Summary
Cette affaire a débuté en 2014 avec le dépôt d’une plainte relative aux droits humains au nom de trois requérantes individuelles et de la Disability Rights Coalition alléguant une discrimination systémique fondée sur le handicap et sur la source de revenu dans la prestation d’aide sociale, contrevenant à la Loi sur les droits de la personne. Les requérantes ont affirmé que la Province de la Nouvelle-Écosse (la Province) avait fait preuve de discrimination à leur égard dans la prestation d’aide sociale, en raison de leurs handicaps physiques et mentaux et de leur situation financière.
La Commission d’enquête de la Nouvelle-Écosse (Commission d’enquête) a statué que chaque plaignante individuelle avait établi une présomption de discrimination le 4 mars 2019, mais uniquement en ce qui concerne le temps que chaque plaignante avait été placée dans une aile psychiatrique de l’Hôpital de la Nouvelle-Écosse. La plainte pour discrimination systémique de la DRC a été rejetée en bloc.
En ce qui concerne les plaintes individuelles, l’étape suivante dans le processus juridique canadien exige que la province présente une argumentation juridique pour justifier son traitement discriminatoire ou renonce à ce droit avant de passer à l’étape des réparations. La Province a choisi de ne pas tenter de justifier le traitement, et une audience s’est ensuite tenue pour discuter des réparations possibles pour chaque plaignante. Après une audience portant sur les réparations, la Commission d’enquête a accordé des dommages-intérêts de 100 000 $ chacune à deux des plaignantes et de 10 000 $ à chacune des bénéficiaires de la troisième plaignante, qui était décédée depuis le début de l’audience. La Commission a également ordonné que la Province paie les frais du conseiller juridique des plaignantes.
Concernant le rejet de sa partie de la plainte et de l’allégation de discrimination systémique, la DRC a fait appel afin que soit établie une présomption de discrimination systémique pour que sa plainte puisse être entendue. En même temps, les plaignantes individuelles ont contesté l’analyse faite par la Commission d’enquête pour le constat de présomption et les dommages-intérêts. La Province a elle-même aussi interjeté appel face au raisonnement de la Commission d’enquête. Quand l’affaire a été entendue devant la Cour d’appel de Nouvelle-Écosse, celle-ci a permis l’intervention d’Inclusion Canada, du Conseil des Canadiens avec déficiences et de Personnes d’abord du Canada.
Au premier rang des questions examinées par la Cour d’appel se trouvaient les suivantes :
- Concernant l’appel interjeté par la Province, une bonne analyse de la présomption est-elle venue corroborer la conclusion finale de la Commission d’enquête en rapport avec les requérantes individuelles ?
- Concernant l’appel interjeté par les plaignantes individuelles, la Commission a-t-elle fait erreur dans son évaluation des dommages-intérêts ?
- Concernant l’appel interjeté par la DRC, la Commission d’enquête a-t-elle fait erreur dans sa définition des critères de présomption de discrimination dans un cas de discrimination systémique ?
- Concernant l’appel interjeté par la DRC, la Commission d’enquête a-t-elle fait erreur en concluant qu’une allégation de discrimination systémique était inexistante à partir des éléments de preuve dont elle disposait ? Si oui, le dossier établit-il une présomption de discrimination systémique ?
Questions 1 et 2 : Concernant les plaintes individuelles, la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse a conclu que les critères de présomption de discrimination définis par la Commission d’enquête étaient corrects et que celle-ci ne créait pas un « nouveau » critère dans son évaluation des allégations de discrimination des plaignantes, comme l’affirmait la Province. La Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse a statué que la Commission d’enquête avait appliqué correctement les principes énoncés dans Moore c. Colombie-Britannique (Éducation), 2012 CSC 61 ; « pour établir à première vue l’existence de discrimination, les plaignants doivent démontrer :
- qu’ils possèdent une caractéristique protégée contre la discrimination en vertu du Code,
- qu’ils ont subi un effet préjudiciable relativement au service, et
- que la caractéristique protégée a constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable. » Id.
La Cour d’appel a conclu dans sa décision que la Commission d’enquête avait commis « des erreurs fondamentales tant dans son évaluation des dommages-intérêts que dans l’adjudication de frais » aux plaignantes individuelles. Elle a conclu que la présomption de discrimination devrait avoir couvert une période plus longue pour deux des plaignantes, Mme MacLean et Mme Livingstone. La Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse a augmenté les dommages-intérêts accordés à la succession de Mme MacLean et accordé des dommages-intérêts supplémentaires à M. Delaney.
Questions 3 et 4 : La Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse a conclu que la Commission d’enquête avait fait erreur dans son analyse de la plainte de discrimination systémique déposée par la DRC. La Cour d’appel a conclu que la DRC avait réussi à établir une présomption de discrimination systémique et a renvoyé l’affaire de l’audience de justification à une nouvelle commission d’enquête.
Bien que le gouvernement ait promis que la Province n’irait pas en appel de la décision d’octobre 2021, il a fait une demande d’autorisation d’appel de la décision de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse auprès de la Cour suprême du Canada. Le 14 avril 2022, la Cour suprême du Canada a rejeté la demande d’autorisation d’appel de la Province, faisant passer le dossier au stade des réparations, et a condamné la Province à verser des dépens à la DRC. En juillet 2022, la Province a retiré sa requête voulant que la discrimination soit justifiée comme étant une limite raisonnable prévue par la loi entre autres motifs et le dossier a pu passer au stade des réparations.
En juin 2023, la Disability Rights Coalition, le Gouvernement de la Nouvelle-Écosse et la Commission des droits de la personne de la Nouvelle-Écosse ont déposé auprès de la Commission d’enquête sur les droits de la personne une ordonnance par consentement provisoire qui établit un accord provisoire concernant des mesures contraignantes de redressement systémique visant à remédier au traitement discriminatoire des personnes handicapées de la province.
L’ordonnance est dite « provisoire » car il s’agit d’une première ordonnance obligeant la Province à prendre des mesures pour mettre fin à la discrimination systémique. Une ordonnance finale visant la pleine résolution de la plainte relative aux droits humains déposée par la DRC ne sera rendue que lorsque le gouvernement aura mis en œuvre l’ensemble de ses obligations juridiques prévues par l’Ordonnance par consentement provisoire, mettant ainsi un terme aux pratiques et politiques discriminatoires relevées par la Cour d’appel.
Parmi les « résultats » finaux exigés dans l’ordonnance provisoire figurent la fermeture de tous les établissements, l’élimination de la liste d’attente pour l’accès à l’aide sociale, notamment au soutien et aux services permettant de vivre dans la communauté de son choix, et le respect par le gouvernement de son obligation juridique de fournir une aide sociale en tant que droit de toutes les personnes dans le besoin, conformément à la Loi sur les droits de la personne.
La mesure de redressement est juridiquement contraignante et impose à la Province l’obligation exécutoire de remédier à la discrimination systémique d’ici le 31 mars 2028 et d’assurer la réalisation des objectifs et le respect des échéanciers établis pour que les progrès nécessaires soient accomplis vers l’atteinte de ce but.