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Nature of the Case

Deux femmes détenues par une maternité publique pour non-paiement de leurs factures d’accouchement ont intenté une action en justice contre le gouvernement et l’hôpital, alléguant la violation de leurs droits constitutionnels ainsi que ceux de leurs enfants, conformément à divers instruments régionaux et internationaux de protection des droits humains. Les deux requérantes avaient initialement recherché des cliniques offrant des tarifs abordables pour leur accouchement en raison de leurs moyens limités, mais elles ont été dirigées vers la maternité de Pumwani sans avertissement préalable, où les coûts étaient beaucoup plus élevés que ce qu’elles pouvaient se permettre. Par conséquent, elles ont été placées en détention.

Summary

En 2010, Millicent Awuor Omuya et Margaret Anyoso Oliele, futures mères, avaient initialement prévu d’accoucher dans des cliniques offrant des tarifs de maternité abordables. Cependant, en raison de complications potentielles, les deux femmes ont été transférées à la maternité de Pumwani, réputée être la plus grande maternité de référence en Afrique de l’Est. Dans le cas de Mme Awuor, bien que les complications ne se soient pas concrétisées, elle a été confrontée à une facture de 3 600 shillings kenyans (Kshs). Malgré ses tentatives de demander de l’aide auprès d’une assistante sociale et de la directrice de l’hôpital pour couvrir ces frais, elle n’a reçu aucune assistance. En raison de son incapacité à régler la facture, elle a été détenue pendant 24 jours et n’a été libérée que lorsque le maire de la ville a payé sa dette.

La deuxième requérante, Mme Oliele, a connu des complications lors de son séjour à la maternité de Pumwani. Elle a été dirigée vers cet établissement pour une intervention chirurgicale urgente. Malheureusement, en raison de l’occupation des lits, elle a dû attendre deux heures, ensanglantée, sur un banc de la réception avant de finalement être opérée. Pendant sa convalescence, ses demandes d’aide pour aller aux toilettes ont été ignorées par le personnel infirmier, ce qui a entraîné une rupture de sa vessie, provoquant une hémorragie qui a nécessité une intervention chirurgicale d’urgence. Mme Oliele n’a pas été informée des raisons de cette intervention. Bien qu’elle ait été opérée, la plaie s’est infectée et elle a remarqué que les points de suture étaient mal faits. Après cinq jours, elle a été autorisée à quitter l’hôpital, mais elle n’était pas en mesure de payer la facture de 12 300 Ksh. Mme Oliele a proposé de régler une partie de la somme, mais l’hôpital a refusé sa carte d’assurance et l’a retenue jusqu’à ce que ses proches paient, six jours plus tard.

Les deux requérantes ont témoigné avoir été soumises à des mauvais traitements pendant leur séjour à l’hôpital. Elles ont rapporté avoir été surveillées de près par des gardiens et certains membres du personnel hospitalier. De plus, elles ont dû dormir à même le sol, sans avoir de literie à disposition, et ont été privés de nourriture en quantité suffisante. Mme Awuor a indiqué qu’elle a contracté une pneumonie après avoir été contrainte de dormir sur le sol, à proximité de toilettes inondées. Lorsque Mme Oliele a exprimé sa frustration d’avoir dormi sur le sol, les infirmières ont refusé de prendre soin de sa plaie chirurgicale, qui s’est ensuite infectée. Pendant leur séjour, les deux femmes ont été séparées de leurs autres enfants qui étaient restés à la maison.

La Cour a examiné si les défendeurs avaient enfreint les droits des requérantes en ce qui concerne : (1) la liberté et la sécurité ; (2) la liberté de circulation ; (3) le droit de ne pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains et dégradants ; (4) la dignité ; (5) la santé ; et (6) la non-discrimination. Elle a conclu qu’il y avait eu des violations de tous ces droits mentionnés, à l’exception de celui de ne pas être soumis à la torture. Les traitements infligés aux requérantse ont été qualifiés de cruels, inhumains et dégradants.

