Summary
Victorio Spoltore (« Spoltore ») a travaillé pour une société privée pendant plus de vingt ans. En 1984, il a été victime d’une crise cardiaque sur son lieu de travail. Bien qu’il soit retourné au travail, une nouvelle crise cardiaque l’a frappé en 1986. À la suite de cela, Spoltore a pris sa retraite de l’entreprise, subissant ainsi une perte de revenus significative. En 1988, il a intenté une action en justice devant un tribunal du travail contre son ancien employeur, réclamant des dommages et intérêts pour une maladie professionnelle attribuée à un environnement de travail hostile.
Neuf ans après que M. Spoltore ait initié une action en justice, le tribunal du travail a rejeté sa plainte, estimant que son état de santé n’était pas lié à son activité professionnelle. Par la suite, M. Spoltore a déposé une requête spéciale pour faire annuler la décision du tribunal du travail auprès de la Cour suprême de justice de la province de Buenos Aires (« SCJBA »). La SCJBA a rejeté cet appel sans examiner le bien-fondé des revendications. Parallèlement, M. Spoltore a déposé une plainte disciplinaire auprès du bureau de l’inspecteur général de la SCBJA en raison des retards et de la négligence du tribunal du travail pendant la procédure. La SCBJA a déterminé que ces retards étaient dus à « la charge de travail excessive du tribunal du travail à l’époque, aux problèmes de santé du fonctionnaire responsable du dossier et à l’absence de précédents disciplinaires ». Par conséquent, la SCBJA a décidé que la mesure appropriée consistait simplement à « prendre les mesures nécessaires pour éviter la récurrence de situations similaires à l’avenir ».
Suite aux résultats de l’enquête menée par la SCJBA, M. Spoltore a présenté une requête à la Commission interaméricaine des droits de l’homme (« CIDH ») en septembre 2000, demandant la révision des décisions de la SCBJA concernant sa plainte disciplinaire. En 2008, la CIDH a jugé la requête recevable. En 2017, la CIDH a élaboré un rapport sur le bien-fondé de la requête et a formulé des recommandations à l’Argentine pour qu’elle se conforme à ses obligations internationales. Étant donné que l’Argentine n’a pas respecté ces recommandations, la CIDH a soumis l’affaire à la Cour interaméricaine des droits de l’homme.
La Cour a entamé les audiences préliminaires en décembre 2019, au cours desquelles M. Spoltore et la CIDH ont plaidé que l’Argentine avait enfreint l’article 8(1) et l’article 25 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme (la « Convention »), qui garantissent respectivement le droit à un procès en temps opportun et le droit à la protection judiciaire. De plus, M. Spoltore a allégué que l’Argentine avait enfreint d’autres droits consacrés par les articles de la Convention, notamment le droit à des conditions de travail équitables et satisfaisantes pour la préservation de la santé du travailleur, qu’il estime découler de l’article 26.
L’Argentine a partiellement reconnu sa responsabilité dans la violation de l’article 8, paragraphe 1, et de l’article 25 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme, qui garantissent respectivement le droit à un procès en temps opportun et le droit à la protection judiciaire. Cependant, l’Argentine a fait valoir que l’attribution de dommages-intérêts serait une mesure inappropriée et a contesté les allégations relatives à l’article 26.
Pour évaluer si l’Argentine avait violé l’article 26, la Cour a d’abord examiné si le droit à des conditions de travail équitables et satisfaisantes garantissant la santé du travailleur découle de cet article. L’article 26 exige la « pleine réalisation des droits implicites dans les normes économiques, sociales, éducatives, scientifiques et culturelles énoncées dans la Charte de l’Organisation des États américains » (la « Charte de l’OEA »). La Cour a conclu que le droit à des conditions de travail équitables et satisfaisantes est effectivement protégé par la Charte de l’OEA. L’article 45(b) de la Charte stipule que « le travail est un droit et un devoir social… et qu’il doit être accompli dans des conditions… qui assurent la vie, la santé et un niveau de vie décent au travailleur… ». Par conséquent, la Cour a établi que le droit à des conditions de travail équitables et satisfaisantes garantissant la santé du travailleur était inclus dans l’article 26 de la Convention américaine.
La Cour a ensuite examiné le droit international pour déterminer l’étendue du droit à des conditions de travail équitables et satisfaisantes, en faisant référence aux lois internationales, nationales et provinciales. La Cour a conclu que l’obligation de l’Argentine de protéger ce droit englobe le devoir de mettre à la disposition des travailleurs victimes d’accidents du travail ou de maladies professionnelles des mécanismes efficaces pour réclamer une indemnisation. Afin que de tels mécanismes soient accessibles, les États doivent éviter les retards judiciaires excessifs pour les travailleurs demandant une indemnisation. Par conséquent, compte tenu de la reconnaissance de la responsabilité de l’Argentine dans les retards excessifs, la Cour a conclu que l’Argentine était responsable de la violation de l’article 26 de la Convention en relation avec les articles 8, 25 et 1(1).
La Cour a ordonné le paiement d’une compensation, le remboursement des frais d’avocat et des contributions au Fonds d’assistance juridique, et a demandé à l’Argentine de publier la décision dans un journal à large diffusion nationale.