Summary
Luis Eduardo Guachalá Chimbo, âgé de 23 ans au moment de sa disparition, souffrait de crises d’épilepsie depuis son enfance. Depuis le 21 janvier 2004, on lui a diagnostiqué un handicap psychosocial. En raison d’un revenu insuffisant pour couvrir ses besoins essentiels de et ceux de sa famille, M. Chimbo n’était pas en mesure d’acheter régulièrement les médicaments nécessaires au traitement de ses crises d’épilepsie.
Le 10 janvier 2004, M. Chimbo a été hospitalisé et a reçu des soins dans un hôpital psychiatrique public avec le consentement de sa mère, Mme Zoila Chimbo Jarro. Entre le 10 et le 17 janvier, Mme Chimbo s’est rendue à l’hôpital une fois et a appelé plusieurs fois, mais n’a pas été en mesure de trouver ou de contacter son fils, le personnel de l’hôpital agissant de manière dédaigneuse ou évasive face à ses tentatives. Le 17 janvier, l’hôpital a enregistré que M. Chimbo avait quitté l’hôpital et qu’une recherche avait été effectuée mais qu’il n’avait pas été retrouvé. Après que Mme Chimbo se soit enquise de l’état de son fils le 18 janvier, ce n’est qu’à ce moment-là que l’hôpital a informé que son fils aurait quitté l’hôpital, que l’hôpital avait fouillé ses locaux en vain et informé la police ; elle a été dirigée par l’hôpital pour demander l’aide de la police.
Après la disparition de M. Chimbo en 2004, Mme Chimbo a porté plainte auprès de la Direction nationale de la police judiciaire de Pichincha. L’affaire a été classée sans suite car elle n’a pas permis de faire la lumière sur l’endroit où se trouvait M. Chimbo. Parallèlement, Mme Chimbo a déposé une plainte auprès du médiateur, adressée à la Direction nationale pour la défense des droits des personnes âgées et des personnes handicapées, qui a donné lieu à une communication établissant la responsabilité totale de l’hôpital dans la disparition. Par la suite, Mme Chimbo a déposé une demande d’habeus corpus devant le maire de Quito. En l’absence de réponse, Mme Chimbo a intenté une action devant le Tribunal constitutionnel. Le Tribunal constitutionnel a statué qu’une enquête devait se poursuivre jusqu’à ce que M. Chimbo soit localisé, mais aucune action d’enquête significative n’a eu lieu à la suite de cette décision.
La famille a déposé une requête auprès du système interaméricain des droits de l’homme, représentée par le Centro de Derechos Humanos de la Pontifícia Universidade Católica de Ecuador (CDH-PUCE) dirigé par le doyen de la faculté de jurisprudence Mario Melo.
Dans son arrêt, la Cour interaméricaine des droits de l’homme a examiné le droit à l’égalité et à la non-discrimination en vertu des articles 1(1) et 29 de la Convention américaine. La Cour a affirmé que le handicap est une catégorie protégée par la convention américaine et que, par conséquent, aucune loi, aucun acte ou aucune pratique ne peut exercer une discrimination fondée sur le handicap réel ou perçu d’une personne ou réduire ou restreindre ses droits en raison de son handicap. Par conséquent, la Cour a conclu que les États ont l’obligation générale d’adopter, dans toute la mesure de leurs ressources disponibles, les mesures législatives, sociales, éducatives, professionnelles ou autres nécessaires pour éliminer toute discrimination fondée sur le handicap et pour promouvoir la pleine intégration des personnes handicapées dans la société. S’appuyant sur la Convention relative aux droits des personnes handicapées (CDPH) et la Constitution équatorienne en vigueur à l’époque, la Cour a également établi que la discrimination fondée sur le handicap se produit lorsque des aménagements raisonnables sont refusés ou ne sont pas fournis.
