Summary
En octobre 2009, le Service des forêts du Kenya a émis un avis d’expulsion demandant aux Ogiek, une communauté vivant dans la forêt et l'un des peuples autochtones les plus marginalisés du Kenya, de quitter la Forêt de Mau dans un délai de 30 jours. En novembre 2009, Ogiek Peoples’ Development Program (OPDP), accompagné du Centre for Minority Rights Development (CEMIRIDE) et, plus tard, de Minority Rights Group International (MRGI), a envoyé une communication à la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples (Commission), soutenant que l’expulsion avait violé plusieurs des dispositions de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (Charte), notamment le droit à la propriété (article 14), le droit à la non discrimination (article 2), le droit à la vie (article 4), la liberté de religion (article 8), le droit à la culture (article 17(2) et (3)), le droit à la libre disposition des richesses et ressources naturelles (article 21) et le droit au développement (article 22), ainsi que l’article 1 (qui oblige tous les États membres de l'Organisation de l'Union africaine à faire respecter les droits garantis par la Charte).
Pendant des dizaines d’années, les Ogiek ont constamment fait face à des expulsions forcées de leur terre ancestrale dans la Forêt de Mau menées arbitrairement par le gouvernement. Ces violations systématiques ont eu une incidence extrêmement négative sur leur style de vie traditionnel. Les Ogiek dépendent de la forêt pour se nourrir, se loger, assurer leur subsistance et préserver leur identité. L’avis d’expulsion d’octobre 2009 a donc été qualifié dans cette affaire de « perpétuation des injustices subies depuis toujours par les Ogiek » et auxquelles l’État kenyan n’avait pas remédié, malgré plusieurs contestations judiciaires devant les tribunaux nationaux et actions de plaidoyer auprès des autorités kenyanes.
Pour l’une des premières fois dans l’histoire institutionnelle, la Commission a renvoyé l’affaire à la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (Cour) au motif que la preuve de l'existence de violations graves ou massives des droits humains avait été établie. Le 26 mai 2017, à la suite d’un procès d'une durée de huit ans, la Cour a rendu un jugement confirmant les droits relatifs à la terre du peuple ogiek et statuant qu'il avait été porté atteinte à chacun des droits invoqués, à l'exception du droit à la vie.
Concernant le droit à la propriété, la Cour a déclaré que les Ogiek avaient un droit communal sur leurs terres ancestrales et que leur expulsion de ces terres contre leur gré et sans consultation préalable portait atteinte à leurs droits de propriété garantis par la Charte, et interprétés dans l’esprit de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.
La Cour a également conclu que le fait que le gouvernement ne reconnaisse pas aux Ogiek le statut de tribu distincte, conféré à d’autres groupes similaires, les privait des droits accordés à d’autres tribus et constituait donc de la discrimination. Se référant au travail mené par la Commission par l’entremise de son Groupe de travail sur les populations/communautés autochtones en Afrique et au travail du Rapporteur spécial des Nations Unies sur les questions relatives aux minorités, la Cour a analysé différents critères d'identification des populations autochtones et déterminé que la communauté ogiek pouvait être reconnue comme étant une population autochtone faisant partie de la population kenyane, dotée d’un statut particulier méritant protection en raison de sa vulnérabilité.
La Cour a déclaré sans équivoque que la préservation de la forêt ne pouvait justifier la non reconnaissance du statut autochtone ou tribal des Ogiek ni la privation des droits associés à ce statut et a expressément confirmé que les Ogiek ne pouvaient être tenus responsables de la dégradation de la Forêt de Mau, pas plus que celle-ci ne pouvait justifier leur expulsion ou la privation d'accès à leur territoire pour exercer leur droit à la culture.
Le Cour a de plus déterminé qu’en raison du lien existant pour les Ogiek entre leur territoire et leur capacité de pratiquer librement leur religion, les expulsions des Ogiek de la Forêt de Mau constituaient une atteinte à la liberté de pratiquer leur religion. Compte tenu des différents liens existant entre la terre et les pratiques culturelles des Ogiek, leur expulsion de la Forêt de Mau portait également atteinte à leur droit à la culture. Évaluant le droit de disposer de richesses et de ressources, telles que la terre, la Cour a conclu que, dans la mesure où elle avait déjà déterminé les droits des Ogiek sur leur territoire ancestral et que ces droits avaient été lésés, l'expulsion portait clairement atteinte au droit d'accéder à ce territoire et de l'occuper. Finalement, la Cour a statué que les expulsions continuelles des Ogiek de la Forêt de Mau avaient eu un impact considérable sur leur développement économique, social et culturel, et qu’en conséquence, leur droit au développement avait aussi été violé.
La Cour a ordonné au gouvernement de prendre toute les mesures nécessaires dans des délais raisonnables pour remédier aux violations. La Cour a déclaré qu’elle trancherait la question des réparations séparément et qu’une décision devrait être rendue en 2018 ou avant.