Summary
Fátima El Ayoubi et Mohamed El Azouan Azouz (les auteurs) ont présenté cette communication au Comité en leur nom et au nom de leur jeune fils, Haron El Azouan El Ayoubi, affirmant que l’Espagne a violé leur droit à un logement adéquat en vertu de l’article 11(1) du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels en demandant et en confirmant leur expulsion alors qu’ils n’avaient pas de solution de logement alternative.
Les auteurs n’ont pas pu louer un logement en raison de leur manque de revenus. M. El Azouan Azouz a obtenu un emploi temporaire en 2017, mais il s’agissait d’un revenu précaire en raison de la nature temporaire du projet de construction. Malgré de multiples efforts pour obtenir un emploi rémunéré, il est resté au chômage en raison de la crise économique en Espagne. Mme El Ayoubi n’a pas pu travailler car elle s’occupait à plein temps de leur fils, qui est handicapé.
En raison de la précarité économique, les auteurs ont vécu avec les parents de M. El Azouan Azouz dans un logement social. Cependant, toute la famille a été expulsée après que le gouvernement a vendu l’appartement qu’ils occupaient à un fonds d’investissement. Comme le note le Comité, face à « l’impossibilité d’obtenir un logement sur le marché libre en raison des prix élevés des loyers et des problèmes de santé de leur fils », les auteurs se sont vus contraints d’emménager dans un logement vacant depuis plus de dix ans. Le logement, propriété d’une banque, était délabré, mais avec l’aide de la famille et d’amis, les auteurs ont pu le rendre habitable. Ils ont emménagé dans la propriété en 2016.
Au cours de la même année, la banque a engagé une procédure d’expulsion pour occupation illégale devant le tribunal de première instance, qui a donné suite à la demande, rejetant les difficultés financières et la santé de leur fils comme motifs légitimes pour occuper l’appartement en mars 2017. En octobre 2017, la cour d’appel a confirmé l’expulsion dans son intégralité. La date d’expulsion a été fixée à mars 2018. Pendant trois mois, les auteurs ont plaidé en faveur de la suspension de l’expulsion en raison de leur chômage persistant et de leurs difficultés financières. Les auteurs ont même directement contacté la banque pour tenter de négocier un contrat de location sociale. En septembre 2018, le Comité a enregistré la communication des auteurs et a demandé à l’Espagne de suspendre l’expulsion afin d’éviter des préjudices irréparables aux auteurs et à leur enfant pendant l’examen de leur cas. Bien que les dates d’expulsion aient été maintenues à plusieurs reprises, elles ont finalement été suspendues jusqu’en janvier 2021.
L’État a soutenu que la raison de la communication des auteurs au Comité était de maintenir leur occupation de l’appartement appartenant à la banque, plutôt que de chercher un logement social. De plus, l’État a fait valoir que les auteurs n’avaient pas épuisé les recours à leur disposition et qu’ils avaient choisi immédiatement de squatter l’appartement vide de la banque. L’État a également soutenu que « personne n’a le droit d’occuper illégalement le logement d’autrui et que le droit à la propriété est un droit fondamental, protégé par l’article 17 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et l’article 33 de la Constitution [espagnole]. »
Dans son examen du fond, le Comité a abordé trois domaines spécifiques : 1) la protection contre l’expulsion forcée ; 2) l’obligation des États de fournir un autre logement aux personnes dans le besoin ; et 3) les conditions d’accès à un autre logement et l’occupation illégale, conformément au Pacte et au Protocole facultatif. Concernant les deux derniers points, le Comité a réaffirmé l’obligation de l’État de fournir une solution de logement aux personnes dans le besoin, dans la mesure de ses ressources disponibles, de manière délibérée, concrète et ciblée. De plus, le Comité a souligné que l’État partie est tenu de résoudre les problèmes structurels à l’origine des crises du logement.
Le Comité a utilisé une analyse de proportionnalité pour évaluer l’expulsion. Selon cette analyse, les expulsions doivent respecter certains critères : 1) être prévues par la loi ; 2) promouvoir l’intérêt général dans une société démocratique ; 3) être adaptées à l’objectif légitime poursuivi ; 4) être nécessaires en tant que mesure de limitation, en choisissant la solution la moins restrictive possible ; et 5) offrir des avantages pour l’intérêt général qui l’emportent sur les impacts sur l’exercice du droit limité (c’est nous qui soulignons). Dans le fond, l’évaluation de la proportionnalité exige que l’organisme local indépendant prenne en compte l’impact que l’expulsion pourrait avoir sur la personne concernée ; « plus l’impact sur les droits des auteurs en vertu du Pacte est grave, plus les motifs invoqués pour une telle limitation doivent être examinés minutieusement ».
Le Comité a constaté que les autorités locales n’avaient pas effectué d’évaluation de la proportionnalité [Tribunal d’instruction de Navalcarnero no 3] et n’avaient pas pris en compte les circonstances particulières rendant la situation des auteurs précaire : leur situation financière passée, leurs opportunités d’emploi et le handicap de leur enfant. En l’absence d’une évaluation de la proportionnalité réalisée par des autorités locales indépendantes, le Comité a conclu que l’État partie avait manqué à ses obligations en vertu du paragraphe 1 de l’article 11 du Pacte.
Le Comité a conclu que la crise de l’insécurité du logement en Espagne était le résultat de problèmes structurels profonds liés à l’inégalité croissante et à la spéculation sur le marché du logement. Il a souligné que les États ont l’obligation de résoudre ces problèmes en fournissant des réponses appropriées, opportunes et coordonnées, dans la mesure de leurs ressources disponibles.
Le Comité a formulé des recommandations spécifiques concernant les auteurs et leurs enfants. Il a estimé que l’État partie devait prendre les mesures suivantes : a) réévaluer l’état de nécessité des auteurs et leur niveau de priorité sur la liste d’attente du logement, s’ils ne disposent pas actuellement d’un logement adéquat ; b) accorder aux auteurs et à leurs enfants une indemnisation financière pour les violations subies ; et c) rembourser aux auteurs les frais de justice raisonnables qu’ils ont engagés dans le cadre de la présente communication, tant au niveau national qu’international.
Le Comité a également formulé des recommandations générales visant à prévenir de futures violations similaires. L’État doit garantir que toute personne confrontée à un ordre d’expulsion susceptible de violer ses droits en vertu du Pacte ait la possibilité de contester cette décision devant une autorité judiciaire ou une autre autorité impartiale et indépendante, afin de mettre fin à la violation et de bénéficier d’un recours effectif conformément à l’article 4 du Pacte. De plus, l’État doit prendre les mesures nécessaires pour mettre fin à la pratique consistant à exclure automatiquement les demandeurs de logement social qui occupent illégalement un bien par nécessité, et garantir au contraire l’égalité d’accès au logement social.
Le Comité a également demandé à l’État de prendre des mesures pour garantir que les expulsions impliquant des personnes comme les auteurs ne soient réalisées qu’après une consultation réelle et authentique des personnes concernées, et ce, uniquement lorsque l’État a pris toutes les mesures nécessaires pour garantir l’accès à un logement de substitution. Cela revêt une importance particulière dans les cas concernant des familles, des personnes âgées, des enfants ou d’autres personnes vulnérables. De plus, l’État doit élaborer et mettre en œuvre un plan global visant à assurer le droit à un logement adéquat pour les personnes à faible revenu, conformément à l’observation générale n° 4 et aux observations finales du Comité concernant le sixième rapport périodique de l’Espagne.