Summary
En octobre 2013, Mohamed Ben Djazia, Naouel Bellili et leurs deux enfants mineurs ont été expulsés du logement qu'ils avaient loué à Madrid, en Espagne, après l'expiration de leur contrat de location privé. L'Espagne traversait alors une crise économique dévastatrice avec des taux de chômage élevés, ce qui avait affecté la famille Ben Djazia-Bellili, les empêchant de payer leur loyer pendant un certain temps. M. Ben Djazia avait fait plusieurs demandes de logement social pendant plus d'une dizaine d’années mais elles avaient été rejetées sans exception. La situation familiale d’incertitude, de précarité extrême et de vulnérabilité a été aggravée par le fait que leurs enfants (d’environ un et trois ans à l'époque) se sont retrouvés sans abri.
Après avoir épuisé les voies de recours internes (c'est-à-dire avoir exercé tous les recours judiciaires valables au niveau national), la famille Ben Djazia-Bellili, représentée par Javier Rubio [Centro de Asesoría y Estudios Sociales (CAES)], (les auteurs), a fait valoir devant le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies (CDESC) que l'État avait violé leur droit à un logement convenable en vertu de l'article 11 (1) du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, étant donné qu’ils avaient été expulsés malgré le fait qu'ils ne disposaient pas d’autre logement et sans tenir compte des conséquences de l’arrêté d'expulsion sur leurs enfants. Les auteurs ont également allégué que les procédures judiciaires ayant abouti à leur expulsion n’avaient pas respecté les garanties judiciaires ; par exemple, les tribunaux n'évaluent pas les répercussions des expulsions forcées sur les locataires ni les circonstances particulières de chaque cas. En outre, les auteurs ont fait valoir que les mesures d’aide aux personnes à très faible revenu ou sans revenu ne suffisent pas à protéger le droit à un logement convenable, comme le montre le refus répété de l’État à un logement social à long terme et le manque de soutien d'urgence à court terme malgré le fait que les autorités avaient connaissance de leur situation particulière.
Le 20 juin 2017, le Comité a estimé que « faute d’arguments raisonnables présentés par l’État partie pour justifier qu’il n’a pas pris toutes les mesures possibles et agi au maximum des ressources disponibles, le fait d’avoir expulsé les auteurs sans que les autorités de l’État partie [...] leur aient garanti un autre logement a constitué une violation du droit des intéressés à un logement convenable ». Le Comité a constaté une violation de l'article 11 (1), lu seul et conjointement avec l'article 2 (1) (l’obligation d'adopter des mesures, au maximum des ressources disponibles, en vue d’assurer progressivement le plein exercice des droits) et l’article 10 (1) du Pacte (l’obligation de fournir une protection aussi large que possible à la famille). Ce faisant, il a fait référence à ses orientations existantes aux États, notamment à l'Observation générale n ° 7 (sur les expulsions forcées) et à l'Observation générale n ° 4 (sur le droit à un logement convenable).
Le CDESC a souligné les obligations positives de l'État de protéger le droit au logement même lorsque l'expulsion est justifiée (par exemple, dans les cas ou « le loyer n’a pas été payé » ou « le logement a été endommagé »). Dans ces cas, certaines conditions doivent être respectées, notamment l'accès à des recours judiciaires effectifs, une véritable consultation préalable des personnes concernées, la prise en considération d'autres solutions, la garantie que l’expulsion n’aboutira pas à la violation d’autres droits, la protection particulière des groupes vulnérables et des mesures raisonnables pour fournir un autre logement.
En examinant les justifications avancées par l'Etat défendeur concernant le manque d'accès à un autre logement, le Comité a noté que, dans ce cas, l'Etat était d’autant plus tenu de justifier ses actes puisque des enfants mineurs avaient été affectés de façon négative. En outre, le CDESC a souligné que « bien souvent, le manque de logements est lié à des problèmes structurels, tels un taux de chômage élevé ou des facteurs systémiques d'exclusion sociale », que les autorités doivent résoudre en prenant des mesures adéquates, opportunes et coordonnées. Faisant référence à sa déclaration de 2016 sur la dette publique et les mesures d'austérité, le CDESC a condamné la vente de logements sociaux à des fonds d'investissement privés par les autorités régionales précisément au moment où le besoin de logements sociaux augmentait, en affirmant qu’ «[...] en période de grave crise économique et financière, tous changements ou ajustements apportés aux politiques doivent être temporaires, nécessaires, proportionnés et non discriminatoires ». Pour finir, bien que la famille s'était vu offrir quelques propositions de logement, le Comité a reconnu que ces offres auraient brisé l’unité familiale, en violation de l'article 10.
Le CDESC a émis des recommandations individuelles exigeant à l'État de veiller à ce que la famille ait accès à un logement convenable, ainsi qu'à une indemnisation financière et au remboursement des frais de justice. Le CDESC a également émis des recommandations générales à l'intention de l'Espagne concernant: a) l'adoption de mesures législatives et / ou administratives visant à garantir que les locataires aient accès à une procédure judiciaire dans laquelle le « juge examine les conséquences de leur expulsion éventuelle ... »; b) l'adoption de mesures visant à remédier au « manque de cohérence entre les décisions rendues par les tribunaux et les mesure prises par les services sociaux »;c) l'adoption de mesures visant à garantir que les arrêtés d’expulsion frappant des personnes n'ayant pas les moyens de se reloger impliquent une « véritable consultation » et des démarches essentielles concernant un autre logement; d) une protection spéciale pour ceux qui se trouvent dans une situation de vulnérabilité; et e) l'élaboration et la mise en œuvre d'un plan visant à « garantir le droit à un logement convenable pour les personnes à faible revenu »