Les tribunaux internationaux se penchent de plus en plus sur la question de la crise climatique

Date de publication : 
Mercredi, 28 juin 2023

Les tribunaux du monde entier, y compris les instances internationales, sont saisis de l'urgence de la crise climatique, et les membres du Réseau-DESC sont activement impliqués dans ce combat.

Des litiges relatifs au climat sont en cours ou devraient bientôt être portés devant les trois systèmes régionaux de protection des droits humains, ainsi que devant la Cour internationale de justice (CIJ). Sur chacun de ces fronts, différents membres ont pris l'initiative : des interventions de tierces parties dans des affaires portées devant la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) à l'élaboration d'un document destiné à éclairer le prochain avis consultatif de la Cour interaméricaine des droits de l'homme (CIADH), en passant par la formulation d'une demande d'avis consultatif auprès de la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples (CADHP) et le plaidoyer des Nations unies en faveur de l'adoption d'une résolution demandant un avis consultatif de la CIJ.

Un collectif de membres d'Amérique latine et d'ailleurs – par l'intermédiaire des groupes de travail du Réseau-DESC sur les litiges stratégiques et sur l'environnement et les DESC – travaille sur une soumission visant à soutenir la demande d'avis consultatif du Chili et de la Colombie auprès de la Cour interaméricaine des droits de l'homme. La demande des deux pays se concentre sur plusieurs aspects de « l'urgence climatique et des droits humains » et souligne la nécessité de normes régionales pour accélérer les actions de lutte contre le changement climatique. Elle cherche à identifier et à concrétiser les obligations éventuelles des États en vertu de la Convention américaine des droits de l'homme pour faire face à l'urgence climatique. La demande est unique en son genre en termes d'ampleur, classant les questions sous six grands thèmes que nous résumons ici : (1) les obligations des Etats découlant de la prévention et de la garantie des droits humains pour faire face à la crise climatique ; (2) l'obligation des Etats de préserver le droit à la vie et l'accès à l'information face à l'urgence climatique ; (3) les obligations des Etats, en vertu des principes d'équité intergénérationnelle, de protéger les droits des enfants et des générations futures face au changement climatique ; (4) la portée des obligations procédurales judiciaires et administratives ; (5) la protection des défenseurs de l'environnement et des droits de l'homme ; et (6) la coopération entre les Etats pour faire face au changement climatique dans la région.

La demande d'avis consultatif de la CIJ a été proposée par le Vanuatu, ainsi que par 130 autres États signataires, demandant à la CIJ de clarifier les obligations juridiques des États concernant l'urgence climatique. Le 29 mars 2023, l'Assemblée générale des Nations unies (AGNU) a adopté la résolution demandant l'avis consultatif de la CIJ. Dans cette résolution, l'AGNU qualifie la crise climatique de « défi sans précédent aux proportions de la civilisation ».  La résolution de l'AGNU pose deux questions principales. Premièrement, elle demande « quelles sont les obligations des États en vertu du droit international pour assurer la protection du système climatique et d'autres éléments de l'environnement contre les émissions anthropiques de gaz à effet de serre, pour les États et pour les générations présentes et futures ». Deuxièmement, elle demande « quelles sont les conséquences juridiques de ces obligations pour les États lorsque, par leurs actes et omissions, ils ont causé des dommages importants au système climatique et à d'autres éléments de l'environnement, en ce qui concerne : (a) les États, notamment les petits États insulaires en développement, qui, en raison de leur situation géographique et de leur niveau de développement, sont lésés ou spécialement affectés par les effets néfastes des changements climatiques ou sont particulièrement vulnérables à ces effets ; et b) les peuples et les individus des générations présentes et futures qui sont affectés par les effets néfastes des changements climatiques ». Plusieurs membres ont soutenu cet effort, notamment le Center for International Environmental Law (CIEL).

