Summary
Cette affaire concerne une demande de mesures provisoires auprès de la Cour interaméricaine des droits de l'homme (« Cour »), déposée par le Center for Justice and International Law (CEJIL), les représentants de Jesús Tranquilino Vélez Loor, conformément aux articles 63(2) de la Convention américaine des droits de l'homme et 27(3) du Règlement de la Cour. En vertu de l'article 63, paragraphe 2, de la Convention, « dans les cas d'extrême gravité et d'urgence, et lorsqu'il est nécessaire d'éviter des dommages irréparables aux personnes », la Cour peut adopter des mesures provisoires sur des questions déjà examinées. L'article 27(3) du Règlement permet aux représentants des victimes alléguées de soumettre des demandes de mesures provisoires « en rapport avec l'objet » des affaires contentieuses. En l'espèce, la question à l'examen concerne la détention de M. Vélez Loor, un ressortissant équatorien qui a été arrêté en République du Panama en 2002 pour des infractions liées à son statut d'immigrant, et qui s'est ensuite vu refuser les garanties d'une procédure régulière et la possibilité de se défendre. Il a été privé de sa liberté pendant près de deux ans dans des conditions inhumaines dans des pénitenciers où les personnes accusées d'infractions liées à l'immigration étaient détenues avec les personnes jugées et/ou condamnées pour des actes criminels. M. Vélez Loor a été soumis à la torture et à d'autres mauvais traitements pendant cette période. En conséquence, le 23 novembre 2010, la Cour a jugé que le Panama avait violé la Convention américaine des droits de l'homme et la Convention contre la torture. Dans le même temps, elle a ordonné au Panama de mettre en œuvre une série de réparations, notamment que l'État « crée des établissements d'une capacité suffisante pour détenir les personnes dont la détention est nécessaire et raisonnable pour des raisons migratoires, spécifiquement adaptés à ces fins. » (Faits tirés de l'arrêt de 2010, Vélez Loor c. Panama, Exceptions préliminaires, fond, réparations et frais, arrêt, Inter-Am. Ct. H.R. (ser. C) No. 132, ¶¶ 2, 327 (23 nov. 2010)).
Dans leur demande de mesures provisoires, les représentants de M. Vélez Loor ont allégué que le Panama n'avait pas respecté l'ordonnance de la Cour au détriment des migrants détenus dans sa province de Darién, notamment en raison de la pandémie de COVID-19. Plus précisément, les représentants ont allégué que les mesures prises par le Panama dans le centre de détention de migrants de La Peñita portaient atteinte aux droits à la vie, à la santé et à l'intégrité personnelle des détenus. La Cour a estimé que ce lien avec l'arrêt sous-jacent de 2010 était suffisamment lié à l'objet de la présente requête, conformément à l'article 27(3) du Règlement. Bien que les représentants aient limité leur plainte au centre de La Peñita, la Cour a également intégré les circonstances au centre de Lajas Blancas dans son analyse.
Les restrictions au droit de circulation s'étant durcies pendant la pandémie de COVID-19, les frontières ont été fermées entre les pays et les migrant.e.s n'ont pas pu poursuivre leur voyage vers le nord. En conséquence, les conditions de surpopulation de La Peñita ont été exacerbées et les déficiences persistantes de ses infrastructures ont conduit à des conditions hautement insalubres et à l'épuisement des réserves d'eau. Cela a ensuite entraîné une augmentation des taux d'infection, ainsi qu'une recrudescence des conflits sous la forme de violences sexistes et de violences entre migrant.e.s de différentes nationalités. Dans ces circonstances, les représentant.e.s ont identifié des facteurs de risque justifiant l'adoption de mesures provisoires liées à quatre questions : (i) les détentions automatiques et arbitraires, qui pourraient se transformer en détentions indéfinies en raison de la pandémie ; (ii) des conditions de détention inadéquates pour prévenir la propagation du virus, notamment en ce qui concerne la surpopulation ; (iii) un manque de soins médicaux primaires pour les migrant.e.s ; et (iv) un manque de mesures de réponse et de prévention de la COVID-19. Pour sa part, le Panama a fait valoir qu'il avait pris des mesures raisonnables en réponse à la pandémie de COVID-19, notamment en ouvrant le centre de Lajas Blancas pour héberger les personnes infectées et réduire la surpopulation à La Peñita, et qu'il était resté en conformité avec les normes établies par l'Organisation mondiale de la santé. La Cour n'a toutefois pas été convaincue que les efforts de l'État étaient suffisants pour combattre les conditions exacerbées par la pandémie.
Pour décider s'il y a lieu de faire droit à la demande de mesures provisoires, la Cour a évalué si les requérants ont effectivement démontré prima facie les trois exigences de l'article 63(2) : l'extrême gravité, l'urgence et le dommage irréparable. En ce qui concerne l'extrême gravité, la Cour a estimé que l'afflux massif de personnes dans les centres de détention de migrants du Panama, en pleine pandémie mondiale, présentait un risque sérieux pour la vie, la santé et l'intégrité personnelle d'un groupe particulièrement vulnérable, justifiant une intervention immédiate. De l'aveu même de l'État, le centre de détention de La Peñita détenait des personnes à plus du double de sa capacité, un fait que la Cour a souligné comme étant significativement révélateur d'une extrême gravité. L'absence de ventilation, de latrines adéquates et d'accès à la nourriture dans le centre ajoutait à la gravité de la situation. L'infrastructure du centre de Lajas Blancas a également été jugée insuffisante.
En ce qui concerne l'urgence, la Cour a également estimé que l'absence de conditions permettant une distanciation sociale et des mesures d'hygiène adéquates pour atténuer la propagation du virus COVID-19 – alors même que les infections augmentaient – et le manque d'informations rapportées sur les fournitures médicales disponibles pour les agents de santé affectés à La Peñita et Lajas Blancas, étaient suffisants pour établir l'urgence. Enfin, la Cour a estimé que l'élément de préjudice irréparable était également rempli, étant donné les conséquences potentiellement irréparables sur la santé, l'intégrité personnelle et la vie des personnes exposées au coronavirus. Sans action immédiate, tant La Peñita que Lajas Blancas étaient vulnérables à une épidémie imminente.