La Cour a jugé que la détention de Mmes Awuor et Oliele était une privation arbitraire de liberté et constituait une violation du droit à la liberté de circulation. Cette conclusion s’appuie sur la jurisprudence existante ainsi que sur l’Observation générale n° 35 du Comité des droits de l’homme des Nations Unies, qui stipule que « les États parties […] doivent […]protéger les individus contre la privation illégitime de liberté par des organisations légales, comme les employeurs, les établissements scolaires et les hôpitaux. »

La Cour a reconnu que le comportement des défendeurs ne répondait pas aux critères d’intentionnalité et de « consentement des agents publics » nécessaires pour qualifier les actes de torture. Cependant, elle a jugé que les défendeurs avaient traité Mme Awuor et Mme Oliele de manière cruelle, inhumaine et dégradante. Elle a fait référence à l’affaire Miguel Castro-Castro Prison c. Pérou (Inter-Am. Ct. H.R. (ser C) No. 160) pour souligner que bien que Pumwani ne soit pas une prison, les conditions de détention des nouvelles mères « s’apparentaient à celles des prisonniers ». La Cour a également noté que leur détention avait engendré une détresse mentale et physique. Sur le plan mental, elles étaient constamment humiliées par le personnel de l’hôpital et s’inquiétaient de l’accumulation de leurs factures pendant leur détention. L’une des requérantes a même décrit leur situation comme étant dans une « petite prison », et elles étaient séparées de leurs autres enfants, « dont elles étaient les seules à subvenir aux besoins ». Sur le plan physique, Mme Oliele souffrait de la douleur de sa plaie infectée en raison du manque de soins médicaux appropriés. De plus, elles n’ont pas reçu une alimentation adéquate et ont été forcées de dormir à même le sol avec une literie insuffisante, voire sale, tandis qu’une requérante a été contrainte de dormir à proximité de toilettes inondées.

La Cour a également jugé que les « conditions déplorables » constituaient une violation du droit à la dignité. Selon la Cour, « le droit à la santé et le droit à la dignité sont étroitement liés… lorsque les patients ne reçoivent pas les soins nécessaires pour garantir leur dignité, cela peut avoir un impact négatif sur leur bien-être ». C’était précisément le cas à l’hôpital de Pumwani, où Mme Awuor a été maltraitée par les infirmières qui lui ont adressé des remarques désobligeantes, et où Mme Oliele a été contrainte de rester assise sur un banc alors qu’elle saignait abondamment. De plus, elle a été emmenée en urgence au bloc opératoire sans être informée de la nature de l’intervention, et après l’opération, ses demandes d’aide pour aller aux toilettes ont été accueillies avec mépris par le personnel infirmier. Le tribunal a expliqué que l’objectif de ce traitement était purement humiliant et visait à porter atteinte à leur estime de soi. En effet, le tribunal a noté que le directeur de Pumwani, le Dr Kumba, avait lui-même admis les mauvais traitements infligés par les infirmières en déclarant que « … les cas de mauvais traitements infligés aux mères avaient considérablement diminué… ». Néanmoins, la Cour a estimé que sa qualification des patientes de « mères têtues » et de « voyous » était « une indication claire de l’attitude de l’hôpital envers ses patients ».

La Cour a conclu à une violation du droit à la santé. Les requérantes se sont appuyées sur l’Observation générale n° 14 du Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies, qui établit que les obligations fondamentales minimales comprennent la garantie du « droit d’accès aux installations, biens et services de santé sur une base non discriminatoire, en particulier pour les groupes vulnérables ou marginalisés » et qualifie la santé de « droit transversal, notamment le droit de bénéficier des services publics de santé sexuelle et génésique ». Les défendeurs ont fait valoir que leur capacité à mettre en œuvre ce droit en vertu de la Constitution dépendait des ressources disponibles et que, bien que le gouvernement kenyan se soit engagé à réaliser le droit à la santé et qu’il ait l’intention d’utiliser une approche fondée sur les droits de l’homme dans la prestation des soins de santé, par exemple en élaborant la politique de 2013 qui a introduit la gratuité des services de maternité, il ne disposait tout simplement pas des fonds nécessaires pour mettre en œuvre ce service. En retour, les requérantes ont fait valoir que « la réalisation progressive ne devrait pas être interprétée comme privant les obligations des États parties de tout contenu significatif ».

