ne constituerait pas une « charge impossible ou disproportionnée », en particulier compte tenu du fait que d’autres pays de l’UE menaient « des politiques climatiques beaucoup plus strictes » et que l’État avait été informé de l’ordonnance depuis 2015.
Enfin, la Cour suprême a rejeté l’argument de l’État selon lequel l’ordonnance constituait un « ordre de légiférer » inadmissible, au motif que le pouvoir judiciaire avait pour fonction légitime de déterminer si l’État respectait ses obligations légales, et que l’ordonnance elle-même donne à l’État la liberté de déterminer comment atteindre l’objectif de réduction.