Afrique du Sud : Les récents meurtres font craindre une répression accrue contre Abahlali baseMjondolo.

Date de publication : 
Lundi, 28 mars 2022

Nous, les organisations soussignées, condamnons fermement les récents assassinats, en l'espace de trois jours, des défenseurs des droits humains Ayanda Ngila, dans le quartier d’eKhenana, et Siyabonga Manqele, dans le quartier d’eNkanini, à Cato Manor, à Durban, en Afrique du Sud. Tous deux étaient membres du mouvement Abahlali baseMjondolo, qui défend les droits des habitant-e-s des bidonvilles dans les quartiers informels d'Afrique du Sud.

Ayanda Ngila a été abattu de sept balles et tué en plein jour le 8 mars 2022 par quatre hommes qui seraient liés au parti du Congrès national africain (ANC) à Durban, alors qu'il réparait le système d'irrigation du jardin communal du quartier d’eKhenana.

Siyabonga Manqele a été tué par balle le 11 mars 2022 lorsque des policiers masqués ont fait une descente dans le quartier voisin d'eNkanini, à Durban, vers 23 heures. Des témoins affirment que la police enfonçait les portes à la recherche d'armes à feu non enregistrées qui auraient été utilisées pour un meurtre commis en janvier 2022. N'ayant pas trouvé d'armes à feu, la police a arrêté et agressé des membres de la communauté. Siyabonga Manqele a été abattu alors qu'il courrait, sans être armé, au secours de sa femme qui était agressée par la police. Par la suite, la police a utilisé des grenades assourdissantes et des gaz lacrymogènes pour disperser la communauté. Quatre membres de la communauté ont été emmenés au poste de police, dont l'épouse de Siyabonga Manqele, Thandeka Sithunsa. Selon Abahlali baseMjondolo, les membres de la communauté arrêtés sont toujours en détention et sont accusés de meurtre. Ils comparaîtront pour une audience de libération sous caution le 22 mars 2022.

Ayanda Ngila était vice-présidente du quartier informel eKhenana d'Abahlali baseMjondolo, et Siyabonga Manqele était défenseur des droits humains et membre d'Abahlali baseMjondolo dans le quartier informel eNkanini. Leurs meurtres ne sont pas des incidents isolés mais doivent être replacés dans le contexte d'un ensemble d'attaques continues contre le mouvement Abahlali baseMjondolo.

Contexte

La répression d'Abahlali baseMjondolo s'inscrit dans le cadre de leur lutte pour le droit au logement, à la terre et aux services de base. En réponse à l'incapacité du gouvernement à fournir des logements et des services sociaux de base, les personnes les plus marginalisées et les plus démunies occupent des terres inutilisées dans toute l'Afrique du Sud. Les communautés s'organisent afin de trouver des moyens de subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs familles et plaident auprès des autorités locales pour obtenir l'accès aux services de base, notamment les égouts et l'eau courante. L'occupation de ces terres se heurte souvent à la violence et aux expulsions de la part de l'État et des entreprises, qui cherchent à construire des logements à but lucratif là où se trouvent les quartiers informels.

Dans ce contexte, le 6 mars 2022, des membres présumés de l'ANC ont attaqué des membres d'Abahlali baseMjondolo après leur assemblée générale dans le quartier informel d'eKhenana. L'entrée du quartier a été vandalisée et deux membres d'Abahlali ont été blessés après avoir reçu des coups de hache et ont dû être hospitalisés. Les autorités n'ont pas ouvert d'enquête sur ces attaques.

En outre, tout au long de l'année 2021, le quartier informel d'eKhenana a fait l'objet de plusieurs tentatives d'expulsions violentes et forcées et ses dirigeant-e-s ont été victimes d'attaques incessantes. Le 26 octobre 2021, deux dirigeants ont vu leur maison incendiée et, rien qu'en 2021, 11 dirigeant-e-s ont été arrêté-e-s sur la base d'accusations forgées de toutes pièces. La plupart d'entre eux/elles ont depuis été acquitté-e-s de toutes les accusations, tandis que d'autres font toujours l'objet d'un harcèlement judiciaire. Ayanda Ngila avait été arrêté deux fois en 2021 et avait passé six mois en détention provisoire sur la base d'accusations de meurtre forgées de toutes pièces, avant que celles-ci soient abandonnées faute de preuves crédibles.

Depuis la création du mouvement en 2005, les membres d'Abahlali baseMjondolo ont été confrontés à de graves menaces de la part d'acteurs étatiques et non étatiques, à la criminalisation, à la torture et à de mauvais traitements lors de gardes à vue, à des campagnes de diffamation et à des assassinats. 18 dirigeant-e-s et sympathisant-e-s du mouvement ont été tué-e-s entre 2005 et 2021. L'impunité pour ces affaires est persistante. Au fil des ans, plusieurs dirigeant-e-s du mouvement ont été contraint-e-s de se cacher pour protéger leur vie et leur intégrité physique après avoir reçu des menaces de mort, notamment le cofondateur et président, Sibusiso (S'bu) Innocent Zikode.

Nous demandons la fin immédiate de la répression et des attaques contre Abahlali baseMjondolo et ses quartiers informels.

Nous demandons instamment aux autorités sud-africaines de:

  • Mener rapidement des enquêtes approfondies, indépendantes et impartiales sur le meurtre d'Ayanda Ngila et de Siyabonga Manqele ainsi que sur toutes les allégations d'attaques, de menaces et d'autres actes de harcèlement à l'encontre des dirigeant-e-s et des membres du mouvement Abahlali baseMjondolo ainsi que des résident-e-s du quartier d'eKhanana, afin d'identifier tous les responsables, de les traduire devant un tribunal indépendant et de les sanctionner comme le prévoit la loi.
  • Mettre immédiatement fin aux attaques et à tous les actes de harcèlement à l'encontre des membres d'Abahlali baseMjondolo et de tous les défenseur/euse-s des droits humains en Afrique du Sud et créer un environnement favorable pour qu'ils/elles puissent mener leurs activités sans entrave.
  • Garantir l'intégrité physique et psychologique de tou-te-s les défenseur/euse-s des droits humains en Afrique du Sud, en particulier des défenseur/euse-s des droits à la terre et au logement.
  • Mettre immédiatement un terme aux expulsions forcées illégales en Afrique du Sud.
  • Conformément au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, prendre progressivement des mesures ambitieuses, en utilisant au maximum les ressources disponibles, pour fournir un logement adéquat et un accès aux services de base à tou-te-s les Sud-Africain-e-s, y compris aux habitant-e-s des quartiers informels et des terres occupées.

Signataires

Réseau-DESC - Réseau international pour les droits économiques, sociaux et culturels

Front Line Defenders

Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), dans le cadre de l'Observatoire pour la protection des défenseurs des droits humains

Lawyers for Human Rights

Organisation mondiale contre la torture (OMCT), dans le cadre de l'Observatoire pour la protection des défenseurs des droits humains