Sithole et un autre v Sithole et un autre [2021] ZACC 7

Décision de la Cour constitutionnelle sud-africaine confirmant l'ordonnance d'invalidité constitutionnelle de l'article 21(2)(a) de la Loi sur les biens matrimoniaux 88 de 1984 rendue par la Haute Cour de Durban dans la mesure où elle maintient et perpétue la discrimination raciale et de genre à l'encontre des femmes noires.

Date de la décision: 
14 avr 2021
Forum : 
Constitutional Court
Type de forum : 
Domestique
Résumé : 

Le Legal Resources Centre (LRC) a représenté Mme Agnes Sithole, une femme de 72 ans vivant au KwaZulu-Natal, qui a épousé Gideon Sithole en 1972 en vertu de la section 22(6) de la loi 38 de 1927 sur l'administration des Noirs (BAA), et de la Commission pour l'égalité des sexes dans une contestation de la loi de 1984 sur les biens matrimoniaux. Entre 1972 et 1985, Mme Sithole a travaillé comme femme au foyer et a exploité avec succès un commerce de vêtements à domicile pour éduquer ses enfants et aider la famille à faire face aux dépenses du ménage. Après que la relation entre M. et Mme Sithole se soit détériorée, M. Sithole a menacé de vendre leur maison familiale. La CRL a aidé Mme Sithole à interdire la vente de leur maison jusqu'à ce que la contestation constitutionnelle soit terminée. Mme Sithole n'a pas cherché à obtenir un recours en vertu des sections 7(3) à (5) de la loi sur le divorce, qui accorde au tribunal le pouvoir discrétionnaire d'ordonner la redistribution des biens matrimoniaux pour les couples mariés en dehors de la communauté de biens, car sa foi en l'Église catholique romaine n'était pas favorable au divorce et elle ne pensait pas devoir recourir au divorce pour faire valoir son droit à sa part des biens matrimoniaux.

En vertu de la section 22(6) du BAA, tous les mariages conclus par des personnes noires étaient automatiquement hors de la communauté de biens, sauf si une déclaration de communauté de biens était signée dans les 30 jours suivant le mariage. En revanche, le régime matrimonial par défaut pour tous les autres groupes raciaux était la communauté de biens, sauf s'ils choisissaient de signer des contrats prénuptiaux. Le Parlement a tenté de revenir sur la discrimination de l'article 22(6) du BAA en abrogeant la disposition par le Matrimonial Property Amendment Act 3 de 1988. La loi d'amendement a inséré les articles 21(2)(a) et s25(3) dans la loi 88 de 1984 sur les biens matrimoniaux (MPA), donnant ainsi aux personnes mariées hors communauté de biens en vertu de l'article 22(6) de la BAA du 2 décembre 1998 la possibilité de modifier leur régime matrimonial de hors communauté de biens à en communauté de biens dans les deux ans suivants. Il n'existe que peu ou pas de preuves que les parties concernées aient été informées de ces amendements par le gouvernement de l'apartheid ou par l'ordre post-constitutionnel. Par conséquent, Mme Sithole, comme beaucoup d'autres femmes dans sa situation, n'avait pas connaissance de l'amendement. En tout état de cause, l'amendement n'a pas corrigé la discrimination de manière substantielle, mais a plutôt imposé aux couples noirs qui souhaitaient modifier leur régime matrimonial en faveur de la communauté de biens l'obligation d'obtenir le consentement des deux parties. En exigeant le consentement du conjoint, la loi supposait que la partie vulnérable réussirait à obtenir le consentement du conjoint pour modifier le régime matrimonial en communauté de biens. En réalité, le conjoint financièrement puissant n'était pas disposé à abandonner ou à partager la propriété et le contrôle des biens matrimoniaux, laissant des femmes comme Mme Sithole porter le fardeau de la recherche d'une réparation juridique individuelle. Cette loi discriminatoire est restée dans notre législation et n'a pas réussi à remédier aux préjudices subis par les femmes noires telles que Mme Sithole, malgré la nouvelle dispense constitutionnelle.

En décidant de confirmer la décision de la Haute Cour garantie par la LRC, la Cour constitutionnelle s'est appuyée sur les principes énoncés dans l'affaire Harksen c. Lane N.O :

(1) La disposition différencie-t-elle des catégories de personnes et, dans l'affirmative, existe-t-il un lien rationnel entre la différenciation et un objectif légitime du gouvernement ?

(2) La différenciation équivaut-elle à une discrimination ? La discrimination est-elle injuste ?