La Cour a noté que l’État a hospitalisé M. Chimbo sans son consentement éclairé, qu’il n’a pas fait d’efforts pour soutenir M. Chimbo afin qu’il puisse donner un consentement éclairé, et qu’il a indûment tenté de justifier l’absence de consentement éclairé sur la base de son handicap. La Cour a également noté que l’État n’a pas fourni de traitement médical accessible et adéquat, car M. Chimbo n’avait pas les moyens de se payer le traitement nécessaire pour gérer et prévenir son handicap et n’a pas reçu de soins médicaux de qualité pendant son hospitalisation. L’État a également été jugé négligent en raison de son incapacité à localiser M. Chimbo alors qu’il était sous sa garde. En conséquence, la Cour a estimé qu’en vertu des articles 1(1), 4, 24 et 26 de la Convention américaine et de la Convention interaméricaine sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des personnes handicapées, l’État a violé les droits de M. Chimbo à la reconnaissance de sa personnalité juridique, à la vie, à l’intégrité, à la liberté personnelle, à la dignité et à la vie privée, à l’accès à l’information et à la santé, et qu’il l’a discriminé en raison de son handicap.
Plus précisément, la Cour a estimé que l’absence de consentement éclairé et le fait de ne prendre aucune mesure pour aider de manière significative M. Chimbo à donner son consentement éclairé, même s’il était en crise, constituaient un déni de son autonomie en tant que personne et de sa capacité à prendre des décisions concernant ses droits à la santé, à la reconnaissance de sa personnalité juridique, à la dignité, à la vie privée, à la liberté personnelle et à l’accès à l’information. Le manquement de l’État à son obligation de fournir des soins médicaux acceptables et de qualité a violé son droit à la santé, qui englobe les principes de disponibilité, d’accessibilité, d’acceptabilité et de qualité. La négligence de l’État à localiser M. Chimbo qui était sous sa garde a violé ses droits à la vie et à l’intégrité personnelle, en relation avec le droit à la santé. La Cour a également estimé que l’État a des obligations formelles et substantielles de garantir l’égalité des personnes handicapées, notamment en adoptant un modèle de prise de décision assistée et en fournissant des aménagements raisonnables. En l’espèce, l’État n’a pas apporté son soutien à M. Chimbo et n’a pas obtenu son consentement éclairé, il n’a pas fourni d’aménagements raisonnables sous la forme d’un traitement médical et d’une surveillance gratuits, et il a indûment cherché à justifier l’absence de consentement éclairé et de soutien en invoquant le handicap de M. Chimbo. Ces manquements constituent une discrimination fondée sur le handicap au regard du droit à la santé et à l’égalité.
La Cour a également examiné les procédures d’enquête administrative et judiciaire qui ont suivi la disparition de M. Chimbo. Du fait de la disparition de M. Chimbo dans un hôpital public, l’Etat avait l’obligation d’ouvrir immédiatement une enquête d’office sur sa disparition mais ne l’a pas fait. L’État ne s’est pas non plus conformé immédiatement à la décision de la Cour constitutionnelle de poursuivre l’enquête sur la disparition jusqu’à ce que M. Chimbo soit retrouvé. La Cour a estimé que l’Etat a violé les droits aux garanties judiciaires et à la protection judiciaire en violation des articles (7)(6), (8)(1), et 25(1) en relation avec l’article (1)(1) de la Convention américaine.
Enfin, la Cour a reconnu qu’en raison de la disparition de M. Chimbo et des procédures d’enquête administratives et judiciaires qui ont suivi, la mère et la sœur de M. Chimbo ont subi de profondes souffrances et angoisses. La Cour a conclu que cette souffrance et cette angoisse ont violé le droit à l’intégrité personnelle des membres de la famille en vertu des articles (1)(1) et (5)(1) de la Convention américaine.
La Cour a ordonné à l’État de mener une enquête diligente dans un délai raisonnable afin de déterminer ce qui est arrivé à M. Chimbo ; d’identifier, de poursuivre et de tenir pour responsables, le cas échéant, les personnes responsables ; de poursuivre les recherches pour retrouver M. Chimbo et de fournir tout soutien à la famille participant aux recherches. La Cour a également ordonné des dommages pécuniaires et non pécuniaires à M. Chimbo, sa mère et sa sœur. L’État doit également mener un acte public pour reconnaître sa responsabilité internationale dans cette affaire et réglementer son obligation internationale de fournir un soutien aux personnes handicapées pour qu’elles donnent leur consentement éclairé afin de garantir le droit à la santé sans discrimination. Cela inclut l’adoption de programmes permanents d’éducation et de formation pour les étudiants en médecine, les professionnels et le personnel sur les questions de consentement éclairé et le soutien nécessaire aux personnes handicapées pour prendre des décisions médicales en connaissance de cause.