Significance of the Case
Les groupes de défense des droits des femmes et autres organisations de promotion des droits humains et de la justice sociale en Inde ont largement célébré ce jugement historique, qui fait valoir les valeurs constitutionnelles essentielles que sont l'égalité, la dignité et la laïcité. Bien que des femmes musulmanes aient antérieurement contesté en justice le triple talaq, c’était la première fois qu’une femme musulmane contestait un divorce triple talaq au motif qu’il avait été porté atteinte à ses droits fondamentaux au titre de la Constitution. Si Cour n’a pas traité explicitement de la discrimination fondée sur le sexe, il est intéressant de constater que même le jugement dissident signalait « … que tous les intéressés affirment sans équivoque qu'en plus d’être arbitraire, la pratique du « talaq-e-bidat » est discriminatoire à l’égard des femmes. »
La Bharatiya Muslim Mahila Andolan (BMMA), organisation de masse en faveur des droits dirigée par une femme musulmane, et partie à la présente affaire, a réalisé une étude en 2015 qui a révélé qu’environ 1 femme musulmane sur 11 était survivante du triple talaq, ne recevant pour la plupart aucune pension alimentaire ni indemnisation. Du fait de cette pratique, des milliers de femmes se sont retrouvées dans la misère, parfois sans abri du jour au lendemain avec leurs enfants. En Inde, différentes religions (par exemple, les communautés hindoues, musulmanes et chrétiennes) sont régies par leur propre droit personnel pour ce qui est des questions familiales, concernant, par exemple, la succession, les droits de propriété, le mariage, le divorce et ainsi de suite. Il est possible, dans une certaine mesure, de se soustraire à ces régimes de droit personnel. Cependant, ces régimes sont encore très répandus et entretiennent souvent une discrimination systémique à l’égard des femmes. Un analyste signale que « [l]e message sous-jacent de toutes les lois personnelles, quelle que soit la religion, c’est que les femmes ne sont pas égales aux hommes. » Cette réalité empêche les femmes de réaliser leurs autres droits fondamentaux, concernant notamment le logement, la terre et les ressources en général. Comme en témoigne une consultation tenue en 2013 auprès de membres de la Coalition internationale pour l’accès à la terre, « [l]’ampleur de la discrimination fondée sur le sexe dans les lois, coutumes et pratiques peut entraîner de graves inégalités dans la capacité d’accès [des femmes] à la terre et autres ressources naturelles et de contrôle sur celles-ci, et limiter leur participation à la prise de décisions concernant la gouvernance foncière, depuis le milieu familial jusqu’aux institutions locales et nationales. » La décision est particulièrement importante car elle aborde une pratique relevant du droit personnel sous l’angle de l’égalité structurelle et dans le cadre des droits fondamentaux. Désormais, il sera possible, dans une moindre mesure, de mettre en question et contester d’autres lois personnelles discriminatoires concernant les droits fondamentaux.
Comme l’a signalé une juriste qui est intervenue dans ce dossier, « [l]e plus important à retenir, c’est que cela a permis de libérer l'énergie de femmes musulmanes qui s'occupent de cette question depuis 25 ans. » Le dossier a été porté par un militantisme de base acharné et mené de front par des femmes touchées par la pratique, venant renforcer le dynamisme des militantes de la communauté musulmane œuvrant à la réalisation de différents droits humains.
Si cette affaire représente une reconnaissance importante de l'expérience des femmes et une confirmation de leurs droits, les événements qui ont suivi nous rappellent qu’une stratégie soutenue de plaidoyer est nécessaire pour empêcher d'autres groupes de formuler des décisions en appui à leurs propres intérêts. L’Alliance nationale des mouvements populaires (NAPM selon le sigle anglais) relève cette tension en soulignant « … la propension de la classe dirigeante actuelle ... à s'approprier… ce jugement et … s’en servir pour présenter la communauté musulmane comme rétrograde. » Par exemple, le projet de loi du gouvernement a été critiqué par certains analystes, qui affirment qu’il ne vise pas tant la justice de genre que la persécution politique d'une communauté minoritaire. La NAPM souligne également « la nécessité de réaffirmer que le patriarcat doit être combattu à l’intérieur et dans l‘ensemble des religions et la réforme juridique doit aller dans ce sens, en consultation avec les femmes, [et que] [l]a diabolisation de religions minoritaires, suivant une approche majoritaire et autoritaire... sera mise en question par toutes les forces progressives. »