La Cour s’est appuyée sur deux affaires pour parvenir à sa conclusion concernant le droit à la santé. La première affaire est celle de Laxmi Mandal c. Hôpital Deen Dayal Harinagar & Autres, W.P. (C) Nos. 8853 of 2008 devant la Haute Cour de Delhi. Dans cette affaire, la requérante est décédée après avoir accouché prématurément de son sixième enfant. Elle avait choisi d’accoucher à domicile car elle s’était vu refuser des soins hospitaliers lors de ses précédentes grossesses dans quatre hôpitaux différents en raison de son incapacité à payer les frais d’admission. La deuxième affaire est celle d’Alyne da Silva Pimentel Teixeira c. Brésil, devant le Comité des Nations unies pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (CEDEF). Dans cette affaire, le CEDEF a constaté une violation du droit à la santé, rejetant l’argument de l’État selon lequel les politiques du système de santé brésilien étaient censées répondre aux besoins spécifiques des femmes. Le système a été considéré comme entraînant un manque d’accès à des soins médicaux de qualité, en violation de la règle selon laquelle « les politiques d’élimination de la discrimination doivent être orientées vers l’action et les résultats, et bénéficier d’un financement adéquat ». En s’appuyant sur ces deux affaires, la Cour a établi une analogie et a conclu que : « Il est évident que la seule raison pour laquelle les requérantes ont subi ce traitement, en particulier la détention, est leur incapacité à payer leurs factures, ce qui a entravé leur accès aux services de soins de santé et a constitué une violation de leur droit à la santé ».

Enfin, la Cour a conclu que les défendeurs avaient violé le droit à la non-discrimination. Elle a fait référence à plusieurs sources juridiques, notamment l’Observation générale n° 18 du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (CEDEF), l’article 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, ainsi que la Constitution kenyane, qui protège les groupes vulnérables, incluant « les femmes enceintes pauvres en train d’accoucher », selon le raisonnement de la Cour. Cette dernière s’est également appuyée sur les principes de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, qui stipule que les services de soins de santé doivent être fournis d’une manière respectueuse de la dignité des femmes et tenant compte de leurs besoins et perspectives. La Cour a affirmé que « le refus ou la négligence de fournir des interventions dont seules les femmes ont besoin constitue une forme de discrimination à l’égard des femmes ». Ainsi, elle a constaté que « les requérantes ont clairement été discriminées en raison de leur statut économique. On leur a refusé l’accès aux établissements de soins de santé en raison de leur incapacité à payer. Lorsqu’elles ont reçu un traitement à contrecœur, on leur a refusé des prestations de base telles que des lits, de la literie, et la nourriture qui leur a été donnée était insuffisante ».

Enforcement of the Decision and Outcomes

La Cour a ordonné au gouvernement du Kenya de prendre les mesures nécessaires, notamment d’adopter des lois et des politiques visant à protéger les patients contre la détention arbitraire dans les établissements de soins de santé. Elle a également adressé une directive au gouvernement kenyan et à la maternité de Pumwani pour qu’ils élaborent des lignes directrices et des procédures claires pour la mise en œuvre du système de dispense de frais dans tous les hôpitaux publics et pour qu’ils prennent toutes les mesures administratives, législatives et politiques nécessaires pour éradiquer la pratique de la détention des patients qui ne sont pas en mesure de payer leurs factures médicales. La Cour a en outre accordé à Mme Awuor 1,5 million de Kshs de dommages et intérêts, à Mme Oliele 500 000 Kshs, et a également ordonné le paiement de leurs honoraires d’avocat.

Significance of the Case

Chaque année, environ 8 000 femmes kenyanes perdent la vie en raison de complications liées à la grossesse. Malgré l’engagement du gouvernement kenyan à fournir des services de maternité gratuits, les frais d’utilisation et la qualité médiocre des prestations de services continuent de poser des obstacles, en particulier pour les femmes vivant dans la pauvreté. Cette affaire met en évidence l’obligation du gouvernement de respecter le droit aux services de santé génésique, même face aux contraintes de ressources. Elle souligne également la nécessité pour le gouvernement de garantir que les professionnels de la santé ne discriminent pas et ne maltraitent pas les patients démunis. En fait, cette affaire a constitué un précédent important pour l’affaire J.M. c. Procureur général, dans laquelle la Cour a également conclu en 2018 à des violations du droit à la santé, du droit à la dignité et du droit de ne pas être soumis à des traitements cruels, inhumains et dégradants.

Nous remercions particulièrement de ses contributions le membre du Réseau DESC : Program on Human Rights and the Global Economy at Northeastern University (PHRGE).