Une troisième demande d'avis consultatif est en cours d'élaboration par un collectif dirigé par un membre du Réseau-DESC, Alfred Lahai Gbabai Brownell Sr., et constitué de juristes africains d'intérêt public spécialisés dans les droits humains et l'environnement, de militants climatiques, de peuples autochtones, de communautés en première ligne et de défenseurs. La requête vise à demander à la Cour africaine de rendre un avis sur les obligations en matière de droits humains des cinquante-quatre (54) États africains afin de répondre à la crise climatique. Comme l'a souligné Alfred Lahai Gbabai Brownell Sr., l'Afrique est non seulement le plus faible émetteur de gaz à effet de serre, mais c'est également le continent le plus vulnérable qui connaît une augmentation massive des investissements dans les combustibles fossiles, déséquilibrant ainsi le budget carbone et ainsi plaçant le continent à un carrefour critique de la crise climatique, ce qui rend nécessaire cet avis consultatif. Alfred Brownell est le chef de campagne et fondateur de Green Advocates International basé au Libéria, lauréat du Prix Goldman pour l'Afrique en 2019, chercheur invité à la Faculté de droit de Yale et actuellement le président fondateur du Global Climate Legal Defense Network.

Devant la Cour européenne des droits de l'homme, un certain nombre d'affaires relatives au climat sont en cours, et plusieurs sont suspendues pendant que la Grande Chambre évalue trois affaires initiales cette année : KlimaSeniorinnen c. Suisse, Duarte Agostinho c. Portugal et 32 autres, et Carême c. France. En mars, la Grande Chambre a tenu des audiences dans les affaires KlimaSeniorinnen c. Suisse (dans laquelle un collectif de membres du Réseau-DESC est intervenu) et Carême c. France. La Cour a prévu une audience dans l'affaire Duarte Agostinho c. Portugal et 32 autres (dans laquelle un collectif de membres du Réseau-DESC est intervenu) pour le 27 septembre.

Cette série d'audiences, de décisions en attente et d'avis consultatifs à venir fait de cette année une année charnière pour l'accès à la justice internationale en ce qui concerne les droits humains liés au climat.

Les actions en justice, en particulier lorsqu'elles sont associées à des campagnes et à des actions de sensibilisation plus larges, deviennent un moyen de plus en plus important pour les personnes les plus gravement affectées par la crise climatique et pour celles qui y résistent. Par exemple, la demande d'avis consultatif introduite par le Vanuatu –  un petit État insulaire de faible altitude confronté à la crise climatique – est née des efforts de sensibilisation déployés par les étudiants en droit de ce pays. Ces derniers ont réagi à l'élévation du niveau de la mer qui a déplacé « six villages situés sur quatre de ses îles » et « rendu les réserves d'eau si salées qu'elles sont imbuvables », ainsi qu'aux phénomènes météorologiques extrêmes qui frappent de plus en plus les îles, le cyclone Pam ayant détruit 96 % de la production alimentaire du pays en 2015. En effet, l'ampleur de la crise climatique qui touche le Vanuatu est telle que les Nations unies l'ont classé comme « le pays le plus exposé aux catastrophes naturelles ».

Le Chili et la Colombie, dans la région des Andes, sont également confrontés à des phénomènes météorologiques extrêmes, notamment des températures élevées, des inondations, des glissements de terrain et une augmentation de la transmission de la dengue, du paludisme et du chikungunya. La région des Andes a connu d'importants déplacements et migrations dus au changement climatique, 80 % des personnes déplacées étant des femmes et des filles, et un nombre disproportionné de personnes touchées étant des peuples autochtones et des communautés d'ascendance africaine.

Les litiges relatifs aux droits humains liés au climat se multiplient depuis un certain temps et des victoires importantes ont été remportées, comme la décision Urgenda contre Pays-Bas, remportée par la Fondation Urgenda, dont l'équipe juridique comprend Tessa Khan, membre du Réseau-DESC, qui a cofondé le Climate Litigation Network avec la Fondation Urgenda, qui a mené d'importants litiges liés au climat dans le monde entier.  Il reste à voir si les tribunaux dans leur ensemble répondront à l'ampleur de la crise par une réponse juste et proportionnée, complétant et renforçant les luttes des communautés et des mouvements du monde entier pour la justice climatique. L'année 2023 pourrait apporter un début de réponse.