(3) La discrimination peut-elle être justifiée en vertu de la clause de limitation de la Constitution ?

La Cour a répondu aux première et deuxième questions par l'affirmative, estimant que l'article 21(2)(a) de la MPA établissait une différence entre les Noirs et les non-Noirs sans objectif gouvernemental légitime. Si la section 21(2)(a) semblait éliminer la discrimination à première vue, elle n'offrait qu'une égalité formelle et non une égalité substantielle comme l'exige la Constitution : « Lors de l'examen de la constitutionnalité de l'article 21(2)(a), l'accent ne doit pas être mis sur le fait qu'il offre une option aux couples noirs pour convertir leurs mariages, mais plutôt sur son incapacité à égaliser les chances et à placer les mariages des personnes noires sous le même parapluie que les mariages des couples d'autres groupes raciaux. » La Cour a également fait remarquer que « les dynamiques sociétales telles que le patriarcat, les stéréotypes de genre, l'application inflexible de pratiques culturelles oppressives perpétuent les conséquences intersectionnelles des dispositions contestées sur les femmes noires. » La Cour a poursuivi en soulignant les nombreuses façons dont les femmes noires ont été désavantagées par les régimes hors communauté de biens, notamment la vulnérabilité inhérente à la dépendance des femmes à l'égard de leur mari.

En tranchant sur la troisième question, la Cour a simplement déclaré que la loi « résultait d'un système légiféré, délibéré, injuste et insensé de séparation entre les races, fondé sur une notion tordue selon laquelle les Noirs et les Blancs ne méritaient pas le même traitement », et qu'elle devait être « oblitérée ». La Cour a donc confirmé l'ordonnance de la Haute Cour, statuant que la section 21(2)(a) de la MPA est inconstitutionnelle et invalide et que tous les mariages en vertu de la section 22(6) de la BAA sont désormais déclarés en communauté de biens (sauf si le couple choisit un contrat prénuptial).

Application des décisions et résultats: 

L'ordonnance rendue par la Cour constitutionnelle dans l'affaire Sithole a annulé la profonde discrimination historique infligée par les lois oppressives de l'apartheid sur le mariage, afin de permettre aux femmes noires mariées dans le cadre du BAA d'avoir un accès égal à la propriété et au contrôle des biens.

Le Legal Resources Centre surveillera la mise en œuvre de l'ordonnance de la Cour constitutionnelle par le ministère de la Justice et des Services correctionnels, notamment ses communications sur l'ordonnance et les conclusions de ce jugement aux membres du public, ainsi que les plans du Portfolio Committee et les progrès du ministère de la Justice pour effectuer un amendement formel aux dispositions contestées de la loi sur les biens matrimoniaux.

Groupes impliqués dans le cas: 
Importance de la jurisprudence: 

Selon le rapport d'expertise déposé par l'expert(e) en politique sociale à l'appui de la réparation demandée par la LRC au nom de Mme Sithole et dans l'intérêt public, le jugement touchera plus de 400 000 femmes qui se trouvaient dans la même situation que Mme Sithole. Le jugement fait progresser les droits des femmes noires en matière de genre, d'âge, de race, de terre et de propriété, en leur permettant de revendiquer la propriété des biens matrimoniaux, d'exercer un contrôle sur leur bien-être financier et de participer aux structures décisionnelles pour le droit à l'autodétermination.

Cette affaire est la troisième d'une trilogie de jugements marquants portant sur les droits aux biens matrimoniaux des femmes noires en Afrique du Sud. Avec l'arrêt Gumede, rendu en 2008, et l'arrêt Ramuhovhi, rendu en 2017, l'arrêt Sithole apporte un soulagement important aux femmes noires âgées en reconnaissant leur droit d'acquérir le contrôle et la propriété des biens matrimoniaux.

Le Legal Resources Centre a parcouru ce chemin avec ces femmes courageuses dans leur lutte pour l'égalité financière substantielle et la dignité en vertu de la loi pour l'accès aux biens qu'elles travaillent dur à construire et à entretenir. Le travail du LRC en matière de droits fonciers vise à contribuer à la réalisation de l'impératif constitutionnel selon lequel l'État doit prendre toutes les mesures nécessaires pour favoriser l'accès à la terre et à la propriété sur une base équitable afin de remédier à la discrimination historique.

Pour leurs contributions, un remerciement spécial aux membres du Réseau-DESC: le Program on Human Rights and the Global Economy (PHRGE) at Northeastern University.